10 - Un peu d'entraînement
Kara est géniale. Elle a réussi à me constituer un véritable plateau ; il y a même du fluuta confit, mon dessert préféré. Elle me regarde avaler tout ça avec un sourire tolérant :
« Tu as vraiment un appétit terrible pour quelqu'un de si petit ! »
Kara est plus grande que moi de dix centimètres et elle ne loupe pas une occasion de me le rappeler. En rétribution, je lui tire la langue et elle se met à rire. À l'intérieur de moi, je pense que ces moments vont me manquer... beaucoup.
Elle s'assoit à côté de moi, un peu hésitante, avant de demander d'une voix timide :
« Tu n'as pas eu trop peur ? »
Bien entendu, lorsque je lui ai parlé de mon aventure, je lui ai raconté la version du colonel ; elle n'a aucune raison de la remettre en cause. Mais quand elle pose cette question, je revois soudain le démon, puis la créature que chevauchait Eïdo Anagké... En songeant à l'homme aux cheveux noirs, je fronce légèrement les sourcils. Même si je ne peux pas dire que je le trouve sympathique - après tout, il a rejeté mes remerciements -, il m'a quand même sauvée... Il doit me considérer comme une belle idiote pour avoir affronté directement le démon avec mon foudre.
Comme si son avis m'importait... !
Mes pensées se tournent ensuite vers l'Aïrin, avec son visage fin et spirituel, ses grands yeux gris emplis de compréhension... Je sens mes joues se teinter de pourpre.
« Prismè ? »
Confuse, je me tourne vers Kara ; je réalise alors qu'elle me regarde bizarrement ; affolée, je plaque mes deux mains sur mon visage pour dissimuler le phénomène.
« Tu... tu n'imagines pas...
— Oh... »
Je sens le bras de mon amie entourer mes épaules.
« Tu sais, je suis parfois un peu jalouse des radiants. Moi aussi, j'aimerais pouvoir voler... Mais quand je vois les dangers auxquels vous êtes exposés, je me dis que je n'aurais jamais eu le courage de les affronter ! »
Aux paroles de Kara, je ressens une profonde chaleur ; entre mes doigts écartés, je lui adresse un petit sourire.
Nous parlons encore un peu, de tout et de rien, puis elle se hâte de reprendre son service tandis que je me dirige vers mon dortoir. En théorie, j'ai quartier libre pour le reste de la journée, mais je brûle d'utiliser mes ailes. D'après Dan'sei'Serafen, j'ai récupéré toute mon énergie consumée par la présence du démon.
J'ai juste le temps de passer par le dortoir déserté pour me changer avant de me rendre à l'aire de vol, une grand zone dégagée dont le sol est couvert d'une matière souple et déformante pour éviter les blessures chez les débutants. Je n'en suis heureusement plus là, même si le souvenir de mes premières chutes me fait frémir.
Il y a un espace de détente à côté, un petit bâtiment avec des sièges et des distributeurs de boissons et de friandises. Je n'ai pas l'habitude de m'y arrêter, mais aujourd'hui j'ai quelques questions qui me taraudent l'esprit et on est toujours sûre de rencontrer une bande de vétérans qui traînent dans le coin. Je ne me suis pas trompée : je repère une femme et deux hommes, tous des officiers gradés de la patrouille, qui m'accueillent avec des « ça va, la bleusaille ? » plutôt sympathiques. Je leur rends joyeusement leur salut.
« Quel est le programme d'aujourd'hui ? me demande un lieutenant aux cheveux presque aussi blancs que les miens.
— Un entraînement ordinaire. J'ai rencontré quelques soucis avec une macule de limbes et je veux être sûre que mon énergie est revenue... »
Il siffle doucement entre ses dents :
« Ah oui, quand même... Fais attention à toi, alette. »
Un peu confuse, je me frotte la nuque en souriant maladroitement :
« J'y compte bien ! »
Retrouvant un peu mon aplomb, je les regarde tour à tour :
« Dites... Est-ce que vous avez déjà connu quelqu'un qui avait des... alaées noires ? »
Les trois vétérans se taisent et me regardent fixement. La femme fronce légèrement les sourcils :
« Des alaées noires ? C'est totalement impossible. Les alaées sont constituées d'énergie.
— Exactement, renchérit l'aîné des deux hommes, frottant sa courte barbe. Je ne vois pas comment ce genre de choses pourrait exister. Ou alors, il faudrait que l'énergie soit inversée... Seul un contact avec les limbes pourrait peut-être provoquer un tel phénomène, mais encore faut-il pouvoir y survivre. On raconte qu'il existerait un peuple qui vit dans les plus larges macules. Il ne doit plus avoir grand-chose d'humain. Mais... qu'est-ce qui te fait poser cette question ? »
Je suis soudain gênée. Je n'ai ni le droit ni l'envie de leur parler d'Eïdo Anagké. D'ailleurs, il n'a rien à faire dans mes pensées, si j'y réfléchis bien. Même si l'homme est énigmatique et que je brûle d'en savoir plus sur lui.
La femme se prend le menton d'un air songeur :
« Est-ce que tu as vu quelque chose d'inhabituel au niveau de la macule ? »
Je me force à sourire :
« Ou... Oui, mais tout compte fait, c'est sans doute une illusion, ou l'effet de la peur.
— Oui, c'est sans doute ça, répète l'autre homme, un peu soucieux. Je ne voudrais pas penser que l'un d'entre nous a pu être... changé en étant emprisonné dans les limbes... »
Je ne peux réprimer un frisson en songeant à cette éventualité. Ce serait vraiment... horrible...
« Cela doit être ça, juste une illusion ! Merci beaucoup à vous, je vais voler un peu ! »
Je leur adresse un signe de la main avant de filer hors du bâtiment, en direction de l'aire de vol ; à cette heure, elle n'est pas très fréquentée, ce qui me donne la latitude de faire tout ce que je veux. J'ajuste mes lunettes puis, les yeux braqués vers le ciel, je me concentre... Une sorte de choc électrique parcourt mon dos et je sens les lames émerger avec un léger sifflement. Soulagée, je décide de les conserver à une taille modérée dans un premier temps.
Je les fais pivoter pour les placer parallèlement au sol ; elles se mettent à vibrer légèrement, me soulevant lentement. Une fois que j'ai pris suffisamment d'altitude, je commence à les orienter très légèrement, afin de déterminer ma trajectoire et d'ajuster mon allure ; je les étends un peu, sentant avec bonheur l'énergie fuser pour augmenter leur envergure.
Une fois que je m'estime plus à l'aise, je me lance dans une série de figures, en sachant qu'ici, elles ne me causeront pas de soucis particuliers. Quelques loopings pour me mettre en forme, puis deux ou trois chandelles, quelques changements de direction en pleine vitesse... Je ne peux m'empêcher de songer à la soi-disant force de mon « énergie ». Est-ce que je pourrais vraiment acquérir plus de puissance dans mes alaées ? Je suppose que c'est le cas de Len'Brasne, puisqu'elle a été intégrée au conseil de l'Aïrin.
Je n'ai même pas eu l'occasion d'échanger un seul mot avec elle. Elle a l'air plutôt sévère, à ce que j'ai pu en voir. C'est peut-être son métier qui veut cela...
Je me suis un peu trop déconcentrée... Ma dernière spirale me mène trop près du sol. Je ne devrais pas permettre à mes pensées de vagabonder de cette façon : cela peut se révéler très dangereux ! Je décide qu'il est temps de rentrer ; je me pose avec précaution avant de laisser l'énergie quitter mon dos.
Demain, c'est mon jour de relâche ; je vais retrouver mes parents.
Quand je suis partie pour mon service, j'avais l'impression d'abandonner mon foyer pour toujours. Mais là, ce sera pire encore... Je commence doucement à m'en rendre compte.
Ce ne sera pas si facile.
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