Chap 7

Sans un mot je monte 4 à 4 les marches de l'escalier et me baisse pour passer sous l'encadrement de la porte, qui elle, a disparu dans un feu il y a deux semaines. Je m'approche du matelas où repose Lili, fait à base de couvertures reconstituées de morceaux de tissus trouvés et recousues par Ana. Le Trio se tient derrière elle, l'aidant à se tenir plus ou moins droite et Fred tient un bol de soupe dans sa main, essayant de nourrir Lili.
Fred à 15 ans et le Trio, ce sont deux garçons, Carl et Zach et une fille, Rachel, de 12 et 13 ans, inséparables, d'où leur surnom, ils ont tout les quatre, le visage marqué par l'angoisse.

La même que la mienne hier soir, avant de m'endormir.

Je me mords la lèvre en constatant que cette nuit, je l'ai totalement oubliée. J'ai profité de ma vie, de moi, avant les autres. Et je m'en veux terriblement. Je me force à taire le sentiment agréable que cela m'a procuré et la petite voix vicieuse, qui souhaiterait que ce soit ainsi tous les jours...pour laisser place à un sentiment d'égoïsme qui me rend malhonnête envers ce que j'aime...

On est une famille. Ici, on s'entraide, on s'aime, on se déteste, on se serre les uns contre les autres. On pleure, on rit, on fatigue et on soupire ensemble. Si l'un d'entre nous devait partir, ce serait la plus terrible des cassures, dans cet environnement instable, savoir qu'on s'entraide, qu'on peut compter sur les autres, c'est le plus important. Un bouleversement de ce genre...dans une famille durement installée....

Voilà, la raison de mes insomnies. Son visage, si pâle, sa peau diaphane, son corps squeletique, son regard vide, ses cheveux décolorés. Toute la vie de son corps a disparu. Toute sa personnalité, sa vivacité, sa lumière, tout. Je n'aime pas la voir. Je ne viens presque jamais. Je ne le supporte pas, même si elle me demande souvent, je ne viens pas. La voir tousser à s'en arracher les poumons, vomir le peu qu'elle mange, délirer et pleurer dans son sommeil... C'est trop dur.

Comment rester immobile, en la voyant se noyer lentement ? Rester sans rien faire ? Être totalement impuissant devant la mort ? C'est si frustrant ! Si dur...

- Salut, Lili, je murmure la voix enrouée d'émotions.

Je m'accroupis, Fred me regarde, s'arrêtant dans son geste.

- Hey, je ne savais pas que tu étais là. Je ne t'ai pas entendu arriver.

- On a réussi à faire du feu. Je viens récupérer Lili.

Fred se décale et je prends délicatement Lili dans mes bras, pleurant interieurement tant elle est légère. Le Trio récupère une couverture, mais je ne les regarde déjà plus. Mes yeux ancrés dans ceux de Lili.

- Lili, c'est moi, Alex, tu te souviens ? Le Gros Lion ... dis-je d'une voix tremblante.

Je vois dans ces yeux une lueur passer, et comme un miracle, un minuscule sourire, mais bien réel, naît sur ses lèvres. Un bonheur intense prend possession de mon être et je suis sûr que les autres doivent sourire autant que moi. D'une voix rauque, elle parvint à parler, chose qu'elle n'avait fait depuis les premiers symptômes de la Fièvre :

- Alex....

Voilà. Mon prénom. C'est juste, magique. Impensable. ..

Mes yeux toujours rivés aux siens, qui se ferment de fatigue, je descends les marches craquantes et pose son petit corps frêle sur les couvertures disposées sur le sol par le Trio. Seules ses lèvres tremblantes, permettent de voir qu'elle est toujours en vie...

De son côté, Anastasia prépare une soupe dans une grosse casserole, posée sur une gazinière portable.

- Tu as pu acheter des bonbonnes de gaz ? je demande surpris.

- Un vieil homme m'a fait une offre, une achetée, une offerte. En économisant, on peut manger chaud pendant deux semaines ! me répond-elle joyeuse.

- Qu'est-ce qu'on mange aujourd'hui ? demande Kylie, de sa petite voix aiguë  à Ana.

- Je n'ai trouvé que quelques pommes de terre, du riz et des carottes un peu cendreuses.  Tu sais, les temps sont difficiles, trouver de quoi manger comme d'habitude, est complètement  impossible maintenant.

Fred et moi, nous travaillons dans les Usines. On ramène l'argent pour toute la famille. Alors on fait des heures supplémentaires, on se démène pour gagner le maximum possible. Ce qui revient au final, à ne gagner que quelques pièces pour avoir nos rations de nourriture. Des tickets rose et verts qui nous permettent d'avoir un maigre plateau, seulement cela ne suffit pas, tout le monde n'est pas en âge de travailler, on ne peut pas vivre ainsi. Nous ne sommes que deux à être déclarés aux Usines et à l'Armée. On ne peut pas prendre assez de nourriture pour tout le monde.

Il y a le Trio, qui s'occupe de chercher, partout, des objets, des tissus, n'importe quoi qui pourrait nous aider au quotidien. Ils camouflent, enlèvent les indices qui pourraient permettre à l'Armée de nous retrouver. Nous ne sommes pas en règle, si nous déclarons la présence des enfants, nous risquerions de les perdre, ils seraient envoyés dans des centres de travaux forcés et d'être bourrage de crâne intensif...

Anastasia, que j'appelle Ana, se charge du travail le plus éprouvant et dangereux. Elle doit trouver de la nourriture, des vêtements, le nécessaire à vivre, comme le gaz par exemple, et pour cela, elle doit voler dans les stocks de l'Armée. À tout moment, elle peut se faire prendre et Disparaître. L'Armée ne fait pas attention à la quantité de matériel et de provisions dans ses stocks, bien heureusement pour nous. Sans ça, il serait impossible de survivre. Mais, lorsqu'elle prend un individu en flagrant délit, la réalité est dure, mais il ne fait pas de distinction entre un rat qui grignote les provisions et un miséreux qui chercher un peu de pain.

Enfin, il y a Leslie, Ben et Kylie qui restent pour s'occuper de la maison et aider à son bon fonctionnement. Ce sont les petites mains qui aident tout le monde. Quand nous avons l'occasion, nous essayons de les instruire avec les infos et connaissances que nous avons recueilli, plus jeune, mais ça reste insuffisant.

Et puis il y a Lili...

Fred va chercher les bols pour nous. Le Trio rapproche le plus possible notre table de fortune du feu. Et alors que Fred et Anastasia remplissent les bols et que les autres s'assoient autour de la table, je sors de la poche intérieure de ma veste, six sucettes au miel préalablement volées dans un des cartons dont je m'occupais ce matin.

Un jour, je sais que l'un d'entre nous se fera attraper, on ne peut pas jouer indefiniment avec le feu sans en oayer le prix, mais pour l'instant, je n'y pense pas. Je préfère profiter des magnifiques sourires sur le visage des enfants, tant que j'en ai la possibilité. Leur rendre la vie meilleure... Ana et Fred regardent tout aussi attendris que moi la scène.

- Ouiiiiiiii !!! s'exclame Kylie toute excitée.

- Tenez, c'est cadeau, dis-je en riant.

- Merciii ! me crient-ils en chœur.

Nos bols fumant entre les doigts, je scrute les yeux de chacun et profite de ce moment, ensemble, tout en frissonnant sous le contact de la chaleur du bol, me rappelant vivement la pizza d'hier soir.

Dans ce monde-ci, la moindre petite chose, peut faire la différence entre un jour gris et un jour lumineux.

Nous posons les couvertures sur le sol et nous enroulons dedans. Complètement vidé d'energie, je m'endors en un battement de cils, dans un sommeil profond.

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