Chap 6
Routine. Je soulève des cartons, colle des étiquettes et les poses sur le tapis roulant, comme les cinquante autres personnes de ce poste. Nos gestes sont mécaniques, toujours sur le même rythme. Trois temps. Trois gestes. Une machine infernale qui ne s'arrête pas. Jamais.
La machine humaine doit continuer de tourner.
Pour toujours plus produire.
Une douleur vive pulse dans mon épaule gauche, je l'ignore et continue. Toujours.
Il ne faut pas s'arrêter.
Les heures tournent sur l'horloge, l'aiguille des secondes est insolente, il y a des jours où elle s'arrête tant elle est vieille, et où non continuons toujours de travailler. En voyant la bouillie de blé qu'on nous sert en ration le midi, j'ai presque envie de pleurer en pensant au goût de la pizza d'hier soir. Vivre avec le ventre vide et pesant, la faim tenaillante est moins difficile quant on n'a jamais connu la sensation d'être rassasié. Quand on mange pas à sa faim, depuis toujours, et qu'un jour on nous rempli le ventre, on fait face à une sensation inconnue jusqu'à présent, le manque dévorant.
Je ne sais pas si je regrette d'avoir mangé dans ce rêve.
Peut être que la faim et le froid m'ont monté à la tête ?
Quand je repense à cette nuit, j'ai toujours cette impression de manque de souvenirs, un trou dans ma mémoire. C'est étrange. Au milieu du rêve, comme si, mon cerveau avait volontairement effacé ce qu'il s'était produit.
Je n'attends qu'une chose, c'est de savoir si toute cette histoire est bien réelle, et cela va se confirmer ce soir. Je veux savoir. J'en deviens même distrait, me faisant reprendre à plusieurs reprises, pour mes bourdes, qui risquent de faire évaporer mon maigre salaire.
Il suffit de peu pour qu'on vous rafle les trois pièces gagnées en une semaine.
Je sors de l'usine et décide de rentrer directement, connaissant déjà le montant de ma paie de la semaine.
Un vent glacial vient me tenir compagnie, s'immiscent à travers mes vêtements, me faisant grimacer. L'hiver approche, les temps vont être difficiles. Chaque hiver est plus dur que le précédent.
J'entre dans mon petit village, fait de ruines, de poteaux électriques tombés au sol, d'arbres morts, déchaînés et pouris, de poussière, de cendre, de béton et de goudron.
- Un paysage paradisiaque, je souffle à haute voix, cynique.
Nous ne sommes que trois familles à vivre ici, loin des usines et du Dôme.
J'arrive devant ce qui me sert de maison et reste un instant fixe, face à la porte.
Rentrer en donnant l'impression que je suis parvenu a receuillir quelques pieces, avec un joli sourire, faux, en sachant quils vont devoir se serrer un peu plus la ceinture, me rend malade. Avec le sentiment violent de honte et de tristesse qui m'envahis, je me penche et soulève un tas de pierres, non loin de la porte qui par miracle tient encore dans ses gonds, pour récupérer la clé. On la laisse toujours la, car les voleurs sont nombreux dans les usines, et maitre dans l'art. Et tout bien dans ce monde est essentiel pour survivre. J'insère la clé et tourne deux fois pour la déverrouiller.
En ouvrant la porte, une petite touffe de cheveux bruns, au doux nom de Kylie me saute dessus, en criant de joie :
- Aleeeeeex ! Tu es revenu ! Ouiiiiiiiii !!
Elle me sert fort dans ses petits bras et je lui rends son étreinte dans un sourire, en reprenant rapidement mon équilibre. Elle se redresse l'air boudeur, me grondant de ses grands yeux brun-verts.
- Et ben l'Hérisson, pourquoi tu me regardes comme ça ? Je lui demande en fonçant les sourcils.
Ce surnom m'etait venu à l'esprit avec ses cheveux frisés, qui sont d'une galère incroyable à coiffer... Tout s'y perd dedans, je ne sais pas ce qu'elle fait avec, mais l'autre jour, j'ai retrouvé des punaises et des trombones dans ses nœuds... Pourtant, aujourd'hui, elle porte deux tresses, tenant on ne sait comment, bien qu'ébouriffées. Il a fallut beaucoup de patience, je pense en souriant.
Elle porte une robe faite à partir d'un de mes vieux Tee-shirt gris, trop petit pour moi. Du haut de ses 7 ans, elle est si maigre et petite que j'arrive encore à la porter, pour son plus grand plaisir, je crois....
- Pourquoi, tu rentres si tard ? À cause de ton retard, c'est Carl et Zach qui ont dû s'occuper de mes cheveux. Et tu sais à quel point, ils sont patients et doux dans ce qu'ils font....
Je ris face à mon petit rayon de soleil, en pensant a ce que je venais de constater, et commence à regretter amèrement de ne pouvoir rien lui raconter de mon magnifique périple. Laissant un sourire maussade sur mon visage
- Je suis désolé, j'essaierai de faire plus vite la prochaine fois.
Elle se débat dans mes bras, pour me montrer qu'elle est en colère, bien que je sais que c'est faux et je la repose sur le sol. En un bond, elle fait demi-tour et monte l'escalier bétonné, couvert de graffitis, tout en parlant :
- C'est ce que tu dis toujours ! Et pourtant, impossible que tu viennes à temps pour m'épargner ce calvaire...
Je souris et secoue la tête tout en ouvrant la porte du salon principal au premier étage. Le deuxième est très dur à chauffer et presque entièrement détruit suite aux nombreux éboulements, alors nous restons la plupart du temps au premier.
Une grande table faite à partir de cartons collés entre eux, trône au milieu de la pièce et un jeu de marelle est dessiné sur le sol, à la craie.
Présent dans la pièce, il y a Leslie et Ben, 7 et 8 ans, qui s'amusent à lancer des bouts de bois pointus et des cailloux sur la marelle, et Anastasia, la plus vieille, âgée de 19 ans, un chale rose vif enroulé sur sa tête et ses épaules, celui qui ne la quitte jamais, assise autour d'un feu qu'elle essaie d'allumer, à côté de la fenêtre, afin de réchauffer la pièce.
Cet hiver va être vraiment glacial. Les températures ont chuté depuis l'année dernière, on est à 4 °C dehors. Ici, il doit faire à peine plus de 9°C. Les murs, sont plutôt bien isolés, mais nous nous trouvons dans la ZHC, la "Zone Hors City", comme ILS l'appellent, la zone autour du Dôme. Là-dessous, ils peuvent contrôler la température, ils arrivent aux alentours de 15 °C, en hiver. C'est juste un réconfort pour eux, mais nous, on le voudrait bien ce "petit" réconfort, je pense ironique. Nous crevons de froid, et Lili, la petite dernière qui a eu à peine 6 ans en octobre, est très malade. Les médicaments étant très chers dus à leur rareté, on ne sait pas quoi faire. Cela fait déjà une semaine, et sa fièvre empire de jour en jour...
Je me précipite pour aider Anastasia. Elle a réussi à trouver des branchettes et un peu de papier, ce qui est très prometteur, et avec des pierres, j'essaie de créer des étincelles et elle souffle dessus. Au bout de quelques temps, des flammes naissent de notre travail. Nous osons à peine respirer, de peur d'éteindre le feu, mais sourions, fatigués.
J'ouvre la petite fenêtre fissurée, et débouche les deux trous dans le mur d'à côté, en enlevant les pierres et briques, trous qui nous servent d'évacuation à la fumée, produits par les ebouelments. Ainsi, on chauffe la pièce tout en évitant de s'intoxiquer par la fumée.
Les enfants se précipitent vers le feu et s'assoient autour, je demande :
- Où sont Lili, Fred et le Trio ?
- Ils sont là-haut, en train de s'occuper de Lili. Amènes-là ici, s'il te plaît, tant que le feu brûle encore, lance doucement Anastasia, de sa voix cassée par le froid.
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