Part 3 怜惜
Chao plaqua Wei Ying sur la terre froide et vissa ses poignets au sol.
— Vas-tu finir par me laisser tranquille ?!
— Je sais que tu as quelque chose de spécial, siffla le chasseur, suspicieux. Personne ne m'avait encore fait un tel effet avant.
— Ha ! Tu es simplement attiré par les hommes et tu le réalises seulement maintenant, pouffa le jeune dieu.
— La ferme ! C'est bien plus que ça. Tu as quelque chose, je te dis... et je vais le découvrir.
Avant que Wei Ying ne rétorque, les hennissements d'un cheval trottant parvinrent à ses oreilles. Il bouscula Chao pour se redresser et figea un œil de lynx sur le cavalier, à une cinquantaine de mètres de là. Son cavalier. Ses yeux s'agrandirent. Il bondit.
— Lan Zhan !
— Eh ! Où crois-tu aller comme ça ?
Chao l'enserra par la taille et les fit chuter à genoux.
— Laisse-moi !
— Il ne veut plus te voir.
— Je dois lui parler !
— Mais pourquoi es-tu si obsédé par le maître ? maugréa Chao en le poussant contre la paroi rocheuse.
— Nous sommes liés depuis des millénaires, espèce de fou ! s'écria Wei Ying, exaspéré. Je le connais mieux que quiconque, je l'observe depuis toujours et l'ai aimé dès ses premiers jours. Je me fiche que son cœur appartienne à quelqu'un, je dois rester dans sa vie. Maintenant, fiche-moi la paix !
— Tu... tu...
Chao se pétrifia, bouleversé par l'impensable.
— Qui es-tu vraiment ? reprit-il, effaré. Dis-le-moi !
À bout de nerfs et hors de raison – peut-être, aussi, une telle révélation le ferait-elle fuir ? – Wei Ying céda.
— Je descends des cieux, humain stupide ! Et je suis aujourd'hui piégé dans ce corps mortel car je suis damné !
— Tu es... un dieu ?!
Chao en eut le souffle coupé. Wei Ying le fixa, mâchoire serrée, mais à sa grande surprise, ce dernier ne fit que renforcer son emprise sur ses avant-bras, les yeux pétillants.
— Es-tu sourd ou cherches-tu à être maudit, sale fou ?
— Tu as dit que tu étais damné... reprit le chasseur.
Il ricana, le regard aussi brillant que celui d'un aliéné.
— Que pourrait-il m'arriver venant d'une divinité dans ton genre ? As-tu des pouvoirs ? Connais-tu les moyens de m'enrichir dans ce monde ?
Les questions fusèrent, agaçantes.
— Je ne te dirai rien, aboya Wei Ying en le rejetant fermement.
Piqué, Chao le projeta au sol et le dévisagea avec avidité. Son silence malsain n'était pas de bon augure. Cet homme n'était ni effrayé ni prêt à le respecter. Pire, il le regardait à présent comme un trésor.
— Je vais t'emmener à la Ville des Stèles pour découvrir ce que tu as offrir.
Le jeune dieu tressaillit. De sa voûte céleste, il avait assisté aux infamies infligées à ceux qu'on soupçonnait d'être des déités ou des mages. Il n'y avait dans cette cité que des êtres assoiffés de gloire et de richesses, déterminés à soumettre et blesser toute âme supérieure par cupidité. Wei Ying recula grâce à ses pieds, visant, par œillades, la sortie de la caverne.
— Oh, non ! Cette fois, tu ne t'enfuiras pas.
— On parie ?
D'un geste bref, il lança au visage de Chao une poignée de terre aveuglante qui lui laissa le temps de lui glisser entre les doigts.
À peine dehors, la pluie frappa sa peau. Le vent glacial lui gelait les reins. Tout en hurlant le nom de Lan Zhan, Wei Ying fila entre les arbres et rejoignit le chemin qu'il l'avait vu emprunter, manquant de déraper à plusieurs reprises sur le sol boueux. Au recoin d'un virage lointain, il aperçut la croupe du cheval blanc. Encore une fois, il cria ; sans succès. L'animal continuait à s'éloigner.
Essoufflé et trempé jusqu'aux os, il freina l'allure et finit par tomber à genoux, aux portes du désarroi. Il leva les yeux au ciel, dents serrées, et se maudit.
Chao saisit ses bras et les tendit douloureusement en arrière pour lui nouer les poignets. Wei Ying réprima un cri, résolu à camoufler sa souffrance.
— Putain, tu vas cesser de t'agiter ou je dois t'en coller une ? Tu es vraiment un sacré spécimen !
— Je ne t'apporterai rien, abruti. Je suis damné.
— C'est ce que nous verrons bientôt, déclara le cupide en le remettant sur ses pieds. A partir de maintenant, tout de toi m'appartient.
Ces paroles firent frémir Wei Ying, aussi écœuré qu'indigné. Si cet être perfide pensait pouvoir le soumettre, il se fourvoyait. Il avait enduré les pires sévices durant ses nombreuses vies, et le Patriarche de Yiling n'aurait su se plier à une autorité telle que la sienne. Que ce bougre espère, qu'il lui brise les membres ! Il éprouverait ses supplices sans ciller.
— Chao !
Les deux se retournèrent. Le visage de Wei Ying s'illumina.
— J'ai entendu crier mon nom, clama le cavalier.
— Non, maître Lan, c'était seulement lui, grimaça le chasseur.
Un « mh » ennuyé plus tard, Lan Zhan frappait le flanc de son cheval pour reprendre sa route.
— Lan Zhan, je t'en prie ! hurla Wei Ying, désemparé.
— Reste tranquille !
— Lan Zhan !
Ses bras ficelés dans son dos interpellèrent le maître. Sa monture se détournait déjà alors qu'il hésitait encore. Ce garçon était peut-être l'un de ces odieux profiteurs, mais cautionner la violence n'était pas dans ses habitudes. Il pesta contre lui-même tout en pétrissant la bride trempée de son destrier. Les appels désespérés de Wei Ying, traîné par son subordonné, lui nouèrent l'estomac. Sa voix se brisait, et, pour une raison inexplicable, son cœur se déchirait à chacune de ses suppliques.
Lorsqu'il l'entendit pousser un cri de souffrance, ses poings et sa mâchoire se crispèrent. Il se retourna et découvrit la scène avec horreur : sous son nez, son homme de main cognait jusqu'au sang le visage du garçon, ligoté et sans défense.
— Chao !
Mais les coups pleuvaient toujours ; une désobéissance délibérée. Son sang ne fit qu'un tour. Il abandonna sa monture et saisit le bras du chasseur pour le stopper dans son élan. Dans son regard brillait l'indescriptible hargne d'un fou possédé par l'envie. Jamais encore il n'avait vu son homme de main dans un état tel.
— Laisse-le partir.
— Oh, Maître, je ne peux pas... absolument pas, gloussa le fourbe en dévorant sa proie des yeux. Il est à moi. À moi.
Ces derniers mots, susurrés en leur fin, déconcertèrent Lan Zhan. Nombreuses étaient les personnes étranges dans leur canton, mais ce comportement-là était celui d'une âme ensorcelée. Il dévisagea Wei Ying, livré à sa brutalité. Le sang et la terre humide maculaient ses joues meurtries et ses haillons ternis. Sa lèvre était fendue et ses pommettes tuméfiées laissaient entrevoir la douleur infligée. L'abandonner entre les griffes de Chao était tout bonnement inenvisageable ; un lapin blessé contre un fauve. Quand il écarta sa proie sur le côté, le chasseur entra dans une colère noire.
— Non !
— Wen Chao, stop !
— Je dois l'emmener à la Ville des Stèles !
— Quoi ? Pour quelle raison ?
Wei Ying recula et se fit tout petit contre un tronc. Si Lan Zhan apprenait la vérité, quelle serait sa réaction ? Allait-il le rejeter pour de bon ? l'exploiter, lui aussi ? Non, son humain n'était pas ce genre d'ignoble personne... n'est-ce pas ?
Chao fixa son maître, l'euphorie luisant dans ses pupilles dilatées.
— Maître Lan, ce garçon est un dieu prisonnier d'un corps mortel...
Le regard de Lan Zhan s'agrandit. Il lança un œil stupéfié à Wei Ying, qui, plaqué contre l'arbre, songeait au moyen de s'en sortir – si seulement il en existait un...
— De plus, je suis certain qu'il est l'incarnation de la beauté...
Chao susurra près de la joue de son maître, un sourire vicieux aux lèvres :
— Imaginez combien de gens seraient prêts à payer pour son corps...
Cette idée révulsa Lan Zhan ; il eut un mouvement de recul. Chao se dirigea à nouveau vers son trésor avec un rictus mauvais. Perdu pour perdu, Wei Ying abandonna le tronc pour se précipiter vers Lan Zhan. Oui, il connaissait bien son humain, et quitte à se jeter dans la gueule du loup, il choisissait de se livrer à lui.
Dans son élan et les bras liés dans le dos, il percuta son torse solide. En silence, il le fixa d'un regard larmoyant. Il ne demandait rien, non. Son destin n'appartenait qu'aux êtres suprêmes. Son unique volonté était de rester auprès de son être d'amour, quoiqu'il déciderait de lui infliger. Il pourrait alors partir en paix.
— Lan Zhan...
L'émoi dans ses prunelles grises toucha le cœur du maître.
Un dieu. Si ce garçon était un dieu, les souvenirs de leur ancienne vie commune s'avèreraient donc bel et bien exacts...
La divinité de la beauté, prisonnière d'une enveloppe mortelle... Il n'existait pire châtiment. Dans cette région gangrénée par l'avidité et la dépravation, une telle créature ne ferait pas long feu.
— Quoique tu fasses de moi, je me plierai à ta volonté, bredouilla Wei Ying. Parce que c'est toi, Lan Zhan...
— Viens ici ! Espèce de...
Les deux amis échangèrent un regard intense avant que Chao ne se rue sur sa proie. Lorsqu'il saisit la corde qui nouait ses bras pour le tirer en arrière, Lan Zhan l'agrippa et le retint près de lui. Le chasseur n'en crut pas ses yeux. Son maître était lui aussi tombé sous le charme divin et tentait à présent de lui dérober son trésor. Il émit un rire dément et passa une main nerveuse dans ses cheveux dégoulinants.
— Oh, Maître, je ne peux pas... non, je ne peux pas vous le laisser. Pardonnez-moi, dit-il en sortant un couteau cranté de son vêtement, mais il est à moi.
Lorsque Wei Ying découvrit l'arme, il prit peur. Non pas pour son corps mortel, mais pour celui de son humain. Ce démon pouvait bien le prendre, le tourmenter à sa guise, son âme sœur ne devait pas risquer sa vie pour la sienne.
Il leva les yeux vers son ami de toujours et sourit tristement.
— Je ne veux pas qu'il t'arrive quoique ce soit par ma faute, Lan Zhan. Laisse-le m'emmener, ça va aller.
— Tu n'iras nulle part.
Les deux hommes fixèrent le maître, abasourdis. Allégation prise pour affront. Furieux, Chao fondit sur eux, l'arme brandie. Lan Zhan attira Wei Ying contre sa poitrine, un bras ferme autour de lui, et esquiva l'assaut. D'un geste vif, il s'empara de la dague qu'il cachait dans sa botte, et, avant que le chasseur ne renchérisse, projeta la lame dans sa cuisse. Chao lâcha son poignard et s'écroula dans un hurlement.
Wei Ying, sidéré, contempla le vaurien gémissant au sol, puis dévisagea Lan Zhan. Pour le préserver, il avait mutilé l'un de ses subalternes.
— Je... je suis désolé. Je t'ai causé tant d'ennuis...
— Wei Ying.
Lan Zhan le fixa avec une sérénité apaisante. Celle qui avait toujours été sienne.
— J'aurais dû écouter mon intuition. J'aurais dû t'écouter, toi.
Un sourire tremblant étira les lèvres du jeune dieu. Les bras puissants de Lan Zhan s'enroulèrent autour de lui et scellèrent leur étreinte. Bien que transi de froid, écorché et toujours ligoté, Wei Ying sentit son cœur se réchauffer. Il enfouit le nez au creux de son épaule, rassuré. Le parfum de musc de son humain était différent de l'ancien, bien sûr, mais il avait conservé, à travers les âges, la même note fidèle. Subtile douceur florale.
Chers lecteurs, j'ai dû dépublier cette histoire il y a quelques jours pour une histoire de ban.
Elle a donc disparu de toutes les bibliothèques...
Si vous pouviez m'aider à lui rendre sa visibilité en l'ajoutant dans vos listes publiques, je vous en serais très reconnaissante 💜
Je vous invite à me suivre sur ce compte de secours : Violette_Ed_Secours
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