II. Récolte d'hiver (partie 2)
Puisque les chapitres sont assez longs, je vais diviser le premier en trois et plus en deux. Désolé si vous avez cru que c'était un nouveau chapitre.
Rahali les mena tout les deux aux bords effondrés d'une crevasse. Regardant au fond, le lynxoras désigna de sa griffe l'animal au cou brisé ce qui rappela d'affreux souvenirs à Morgan. Le cerf était coincé de telle façon qu'il ne pouvait plus glisser jusqu'à l'eau tumultueuse perdue dans le noir et restait là, où la glace était encore bleue et l'eau qu'un murmure. Le jeune homme avait perdu des couleurs et ses mains devinrent moites. Sa gorge s'était serrée à cause de sa grande tristesse. Mais son ami ne s'en rendit pas compte obnubilé par sa tâche.
— Voilà ce qu'on va faire. Je vais descendre pour récupérer la bête et toi tu me lanceras la corde qui se trouve dans mon sac pour que je puisse l'attacher. Ensuite, je remonte et on le sort de là.
— D'accord, ce plan m'a l'air bien. Du moins que je ne dois pas aller te chercher en bas, rajouta-t-il.
— Miodeso* !
Il s'arrêta en fixant Morgan, surpris. Il dressa les oreilles vers l'avant, passant de la surprise à l'inquiétude.
— Tout va bien ?
— Oui, oui... ça va, répliqua-t-il après réflexion.
Sans rien dire de plus, Rahali sauta en contrebas pour atterrir sur ses pattes comme un chat. Il connaissait ses manies. Le jeune homme se refermait sur lui-même quand il avait mal et il ne réussissait jamais à obtenir des explications. Et ça le gênait, il détestait voir de la souffrance chez les autres !
Une fois qu'il se fut stabilisé en s'accrochant à l'aide de ses jambes quelque peu tremblantes, le lynxoras se rapprocha de la bête.
Il l'empoigna par un bois encore doux. Cela montrait que le printemps était censé être de retour. Malheureusement ce n'était plus le cas depuis des siècles. Retenant un soupir à cette pensée, mais gardant les oreilles aux pointes touffues basses, Rahali appela son compagnon. Ils n'avaient jamais vu ce que les ancêtres appelaient la Renaissance. Enfants, tout deux croyaient que la saison morte serait partie, que ce n'était que pour une courte période. Mais le temps était passé et jamais l'étendue blanche n'avait été remplacée.
La réponse ne tarda pas à arriver. Morgan partit chercher la corde dans le sac que son ami avait posé à l'écart de la gueule béante de glace. Ouvrant la besace, il farfouilla dans ses affaires jusqu'à trouver l'objet de ses désirs. Il ne put s'empêcher de penser que ce sac était encore plus bordélique que d'habitude. Tout à fait normal pour Rahali, beaucoup moins pour lui. Il ne savait pas trop s'il devait en être exaspéré ou amusé. Pour l'instant, c'était la deuxième option et il se changeait les idées.
La liane tressée était cachée par un couteau rangé dans un étui usé qui manquait cruellement de graisse. Le jeune homme se dépêcha de la prendre après s'être défait de ses gants en laine. Tout de suite, le froid mordit sa peau comme une bête affamée. Par facilité il s'était libéré les mains. Maintenant il se maudissait d'avoir eu cette stupide idée. Il allait avoir à coup sûr des fissures très douloureuses sur le bout des doigts.
Il retourna au bord de la crevasse, dérapant sur ses pieds. Là, il déroula la corde et la lança dans le trou où elle tomba comme un serpent brun. Morgan attendit ensuite que Rahali attache le cerf.
Son ami passa la corde tressé autour du corps de l'animal et fit un nœud coulant pour l'empêcher de glisser. Dès qu'il eut fini, le lynxoras remonta à l'aide de ses griffes qu'il planta dans la paroi de glace. Celle-ci s'effrita et de minuscules particules se détachèrent pour planer comme des plumes vers le fond où elles disparurent, avalés par le courant. Prenant garde à ne pas finir comme la neige, Rahali ne regarda pas vers le bas de peur d'avoir le vertige. Il finit par atteindre le bord où il s'enfonça dans la fine croûte blanche en se tirant à l'aide de ses bras. Morgan l'attrapa pour le tirer définitivement hors de la crevasse. Mais c'était comme pousser un bœuf, ça ne servait à rien.
— Merci mon ami. Maintenant, nous n'avons plus qu'à sortir la carcasse, souffla Rahali en époussetant ses vêtements et en les remettant en place.
Il se retourna en un éclair vers la corde qui tailladait la glace comme un couteau. Et là, le lynxoras manqua de dégringoler en mettant une patte dans le vide. Un frisson de frayeur traversa les deux compères qui s'étaient raidis et Rahali se hérissa. Les poils de sa crinière finirent par s'aplatir en même temps que les battements de son cœur se calmaient. Rahali étouffa un rire de nervosité en se tournant vers son ami.
— Au pire, j'aurais pris un bain, lacha-t-il dans une vaine tentative d'humour.
— C'est sûr... après une chute mortelle, repliqua Morgan.
Il se garda bien de le montrer mais il n'en croyait pas ses oreilles. Il venait de frôler la mort et c'était tout ce qu'il trouvait à dire ! Comment savaient-ils se supporter ? Il n'en savait fichtrement rien.
Le jeune excité agrippa la corde et tira de toutes ses forces en l'enroulant autour de son poignet droit où le tissu était le plus épais. La liane frotta contre la paroi, produisant un bruit étouffé. Un raclement suivit bientôt, preuve que leur plan marchait jusqu'ici.
Enfin quelque chose qui marche, pensa-t-il.
La carcasse apparut. Ils tirèrent une dernière fois sur leurs membres dans lesquels une chaleur désagréable se propageait et la bête après avoir opposé une dernière résistance tomba au sol. Le cerf avait une magnifique ramure striée de veines ainsi qu'une toison imposante. Les muscles de l'animal étaient développés montrant qu'il était en bonne santé. C'était l'une de leurs meilleures prises et cela les réjouissait dans ce monde peu enclin à la facilité. Poussant un cri de joie, Rahali siffla à deux reprises en guise d'ordre mais aussi de contentement. Les notes aiguës s'envolèrent dans les airs. Après un temps d'attente des plus brefs, des hurlements leur firent écho.
De gros chiens les rejoignirent, la langue pendante et la queue battante. À leur allure, les compères pouvaient comprendre sans aucune difficulté que les animaux étaient contents de revoir leurs maîtres. Ils filaient comme les carreaux d'une arbalète, leurs longues pattes avalant la distance qui les séparait d'eux. Les molosses ralentirent à leur hauteur, lâchant des jappements et des aboiements. Le plus jeune vint frotter sa tête massive sur les jambes de ses maîtres en réclamant des câlins. Malgré leur apparence brutale, ces chiens étaient d'une grande gentillesse et de très bons joueurs. La plupart d'entre eux avaient un poil court de couleur fauve et les oreilles tombantes. Leur museau noir, large et aplati, possédait de nombreux plis et de grandes babines cachant leurs crocs.
Sachant qu'ils adoraient les caresses, les deux amis ne purent éviter le quart d'heure de folie des chiens. Ils se roulaient dans la neige et prenait la position du sphynx pour jouer. Un long moment après avoir distraits leurs maîtres, les canidés s'éloignèrent.
Morgan et Rahali attrapèrent chacun un côté du cerf et repartirent en direction du traîneau, leurs chiens comme protection. Le retour fut encore plus difficile que l'aller, le poids de la bête et sa taille les empêchaient de marcher d'un pas vif. Ils s'enfonçaient dans la couche de neige où des bosses et des trous faisaient plus penser à un champ de bataille qu'à un simple chemin. À plusieurs endroits, ils faillirent même tomber à cause d'une crevasse dissimulée ! Les deux amis parvinrent malgré tout en bas de Dorcha en un seul morceau. Ils traversèrent la forêt de Givre et s'arrêtèrent dans la plaine étincelante de blancheur dominée par la masse noire de la montagne.
— Un paysage de désolation, non ? murmurra Morgan.
— Je trouve pas. C'est impressionnant. Moi, ça me donne envie de courir, rajouta la tête brûlée les yeux brillant de malice.
— Vraiment ? Qu'est ce que tu attends pour le faire alors ? C'est moi qui vais te gêner ?
— Non, le cerf ! sourit-il, l'air de dire qu'il aurait dû le trouver sans problème.
— Tes tentatives d'humour sont à pleurer, dit le jeune homme en roulant des yeux.
— À ce point ? Tu es horrible ! exagéra le lynxoras.
Au loin, à l'opposé de l'astre du jour, ils pouvaient distinguer une colline où se dressait la ville de Versla. Elle se composait de plusieurs étages enroulés autour du mont. Les premiers niveaux à l'extérieur des remparts étaient les plus sales, pauvres et boueux. En revanche, les derniers qui, eux, étaient protégés, s'averaient riches et bien entretenus. Là, était leur destination. Selon Morgan, la disposition de cette ville s'hiérarchisait purement sans aucun autre but. Séparer les faibles des forts comme le disait Rahali. Tout deux s'accordaient sur un point, cette mentalité apparaissait comme horrible.
Les amis déposèrent leur proie sur le traîneau et l'attachèrent à l'aide de longues cordes pour la maintenir en place. Morgan appela les grands chiens pour fixer leurs larges arnais en cuir solide au moyen de transport. Les animaux, ayant de l'énergie à revendre, s'excitaient et lui tournaient autour, compliquant sa tâche. Le jeune homme essayait en vain de les calmer en chuchotant des doucement et des du calme qui n'avaient pas l'air très efficaces.
Morgan finit par tous les attacher après s'être débattu pendant un bon quart d'heure mais il avait tout de même reçu quelques coups de queue et de tête ainsi que de la bave sur ses habits. Légèrement dégouté par les coulées des chiens, il se releva presque sûr d'attraper des bleues. Le jeune homme s'accrocha à l'arrière du traîneau lorsqu'une pensée lui traversa l'esprit.
— Comment vas-tu rentrer ? demanda-t-il en s'adressant à Rahali.
— À ton avis ? Mon compagnon me portera !
Et comme pour confirmer sa réponse, il cria le nom de son esprat Alpha que le vent emporta d'une rafale dans le lointain. Un grincement strident à en crever les tympans s'éleva en réponse. Les chiens en gémirent et les compères se bouchèrent les oreilles autant que possible. Résonant dans la plaine comme s'il était partout, qu'il les entourait, l'animal compagnon se matérialisa peu à peu devant eux.
D'abord forme éphémère de brume vaporeuse, il se solidifia pour apparaître dans sa totalité. L'esprat avait pris l'apparence d'une grande gargouille aux écailles de pierres brutes dont la gueule ressemblait à un four rempli d'aiguilles. Une queue plate comme la nageoire d'un dauphin était rattachée au corps trapu de la bête. Elle possédait une crête osseuse sur la tête ainsi qu'une paire d'ailes noir charbon. La gargouille se tourna vers son maître et s'exclama d'une manière solennelle bien différente de la façon de faire de Rahali :
— Mes sincères salutations maître. Rentrons-nous ?
— Bonjour Samaël ! En effet, nous rentrons.
Rahali monta sur le dos lisse de son compagnon à quatre pattes. Il donna un coup de talon dans ses flancs musculeux et l'esprat bondit en avant, faisant gicler la neige autour d'eux comme des oiseaux apeurés. Ils prirent de l'avance, laissant derrière eux les chiens excités et Morgan, qui eut le temps d'entendre son ami le mettre au défi d'arriver avant lui à Versla. Il laissa échapper un gloussement et héla les molosses qui tiraient déjà comme des fous. Dès qu'ils eurent l'autorisation les deux premiers s'élancèrent sur les profondes traces de la bête de pierre. Le vent siffla à leurs oreilles, giflant le visage du jeune homme, dont la peau virait à un rose prononcé aux endroits les plus exposés.
Le traîneau glissait sur la glace avec rapidité tel une flèche. Les chiens avalèrent la distance qui les séparait de leur concurrent grâce à leurs grandes enjambées. Morgan et ses animaux rattrapèrent Rahali et le dépassèrent après avoir parcouru la moitié du voyage de retour. Le jeune homme salua son ami d'un signe de la main, essayant de le provoquer puis il incita ses canidés à accélérer. Le lynxoras leva le poing en l'air en guise de réponse et se coucha sur le dos de sa monture pour le suivre.
Les quelques herbes verdâtres qui traversaient la couche de poudreuse disparurent de plus en plus vers le centre de la plaine pour ne plus être présentes. La raison était fort simple mais la plupart des peuples l'avaient oubliée depuis des siècles. Depuis la Chute. Des craquements graves résonnaient sous le poids des patins de métal du traîneau en plus des sifflements dus aux frottements mais aucun d'eux ne les remarqua. La surface recouverte seulement par du givre brillant cachait un danger endormi, qui était bien plus menaçant que les monstres du nord. Les deux amis ainsi que les chiens et l'esprit passèrent sans le moindre problème. Ils ne l'avaient pas réveillé. Du moins, pour le moment...
La bande arriva près de la colline où la neige avait été retirée. Des roches parsemées d'herbes sauvages la formaient. Ils entrèrent dans la première partie de la ville. La route, qui serpentait vers le sommet, ressemblait plus à un sentier poussiéreux de boue gluante pleine de crasses qu'à une allée pavée propre, où les gens pouvaient marcher sans risquer de perdre une chaussure. Morgan se dit que c'était peut être exagéré mais pas si loin de la réalité à son avis.
Sur les côtés, des fermes aux toits de chaume, dispersées aux quatre vents, constituaient cet étage. Des hautes haies les séparaient mais elles manquaient de feuillage pour cacher ce qui se passait chez les voisins. Une certaine puanteur régnait sur les lieux, donnant la nausée aux compagnons peu habitués à elle. L'odeur venait des porcheries et des champs, où les animaux vivaient le jour. Dans le froid, ils pouvaient sentir la fumée d'un feu planer dans l'air mais ne la voyait pas.
La plupart de ces paysans étaient des serfs qui appartenaient au seigneur de Versla. Infecte pour Rahali et incompréhensible pour Morgan. Comment pouvait-on se servir ainsi d'êtres humains ? Ces actions étaient malsaines pour eux ! Ils se promirent qu'un jour dès qu'ils le pourraient, ils se batteraient contre cette injustice immonde.
Ils finirent de traverser la série de champs vides et arrivèrent à l'enceinte. Massive, la ville, qui avait ses bases fermement plantées dans la roche, était gardée par deux protecteurs, les chevaliers au service des hauts seigneurs formés par l'académie. Morgan arrêta les chiens et descendit du traîneau qui ne servait plus à rien dans cette zone. Il les soulagerait au moins de son poids pour le reste du chemin. Rahali, lui, autorisa son esprat à se retirer après avoir sauté au sol. Ne se faisant pas prier, celui-ci disparut dans un nuage de cendres pour rejoindre sa caverne, le lieu où les compagnons reprenaient des forces.
Les deux amis vinrent à la rencontre des gardes positionnés de chaque côté de la grande porte. Celle-ci, taillée dans de la pierre rosâtre tirant vers violet sur les bords et au blanc pour le centre, possédait deux tours dont la toiture était faite d'ardoise bleue. Les protecteurs, deux hommes, pointèrent leurs longues lances vers eux les obligeant à s'arrêter, ce qu'ils firent sans rechigner face aux armes. Elles étaient entièrement faite d'un métal noir. La pointe en fer, elle, était sculptée pour représenter des flammes en reliefs et les reflets sur son bout lui donnaient une allure encore plus agressive. Les humains portaient une imposante armure métallique qui brillait au soleil, projetant des taches argentées sur le sol. L'un d'eux, aux cheveux blonds, avait une cicatrice rougeâtre qui lui déformait tout le visage et, vu son aspect, le coup venait sans doute d'un cerbère. Une bête agressive qui adorait les forêts mais aussi le feu.
— Qui êtes-vous et pourquoi voulez-vous entrer ? demandèrent-ils sèchement en suivant le protocole.
— Je suis Rahali Marout et mon ami, Morgan Daar. Nous souhaitons rentrer chez nous.
— Montrez-nous votre clef d'entrée dans ce cas.
— Très bien.
Sans plus attendre, les amis sortirent de sous leur manteau humide une clef d'or massif qui appartenait aux plus riches. La représentation de Loorna, déesse de la Lumière Salvatrice, y figurait sous la forme d'une boule de feu. À son bout apparaissait celle des trois divinités dirigeantes, Sera le Temps, Seri le Destin et Seru la Mort. C'était trois griffons de cristal, de sable et d'onyx entrelacés. Le travail était sublime mais Rahali le trouvait gâché. Il aurait bien voulu qu'il serve pour les pauvres. Morgan, lui, ne le comprenait pas mais partageait aussi ces convictions. Le métal ne l'avait jamais convaincu de son importance pour apporter de l'aide. Les compères les présentèrent aux chevaliers. Après avoir vérifié que ce n'étaient pas des copies, les hommes se reculèrent pour leur laisser le passage libre.
Saluant d'un signe de tête les protecteurs, ils entrèrent alors dans l'enceinte de la ville même. Morgan, tout comme son ami, rêvait d'appartenir à cet ordre mais comme Rahali lui avait rappelé, aucuns d'eux n'avaient la moindre chance de le rejoindre. Encore un rêve inaccessible pour de simples fils de marchands. Cette envie venait du jour où une attaque de la part d'une vouivre un peu trop gourmande eu lieu. Celle-ci, sans doute affamée, avait forcé le passage jusqu'à un enfant. C'était grâce à eux que le gamin avait échappé à l'estomac de la bête.
Dans la nouvelle zone, les maisons de bois et de torchis se chevauchaient. Des lauses couvraient les toits des maisons et certaines d'entre elles étaient construites avec des arcades mais, toutes avaient la particularité d'avoir les façades en encorbellements. Ils prirent une route parallèle à celle qu'ils quittèrent et rejoignirent une série d'échoppes, suivis de près par les chiens. Des enseignes pendaient, fixes, au-dessus du chemin étroit qui possédait un caniveau sale en son centre. Rahali finit par se stopper devant une boutique aussi haute en couleurs que les autres, celle du boucher.
— Eh bien, nos chemins se séparent ici. À bientôt, ma hirmeno de cosazîn*.
— C'est ça, à bientôt.
Le lynxoras attrapa le cerf qui reposait sur le traîneau et le mit sur son épaule après l'avoir détaché de ses liens. Il trotta ensuite jusque chez lui avec le poids lourd. Morgan continua son chemin, ses bottes claquant sur les pavés du bord de la route. Le jeune homme traversa plusieurs croisements et arriva sur une petite place non loin des halles. Un beffroi était planté au milieu. Surplombant la ville, tout en finesse, il pouvait servir de tour de guet contre les attaques autant que le feu. Sur toute sa surface, des gravures, arabesques et sculptures le décoraient, montrant la richesse du seigneur Duncan. Très joli d'après Morgan. Mais, il trouvait tout de même dommage que ce soit juste par orgueil qu'il y ait autant de beauté.
Morgan se dirigea vers la boutique du tisserand, semblable aux autres habitations. Arrêtant les chiens après les avoir détachés à l'extérieur, il poussa la porte. Un carillon sonna doucement avertissant le maître des lieux. Un petit homme, assez gros, apparut. Il devait avoir dans la cinquantaine avec ses cheveux blancs et son début de calvitie. Des rides creusaient son visage flasque. Seuls ses yeux bruns, qui brillaient d'un vif éclat, semblaient le rajeunir.
— Ta mère était inquiète, jeune homme. Voilà deux jours que vous étiez partis. Vous avez au moins rapporté quelque chose ? dit-il d'une voix bourrue.
— Comme toujours... Oui, nous avons attrapé un cerf en plus d'autres petites bêtes.
— C'est déjà ça. Va donc rassurer ta pauvre mère qui se ronge les sangs. Moi je vais m'occuper des chiens avant qu'ils ne fassent une bêtise, dit-il en entendant des aboiements.
— Bien sûr ! accepta Morgan, en souriant.
Le jeune homme disparut au deuxième étage qui était leur pièce de vie, en passant par les escaliers toujours aussi grinçants. Il traversa le salon en semant derrière lui de la neige boueuse et passa la porte de la première chambre. Morgan trouva sa mère assise sur son lit où reposait une fourrure grise de mouton. Elle avait des cernes sous ses yeux verts, témoignant de sa fatigue. Ses cheveux bruns étaient attachés en un chignon grâce à une barrette en cuir de la couleur des feuilles au printemps. Lorsqu'elle le vit, elle se lève d'un bond et alla le serrer dans ses bras minces avec vigueur.
— Que le gardien te bénisse ! Je suis heureuse de voir que tu n'as rien.
— Maman, je ne suis plus un enfant, tu sais. Je ne crains rien.
— C'est cette situation. Ta sœur qui doit vivre cachée, ta grand-mère qui est sur son lit de mort et toi qui part en vadrouille. J'ai déjà perdu un enfant, je ne veux plus en perdre.
- Ne t'en fais pas. Tôt ou tard les temps changeront, dit-il pour la rassurer. Et c'est mon rôle de chercher le nécessaire dehors. Je vais aller voir les autres et ranger ce manteau maintenant.
Sitôt dit sitôt fait, Morgan se débarrassa de son épais vêtement qui ne lui servait plus à rien à présent grâce aux pierres chauffantes pendues au plafond. Il enleva également sa capuche et son masque, révélant une chevelure abondante aussi blanche que la neige. Le jeune homme avait hérité des yeux et des cheveux de son père mais avait les traits fins de sa mère. Heureusement pour lui, il était déjà moins boule de nerfs que celle-ci. Le jeune homme allait partir voir sa petite sœur de dix ans quand le cor de rassemblement résonna sur la grand-place. Sachant ce que cela signifiait, il descendit les marches à la volée et attrapa une pierre chauffante pour sortir à la suite de ses parents. Il se promit de passer chez sa biche tout de suite après.
Tous les habitants de Versla s'étaient réunis sur la place centrale où un énorme arbre noir aux feuilles de cristal trônait près d'un trou sans fond. Sur l'estrade de bois se tenait le seigneur Duncan ainsi qu'un messager. Celui-ci était un homme fier d'une grande taille qui ressemblait à un vautour. Le messager lui était presqu'un enfant, il tenait un parchemin enroulé dans sa main. Le sceau d'un seigneur du nord était visible. Un hibou aux ailes déployées. Une pensée désagréable traversa l'esprit de Morgan. Ils ressemblaient à un troupeau de moutons réunis auprès de son berger.
Mais, une chose clochait, le gamin avait l'air de s'être fait attaquer et le papier avait les bords roussis. Les nouvelles ne risquaient pas d'être bonnes.
Voici le vocabulaire des lynxoras, (inspiré de l'espagnol)
*Miodeso = Froussard
*ma hirmeno de cosazîn = Mon frère de cœur
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