Chapitre 7
S'il avait été seul, Harlock aurait déjà pris le large pour arracher Tianna des griffes de ces maudites sorcières végétales, mais la présence d'un équipage à bord impliquait certaines contraintes. Comme informer ses hommes de ses intentions, notamment.
— J'comprends rien à cette histoire, captain, lâcha Maji. C'est qui, cette gosse ?
La salle de briefing accueillait ce qui pouvait se rapprocher le plus d'une cellule de crise sur un vaisseau pirate : ce qui se rapprochait le plus d'officiers, ce qui se rapprochait le plus d'une antenne médicale et ce qui se rapprochait le plus d'un commandement. Maji, Dan, Loop, Zero et Kei. Et lui.
Et, en retrait, silencieuse et effacée, Mimee.
— Ouais ! renchérit Dan. Pourquoi cette petiote devrait-elle nous faire abandonner ? Ce n'est plus le moment de se défiler ! On les tient par les couilles, captain !... Enfin, façon de parler, précisa le chef artilleur après réflexion.
En l'occurrence, c'était plutôt les Sylvidres qui le tenaient lui, songea Harlock. Eyen connaissait très bien ses points faibles.
— C'est ma fille, lâcha le capitaine pirate.
Il jeta un coup d'œil à Mimee. L'extra-humaine aux cheveux bleus ne bougea pas. Elle semblait... détachée de la situation. Il la désigna du pouce.
— ... et la sienne, termina-t-il.
Il aurait brandi une grenade à plasma qu'il n'aurait pas produit plus d'effet. Dan et Maji restèrent figés la bouche ouverte, Loop se fendit d'un sourire béat et Kei... se renfrogna. Seul Zero, déjà au courant, ne broncha pas.
— Et... continua-t-il avant que quiconque ne reprenne la parole, je n'ajouterai rien de plus. Inutile de me poser des questions.
Loop leva timidement le doigt.
— On peut quand même savoir son nom, capitaine ?
Harlock haussa les épaules. Oui, ça, ils pouvaient.
— Tianna.
Il embraya rapidement sur son plan d'action afin de couper court à d'autres questions. Quoi que, à tout prendre, il préférait encore que les gars l'interrogent sur Tianna plutôt que sur Eyen.
— Bien, commença-t-il. À l'évidence, les Sylvidres espèrent que l'Arcadia va quitter la zone pour se lancer dans une opération de sauvetage. Je ne vous cache pas que c'est l'option qui a ma préférence, mais, comme Dan l'a fait remarquer, ce n'est plus le moment de se défiler. Même si les Forces Solaires sont conséquentes, je crois que la Terre appréciera un petit coup de pouce de notre part face aux Sylvidres.
Il allait bien devoir finir également par avouer la vérité au sujet de cette Sylvidre avant qu'un de ses hommes ne se penche sur le fait que, contrairement à ses consœurs, elle avait les cheveux châtains et les yeux marrons. Comme lui.
Eyen.
Bordel.
Il déglutit.
— En conséquence, continua-t-il vaillamment, je compte laisser l'Arcadia ici pour qu'il poursuive le harcèlement de la flotte sylvidre. De mon côté, je vais partir chercher Tianna parce que c'est ce qu'Eyen souhaite : m'éloigner. Je pense pouvoir me débrouiller sans l'Arcadia. Et je pense que l'Arcadia peut se débrouiller sans moi.
Ça lui coûtait un peu de dire ça, mais c'était la vérité. L'Arcadia était un excellent vaisseau, Tochiro un excellent conseiller, et Kei avait déjà l'expérience du commandement.
Elle s'en sortirait très bien.
— Comment savez-vous que c'est ce que cette sorcière souhaite, capitaine ? répliqua Maji, sceptique. Est-ce que, comme vous l'avez dit, elle ne souhaite pas plutôt que l'Arcadia au complet batte en retraite ?
Le chef ingénieur s'interrompit, parut réfléchir, puis fixa à nouveau le capitaine.
— Et d'ailleurs, d'où est-ce que vous connaissez cette Sylvidre, captain ?
Harlock ferma les yeux. Nous y voilà... Mauvaise journée, décidément. Harlock se demandait si une excuse bidon du genre « nous avons déjà combattu par le passé » serait valable, lorsque Kei le devança. La jeune femme blonde arborait une moue légèrement dégoûtée.
— C'est sa fille aussi, fit-elle.
— Hein ? Putain captain, vous semez des mioches partout ou quoi ?
Harlock était passé à l'étude d'une argumentation basée sur « oui mais en fait ce n'est pas tout à fait ma fille ce sont des plantes en réalité et il y a eu des expérimentations et je n'étais pas volontaire », mais le regard que lui adressa Kei le fit renoncer. Sombre, le regard. Très sombre.
De toute façon, s'il se lançait dans une explication maintenant il en avait pour des heures, et il n'avait pas vraiment envie. Pas du tout, même. Il se rabattit donc sur une tactique qu'il avait déjà éprouvée à maintes reprises dans ce genre de situation délicate : ignorer totalement le sujet.
— Je partirai avant le premier quart de nuit avec une navette longue portée, reprit-il comme si l'intervention de Maji n'avait pas eu lieu. J'emmène Yulian et Stellie.
Kei leva un sourcil.
— À quoi cela va-t-il vous servir ?
— À les empêcher de faire des bêtises à bord, rétorqua-t-il.
Mais, effectivement, il doutait que leurs capacités offensives puissent lui servir à grand-chose pour secourir un otage. Non, il avait une autre idée, pour ça.
—————
Le briefing s'était terminé sans qu'aucun autre coup de théâtre majeur ne vienne le troubler. Kei était restée, seule dans la pièce vide, à regarder le mur en face d'elle sans le voir vraiment. Le capitaine partait en lui laissant l'Arcadia. Jamais elle n'aurait imaginé que cela puisse être possible. Comment pouvait-il abandonner son vaisseau ainsi ? L'Arcadia avait toujours été tout pour lui !
Presque tout, souffla une petite voix perfide.
Kei serra les poings. Dire qu'elle avait cru avoir gagné l'exclusivité ! Elle était une idiote ! Elle essuya d'un geste vif les larmes qui lui montaient aux yeux. Qu'importe. Elle commanderait l'Arcadia. Harlock serait fière d'elle.
Et personne ne la verrait pleurer.
—————
Yulian avait appris la fin de ce qu'il avait ironiquement appelé « ses vacances » par le docteur Zero. Le médecin s'était assuré de son bon état de santé avant de l'informer de la perspective qui l'attendait. Ça n'avait pas particulièrement réjoui Yulian.
Stellie, elle, était aux anges.
— On part en expédition avec le capitaine ! répétait-elle tout en vérifiant (une énième fois) le chargement de la navette.
Bon sang, cette fille ne cessait donc jamais de sautiller partout ? Yulian en venait à regretter que l'ordinateur principal ne leur ait pas liquéfié le cerveau à tous les deux.
L'air morose, Yulian sangla machinalement une caisse de premiers secours dans la soute de la navette. Une opération commando ! Avec lui ! Et... cette fille ! À quoi pensait le capitaine ?
... À part peut-être à les empêcher de poursuivre leur enquête sur le cœur, songea Yulian.
Il eut un sourire. L'éloigner n'allait pas éteindre sa curiosité. Surtout depuis que ce qu'il y avait au centre avait manqué de le tuer.
—————
C'était fou le nombres de « problèmes urgents de dernière minute à régler » qui sautaient au visage d'un capitaine lorsqu'il voulait s'absenter. Harlock avait l'impression que la pile de paperasse sur son bureau avait triplé de volume depuis qu'il avait annoncé son départ.
— Meaw.
— Tes frères et sœurs commencent à poser des soucis, visiblement, lança-t-il au chat tout en parcourant un rapport sur les dégâts causés – directement ou indirectement – par ces charmantes petites bêtes.
Le capitaine s'interrompit, fronça les sourcils. Attends voir...
— Qu'est-ce que tu fais là, toi ?
Il ne prit néanmoins pas le temps d'écouter les explications du chat : en effet, on toqua à la porte de ses quartiers, et il eut à peine le temps de répondre « entrez ! » que Kei s'était plantée devant son bureau, avait lâché « votre navette est prête, capitaine », avait tourné les talons et avait à nouveau disparu dans la coursive. Harlock jura.
— Kei ! Attends !
La jeune femme blonde fit mine de ne pas l'entendre. Il courut à sa suite pour la rattraper, lui agrippa le bras et la força à se retourner. Elle se dégagea d'un geste sec. Ses lèvres pincées transpiraient de colère rentrée.
Harlock soupira. Il pouvait comprendre ce qu'elle ressentait. Il ne lui avait jamais rien dit, pour Tianna. Et pour Mimee... et bien elle devait avoir supposé que l'extra-humaine était trop différente de lui pour qu'il se passe quoi que ce soit. Il pouvait comprendre, oui...
— Ce que je... ce que j'ai fait avec Mimee, commença-t-il en se forçant à utiliser le passé. Ce que j'ai fait avec elle n'a rien à voir avec ce que je fais avec toi.
— Tu veux dire : du sexe ? siffla-t-elle. Tu as pourtant bien dû coucher avec elle pour obtenir cette gosse !
Il se détourna, gêné.
— Juste une fois. Ce n'était pas... une bonne idée. Elle n'est pas humaine, son métabolisme ne fonctionne pas de la même manière que le nôtre.
Et elle avait failli en mourir. Depuis, elle s'était éloignée de lui. Physiquement du moins. Le lien psychique, lui, demeurait. Un couple sans en être un.
Cela convenait à Mimee. Il s'était persuadé que cela lui convenait aussi. Cela avait duré quelques années, puis il avait recroisé le chemin de Kei et il avait tenté de reconstruire autre chose. Une relation plus... tangible. Il trouvait qu'il n'y parvenait pas trop mal.
Jusqu'à présent, évidemment.
C'était la première fois que Kei lui faisait une scène. C'était la première fois qu'une fille lui faisait une scène, à bien y réfléchir.
La fille qui l'occupait à l'heure actuelle avait croisé les bras et secouait la tête de gauche à droite comme pour empêcher aucune des justifications qu'Harlock aurait pu avancer d'y entrer.
— Tu laisses tomber l'Arcadia, tu... me laisses tomber pour cette... fille ! lâcha-t-elle dans un trémolo plaintif.
— Pour Tianna, corrigea-t-il. Ce n'est qu'une enfant. Ce n'est pas à elle de souffrir des erreurs commises par des adultes.
Elle en supportait déjà bien assez, se souvint-il. Sa petite fée de cristal.
Il saisit Kei par les épaules, plongea son regard dans le sien. Ses yeux étaient rougis, mais secs. Elle voulait être si forte.
— Kei...
Il hésita. Que pouvait-il lui dire ? Qu'elle seule comptait pour lui ? C'était un mensonge et il le savait. Il y avait Kei, il y avait Mimee. Il y en avait... d'autres. Malheureusement. Et elles comptaient toutes à leur manière.
— ... je reviendrai pour toi.
C'était tout ce qu'il pouvait lui donner.
—————
Un court instant, lorsqu'on lui avait dit « commando », Yulian s'était imaginé une équipe d'une dizaine de pirates surentraînés et surarmés, vêtus d'armures dernier cri.
Mais en fait, non.
Les passagers de la navette se résumaient à trois personnes : Harlock, Stellie et lui. Ce n'était pas un commando, c'était du suicide. Il maugréa quelques grognements indistincts. La piraterie, oui, l'aventure, oui, mais ce qui l'avait justement attiré avec Harlock, c'était que l'Arcadia était réputé invincible. L'Arcadia. Pas ses navettes de transport. Bon sang, il ne s'agissait même pas d'un appareil armé ! Si quelqu'un leur tirait dessus, s'ils percutaient un débris, s'ils se crashaient, ils n'avaient aucune chance de survivre !
— Tu es prêt ? lui demanda Stellie.
Était-il le seul à avoir réfléchi à cette perspective ? Il soupira. Bon, évidemment, depuis le « petit incident » du cœur, l'intérieur de l'Arcadia s'était révélé un peu plus dangereux que ce qu'il avait cru au premier abord, mais là n'était pas le problème.
Non, le problème de Yulian, c'était que l'espace – le vide de l'espace – l'effrayait. Il se souvenait, tout gamin, avoir été sujet à de véritables crises de panique lors de simples voyages touristiques interplanétaires. Il avait maîtrisé sa peur (principalement pour faire cesser les moqueries), mais en partie seulement. Le blindage de l'Arcadia était rassurant. La fine paroi de la navette, non.
— Allez, viens ! insistait Stellie. On ne va quand même pas faire attendre Harlock !
Harlock lui en voudrait-il s'il avouait sa lâcheté ? se demanda Yulian. Et Stellie, qu'en penserait-elle ? Le sourire que l'adolescente lui adressait pétillait d'enthousiasme. Yulian plissa le front. La jeune fille avait l'air de le considérer comme un compagnon d'aventure idéal. C'était... étrange.
Il soupira encore. L'aventure, donc. L'inconnu. N'était-ce pas pour ça qu'il avait trouvé le courage d'embarquer ?
— Tu as raison, répondit-il finalement à Stellie. Ne faisons pas attendre le capitaine.
—————
— Dépressurisation terminée. Ouverture des portes du hangar en cours. Attention pour mise en place sur la rampe de lancement.
— Bien reçu. Préchauffage des moteurs en cours, tous systèmes vérifiés et opérationnels, répondit Harlock. Je suis paré.
Le capitaine laissa les systèmes automatiques du hangar prendre en charge sa navette pour le décollage. La manœuvre était délicate, et les bras articulés, puis les rayons tracteurs, possédaient une précision de positionnement qu'un pilote de chair ne pouvait espérer atteindre.
... même s'il était déjà arrivé à Harlock de décoller en manuel de ses propres hangars, que ce soit avec un spacewolf ou avec la navette qu'il empruntait actuellement.
Le capitaine pirate soupira. La manœuvre en automatique était d'un ennui...
Avec un mouvement d'une fluidité exemplaire, la navette s'extirpa du hangar exigu, puis le rayon tracteur la guida sur une trajectoire d'éloignement. Harlock lança les moteurs dès la distance de sécurité franchie.
— Paramètres moteurs contrôlés, tous indicateurs verts, annonça-t-il à la radio. Vous pouvez lâcher.
— Aye, captain. Tracteur coupé.
Libérée de l'action du rayon tracteur, la navette fit une légère embardée, aussitôt contrée par l'action d'Harlock sur les commandes de vol.
— C'est bon pour moi, transmit-il dès qu'il eût terminé les ultimes vérifications des systèmes de la navette. Je saute dès que paré.
C'est-à-dire dans un peu moins de cinq minutes, le temps que le réacteur warp ait atteint sa pleine puissance. Plus qu'il n'en fallait pour entrer les données du saut dans le pilote automatique. Concentré sur la programmation du warp, Harlock enregistra distraitement les exclamations étouffées à l'arrière. La voix de Stellie, celle de Yulian... Il tiqua. Ah, il semblait qu'il y avait une troisième voix également. Qui faisait « meaw ».
Le capitaine avait appris à reconnaître ce meaw particulier. Il sourit sans se retourner.
— Passager clandestin, hein ?
— Il m'a griffé, capitaine ! protesta Yulian.
— Oui, il n'est pas très sociable. Tu ferais mieux de le laisser tranquille.
— On va devoir faire demi-tour pour le débarquer ? s'inquiéta Stellie.
Harlock haussa un sourcil.
— Non, trop tard. Je ne pense pas qu'il nous gêne, de toute façon.
Et puis c'était un chat libre, se souvint-il, amusé. Qui avait probablement eu envie de venir faire un tour avec eux. Il n'allait pas le lui reprocher.
Il y eut une brève dispute à l'arrière qu'Harlock s'efforça de ne pas entendre (un échange basé sur « oui mais il m'a griffé » et « il est si mignon »), puis Stellie reprit la parole à son intention.
— Capitaine, comment comptez-vous attaquer les Sylvidres, maintenant ?
Alors déjà, il ne comptait pas attaquer les Sylvidres avec ces deux-là comme troupes de soutien, et ensuite... Bon sang, quand donc avait-il évoqué la moindre intention de partir attaquer des Sylvidres ? Il fallait qu'il cesse d'être aussi va-t-en-guerre au quotidien, décidément. Ça le desservait quand il envisageait une simple opération d'exfiltration discrète.
— On ne part pas en expédition punitive, rétorqua-t-il. On va libérer un otage et je ne compte pas semer des cadavres derrière moi.
Du moins, pas trop, corrigea-t-il intérieurement. Juste ce qu'il fallait. Ou en tout cas tous ceux qui se mettraient entre lui et sa petite fée de cristal.
Il agita la main pour balayer toutes ces considérations accessoires. Et il n'était pas tête brûlée. Il allait réfléchir calmement à un plan d'action, pas foncer dans le tas.
— Il faut d'abord qu'on récupère des renseignements sur l'endroit où Tianna a pu être emmenée, ajouta-t-il.
Et il lui fallait donc trouver des personnes particulièrement bien renseignées. Et dignes de confiance.
Stellie haussa les épaules.
— Okay, lâcha-t-elle. Où on va, alors ?
— Rhô-Andeggar, répondit Harlock. Le Metal Bloody Saloon.
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