Chapitre 14

— Et vous pensez vraiment obtenir de meilleurs résultats qu'Harlock ?

Sérhà retint de justesse un soupir exaspéré. L'Octodian lui avait sournoisement refilé la responsabilité de « gérer le problème » lorsque l'amiral Zero l'avait interrogé sur ses intentions. Depuis, le groupe avait quitté l'atmosphère humide d'Aqualis à bord de la navette de la Sylvidre, et l'humain n'avait cessé de la harceler de questions sans lui laisser la moindre minute de répit. Zero était beaucoup trop pointilleux et ses questions beaucoup trop condescendantes. Croyait-il qu'elle n'était qu'une hors-la-loi désorganisée ou pire, une militaire du rang ? Sérhà se demanda s'il allait être nécessaire qu'elle mentionne son grade dans l'armée impériale... Son ancien grade, corrigea-t-elle. Elle pinça les lèvres.

— Harlock n'avait même pas commencé à chercher ! répliqua-t-elle, agacée. De mon côté, je possède des contacts loyalistes sûrs qui nous fourniront les informations qui nous manquent.
— C'est-à-dire l'endroit où se trouve cette enfant, compléta Zero. Je vous aurais cru mieux renseignée de prime abord.
— Cette opération a été décidée par la princesse Eyen. Il est évident que des consignes strictes de protection du secret ont été mises en place, tant pour éviter que des messages soient interceptés par l'Arcadia que pour gêner la contre-offensive de la reine.
— Une contre-offensive qui est matérialisée par vous et vous seule, intervint l'adjointe de Zero, un commandant qui s'était présentée sous le nom de Marina Oki et qui semblait, pour autant que cela soit possible, encore plus à cheval sur les principes que son supérieur. Lafressia ne dispose-t-elle donc plus d'une force militaire digne de ce nom ?

Quasiment plus, à vrai dire. Très peu de militaires étaient encore loyales à la reine ; la plupart s'étaient plutôt rangées du côté d'Eyen qui leur promettait conquêtes et batailles glorieuses. Mais inutile d'avouer les faiblesses de l'Empire devant des humains.

— Nous avons préféré privilégier une approche plus discrète afin d'éviter l'escalade de la violence, éluda Sérhà. La reine souhaite préserver l'unité de la nation sylvidre, dans la mesure du possible.
— Au vu de la situation, je crains qu'il ne s'agisse d'un vœu pieux, remarqua sombrement Zero.

Sérhà hocha la tête tristement.

— Je le crains aussi. Avec ou sans l'intervention d'Harlock, notre peuple aurait de toute manière fini par se déchirer, mais l'enlèvement de cette enfant a précipité les événements.

La Sylvidre laissa son regard se perdre dans le vide. La guerre civile... Alors que leur peuple se relevait à peine de la destruction de leur planète-mère et de la guerre qui s'en était suivie. Quelle absurdité.
Bob interrompit le cours morose qu'avaient pris ses pensées avec le manque de tact caractéristique d'un Octodian (ou alors c'était parce qu'il avait trop longtemps fréquenté Harlock, les deux hypothèses se valaient).

— N'oubliez pas non plus les p'tits jeunes ! l'apostropha-t-il depuis le fond de la navette où il veillait farouchement sur un Harlock toujours inconscient installé sur une couchette d'appoint.
— Hein ? s'étonna Zero, trop surpris par ce nouveau paramètre pour sortir autre chose que cette simple interjection.

Sérhà haussa les épaules.

— Oh, oui, expliqua-t-elle d'un ton désinvolte comme si l'information ne constituait qu'un détail mineur. Deux de ses hommes... – elle pointa Harlock du doigt – ... sont perdus dans la nature. D'après mes éléments, il semble qu'ils aient été capturés et emmenés hors d'Aqualis.

Elle sourit d'un air satisfait.

— En fait, continua-t-elle, il m'est beaucoup plus facile de trouver ces deux-là que la petite fille. ... Ils sont sur la troisième planète, révéla-t-elle. Telluris. J'ai intercepté les communications qui font état du transfert des prisonniers. Mais je pense qu'il ne s'agit pas de notre priorité, termina-t-elle.

Au fond, Bob émit un bruit qui devait être un juron.

— Et moi je pense que vous ne m'avez pas écouté quand je vous ai donné leurs noms, lança-t-il d'un ton grognon.

L'Octodian la fixa droit dans les yeux, puis plongea son regard dans celui de l'amiral Zero.

— Le garçon s'appelle Yulian. Et la fille, Stellie.
— Stellie ? Dites-moi que ce n'est pas vrai ! pâlit Zero.

Sérhà fronça les sourcils. Qu'est-ce que... ? Ah oui. Elle se souvenait à présent. Stellie. La filleule d'Harlock. Elle se rejeta en arrière sur son siège, impressionnée malgré elle par un tel acharnement du sort. Déesse, pourquoi tout était-il toujours lié à Harlock ?

                                                  —————

Alyssia serrait les dents pour s'empêcher de gémir. Elle n'avait jamais imaginé être l'étincelle qui mettrait le feu aux poudres, et pourtant c'était son refus de poursuivre les prisonniers qui avait déclenché l'embrasement. C'était l'occasion qu'avaient guetté les commandos de la princesse. Un prétexte pour l'écarter elle, commandant loyaliste, et prendre le contrôle de la base de Telluris. Le temps des louvoiements stratégiques était achevé. Les pions allaient désormais avancer à découvert.
La Sylvidre pressa la main sur son flanc. Outre l'épaule, elle avait également été touchée juste sous le sein gauche. La déchirure du laser avait brûlé son uniforme, transpercé son corps et déchiqueté ses chairs. Et sa vie s'échappait.

— Où est-ce que vous nous emmenez ?

Alyssia eut un sourire amer, aussitôt remplacé par une grimace de souffrance. Lorsqu'il était apparu évident qu'elle n'éviterait pas le peloton d'exécution, elle avait tenté le tout pour le tout : la fuite, en forçant le passage. Les partisans d'Eyen n'avaient pas hésité à ouvrir le feu, et personne ne l'avait défendue : Alyssia s'était aliéné ses propres soldats à l'instant même où elle avait, bien maladroitement, empêché toute intervention à l'encontre des prisonniers. Quant aux scientifiques, majoritaires dans la base de Telluris (comme partout ailleurs au sein de l'Empire, la caste militaire étant réduite à peau de chagrin depuis la précédente guerre), ils ne prendraient pas parti.
La Sylvidre crispa ses mains sur les commandes de son glisseur. Elle pouvait encore trouver des alliés. Stopper cette folie. Elle pouvait.
Elle pouvait rejoindre le croiseur royal qui patrouillait dans ce système et espérer que les officiers loyalistes y soient assez nombreux pour avoir conservé le pouvoir. Et elle pouvait rejoindre Harlock. La reine avait maintes fois sollicité l'Arcadia pour rééquilibrer la balance des forces. Le pirate l'aiderait.

Alyssia jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Le jeune humain avait peur, c'était visible, mais il affrontait bravement son sort.

— Je vous conduis à bord d'un vaisseau loyaliste. Vous pourrez y contacter Harlock.
— Lo-ya-liste, ce sont des gens qui sont gentils avec mon papa ?

L'enfant – la fille d'Harlock – était calme et semblait inconsciente du danger qui l'environnait, même si son regard trop mature affirmait le contraire. Alyssia avait l'impression que la fillette analysait froidement ses actions, voire était en mesure de percer ses pensées.

— C'est ça, souffla-t-elle. Les loyalistes sont les gentils.

L'adolescente qui les accompagnait s'était murée dans le silence. La jeune fille ne s'était pas présentée, mais son visage était malgré tout familier à la Sylvidre. En tant que proche de la reine, elle avait en effet eu le privilège de participer jadis à une opération commando, sur Terre... Une opération qui avait consisté en l'enlèvement d'une enfant.

Alyssia grimaça. Le temps se repliait sur lui-même. Les événements se répétaient sans cesse.

Et personne n'apprenait jamais.

                                                  —————

— Arrête-toi ! Je t'ordonne de t'arrêter ! Le capitaine a interdit qu'on le rejoigne !

Armée d'un détecteur et d'un casque conçu pour s'affranchir des harmoniques de fonctionnement de l'ordinateur principal, Kei avait bravé le labyrinthe du cœur et hurlait sa frustration face à l'immense structure cybernétique.
Elle avait tout tenté. Un reboot des systèmes, le shunt des circuits de commandes, et de son côté Maji avait même essayé un arrêt manuel des moteurs. Leurs efforts étaient restés impuissants. L'Arcadia était hors de contrôle. Sa route le menait droit vers le système d'Aqualis.

— Arrête-toi, je t'en prie... répéta Kei, les larmes au bord des yeux.

Harlock comptait sur elle. Il lui avait confié le commandement. Elle ne pouvait pas le décevoir. Elle ne pouvait pas échouer à cause d'un ordinateur capricieux.

— Tu penses qu'il va t'écouter ? Il obéit déjà à peine à Harlock !

Surprise, Kei se retourna vivement et son visage se ferma. La jeune femme avait soigneusement évité de se retrouver en compagnie de Mimee, ces derniers jours. L'extra-humaine ne pouvait pas ne pas l'avoir remarqué.
Kei serra le poing. Peut-être Mimee n'y était-elle pour rien. Peut-être Harlock n'était-il qu'un salaud insensible. Peut-être s'était-elle bercée d'illusions. Mais l'avenir que lui avait fait miroiter le capitaine pirate était tellement beau ! Elle ne pouvait pas cesser d'y croire ainsi ! Elle ne pouvait pas abandonner ce rêve !

— Comment oses-tu remettre en cause l'autorité du capitaine ! cracha-t-elle d'un ton accusateur. Comment oses-tu douter d'Harlock, après tout ce qu'il a fait pour toi !

La fille aux cheveux bleus baissa le regard, et ses longs cils voilèrent tristement son regard or.

— Ce n'est pas pour moi qu'il est parti, répondit Mimee de sa voix éthérée. C'est pour elle.
— Tianna ? Ça devrait te faire plaisir, non ?

Mimee ne releva pas les yeux. Elle semblait si triste. Infiniment triste.

— Il s'attache trop, souffla enfin l'extra-humaine. Elle ne vivra pas.
— Que... Comment ? Les Sylvidres ?
— Non...

La fille balaya l'air devant elle de la main en un vaste arc-de-cercle.

— C'est juste... son destin, termina-t-elle.

Kei retint une exclamation. D'accord, Mimee n'était pas humaine et ses réactions étaient souvent impénétrables, mais comment une mère pouvait-elle se montrer si insensible envers son propre enfant ?
L'extra-humaine ne sembla pas perturbée par l'indignation de Kei. D'un geste doux, elle effleura les câbles d'alimentation de l'ordinateur central.

— L'Arcadia n'écoutera personne, prophétisa Mimee. Il ne s'arrêtera que lorsqu'il aura atteint son but.

Kei voulut lui rétorquer que non, ils allaient trouver une solution, reprendre le contrôle, éteindre ce maudit ordinateur, qu'un tas de métal ne pouvait leur être supérieur, mais au fond d'elle-même elle savait très bien que c'était faux.
Elle connaissait l'Arcadia et ses fantômes. Moins que Mimee, beaucoup moins bien qu'Harlock, mais davantage que n'importe quel membre d'équipage. Le vaisseau ne dévierait pas.
Tochiro...

— Il s'inquiète pour Stellie.

                                                  —————

— Alyssia, commandant la base de Telluris. Demande permission d'accoster.

Tianna ne perdait pas une miette du spectacle tandis que le petit appareil se faufilait le long du flanc d'un vaisseau gigantesque, entre des antennes et des canons énormes, pour entrer dans un hangar immense. Elle se demanda si l'Arcadia était aussi gros que celui-là, mais secoua aussitôt la tête devant cette idée incongrue. Elle n'avait vu l'Arcadia que sur des images holo mais elle était sûre que le vaisseau d'Harlock était au moins un millier de fois plus grand !

— Permission accordée. Bienvenue à bord, commandant.

La femme qui pilotait se tourna vers eux avec un sourire. Tianna se recula instinctivement et replia ses jambes contre elle. La femme était semblable à celles qui l'avaient arrachée au temple et qui avaient fait du mal à la Mère Supérieure. Celle-ci avait l'air gentille, mais c'était peut-être une ruse pour endormir sa méfiance... Et puis, la petite fille sentait la mort rôder autour de la femme, s'accrocher, attendre, et la sensation la mettait mal à l'aise.

— Alors c'est bon ? On va pouvoir prendre contact avec le capitaine ?

Le garçon qui venait de parler était gentil, lui, Tianna en était sûre. Il lui avait dit qu'il servait à bord de l'Arcadia et qu'il était venu pour la sauver. La fillette avait été un peu étonnée qu'Harlock ne l'accompagne pas, mais pour ce qu'elle avait compris le capitaine avait été retenu ailleurs et ils devaient le retrouver à bord de ce vaisseau.
Tianna était impatiente de lui montrer combien elle avait été courageuse... et elle espérait ardemment qu'il saurait quoi faire pour apaiser sa faim de plus en plus dévorante.

— Oh déesse, non. Pas ça.

La femme avait peur. Son visage n'exprimait rien, mais ses sentiments s'échappaient d'elle en vagues serrées et frappaient la fillette de plein fouet. Tianna s'enfonça un peu plus dans son fauteuil. Leur petit vaisseau s'était posé à l'intérieur du gros. Harlock n'était pas là. Et dehors, elle sentait la mort.

— Ne bougez pas d'ici, dit la femme.

Elle se leva et d'une main ferme, ouvrit la porte de la navette. Tianna voulut crier un avertissement, mais la peur la paralysait. La petite fille ne pouvait pas distinguer ce qui se trouvait dans le hangar, mais elle savait. Elle sentait. Et la mort était partout.

— Je suis le commandant Alyssia, officier de lignée royale ! J'exige d'être traitée selon mon rang !
— Faites allégeance à la princesse et il ne vous sera fait aucun mal, commandant ! répondit-on depuis l'extérieur.
— Jamais !

Tianna ferma les yeux lorsque le tir de laser transperça la femme de part en part, mais elle ne put empêcher l'image du corps tombant au ralenti de s'imprimer sur ses rétines telle une brûlure au fer rouge. La femme s'écroula en arrière et prit feu dans un long cri glaçant.
La fillette hurla. La mort était partout.
Mais elle, elle ne voulait pas mourir.
Une chaleur intense irradia son corps. Elle ne voulait pas.

Tianna se nimba d'un halo doré.

                                                  —————

— Tianna !
— Gamin, reste couché, bordel !

Harlock lutta pour se dégager de la poigne de l'Octodian, mais Bob n'était pas né de la dernière pluie, loin de là, et ne relâcha donc pas sa prise d'un seul millimètre. Les épaules d'Harlock étaient plaquées contre sa couchette à un tel point que le capitaine craignit un instant de passer au travers du matelas.

— Tianna, répéta-t-il.
— Oui, on s'occupe de ça. Ne t'inquiète pas.
— Non, elle... Je...

Harlock cligna des yeux, secoua la tête pour s'éclaircir les idées et tenta un autre soubresaut pour se dégager (sans succès).

— Je... Je... bredouilla-t-il.

Ah, merde ! Décidément c'était une plaie, ces transmissions de pensées !

— Télépathie, réussit-il finalement à articuler. Elle est là et elle...

Ses yeux se révulsèrent. Elle était là et elle ne contrôlait rien. Et c'était l'horreur. Harlock se cambra de douleur. Sa petite fée était de toute évidence terrorisée et en pleine attaque psychique. Il la savait au minimum aussi puissante que sa mère.
Et il se trouvait aux premières loges.
Il déglutit. Pourquoi fallait-il qu'il soit aussi réceptif aux ondes télépathiques dans ce genre de situation ?

— Gamin ! Ho, gamin, reste avec nous !

La voix de Bob était distante. Harlock tenta de se concentrer, mais il était trop mal en point physiquement pour réussir à construire une barrière psychique un tant soit peu efficace.
Contrôle, contrôle, contrôle !
C'était peine perdue. L'environnement de la navette de Sérhà tressautait, était remplacé par l'intérieur du croiseur sylvidre duquel ils s'approchaient. Ses pensées se confondaient avec celles de Tianna.

— Gamin ! Harlock, bon sang ! Réponds-moi !

Les images allaient, venaient, allaient, venaient... Tianna avait peur, Sérhà manœuvrait pour aborder le croiseur, des Sylvidres ouvraient le feu sur la navette, Bob se penchait sur lui...

— Harlock !

Yulian sortait son arme. Warrius accourait. Stellie s'abritait derrière un fauteuil. Marina tendait une bouteille d'oxygène.
Tianna. Tianna était en danger.

Le monde explosa en millions de paillettes or.

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