L'Appel
Hommage à H. P. Lovecraft.
Je m'inspire de L'Appel de Cthulhu pour écrire cette nouvelle.
C'était la nuit la plus sombre du mois. La nouvelle lune plongeait la ville dans une obscurité dérangeante. Aucun nuage se semblait être visible dans le peu de ciel que l'on pouvait distinguer.
Je marchais seule, arpentant les rues désertes, tournant au hasard aux coins de rues. Ma seule ligne directrice était la musique qui sortait de mon casque, se déversait dans mes conduits auditifs et imbibait mon cerveau. À cette heure-ci, tout le monde dormait chez soi, excepté les sans-abris, les ivrognes et les insomniaques tels que moi.
Je n'arrivais pas à trouver le sommeil ces jours-ci : je m'étais mise à faire des cauchemars d'une horreur sans nom, sans commune mesure avec ceux qu'une personne quelconque en temps habituel pourrait avoir la nuit.
Chaque nuit, mon esprit était le théâtre d'un drame innommable, dont je n'assistais jamais à la fin.
Au début, je ne voyais que le début de cette horrible pièce, et, même si tout me parvenait de manière floue, le peu que je percevais me remplissait d'effroi.
Cependant, jour après jour, les contours se faisaient plus précis, les couleurs devenaient plus vives et plus insupportables à l'œil et les scènes dont j'étais le spectateur se faisaient plus nombreuses et plus détaillées, enrichissant d'une manière réaliste et repoussante cette histoire dont je ne voulais pas voir la fin.
Tous mes songes commençaient de la même manière : j'étais seule à bord d'un bateau, au Sud de l'Océan Atlantique.
Je n'avais aucun moyen de savoir où je me trouvais, mais une connaissance étrangère à mon esprit s'était immiscée dans celui-ci et m'imposait une vérité implacable : j'étais précisément au point le plus éloigné de toute terre, et donc d'une quelconque activité humaine.
Un grondement se faisait entendre, si grave et si fort que je me demandais s'il provenait des entrailles de la Terre. À vrai dire, cette interrogation était plutôt proche de la réalité, mais je n'en avais aucune idée alors.
Le bruit s'intensifiait, faisant vibrer mon corps à en perdre l'esprit.
La mer s'agitait de plus en plus, formant des vagues destructrices qui n'avaient pas lieu d'être, s'élèvant en des colonnes inexplicables qui retombaient furieusement, fracassant ma pauvre embarcation qui finit bien vite en planches éparses, minuscules debris bien vite éparpillés dans l'immensité de l'eau qui m'entourait.
Je tentais de m'accrocher à un morceau de bois, mais ceux-ci semblaient avoir une volonté propre et s'éloignaient, me laissant sans espoir de survie.
Alors que, nuit après nuit, je prenais la même décision de me laisser sombrer au fond de l'océan, abandonnant mon âme aux eaux furieuses et menaçantes, j'assistais à une apparition qui rendrait fou n'importe quel misérable être humain : venue des abysses, une gigantesque cité surgissait des flots et s'élevait lentement, m'offrant à nouveau un sol tangible à fouler.
Le grondement cessait en même temps que le mouvement d'ascension de l'abominable ensemble d'édifices. Abominable, car toutes ces constructions étaient criantes d'inhumanité et de folie : le matériau utilisé avait à la fois la dureté de la pierre et la texture et l'élasticité de la peau humaine ; sa couleur trouble, oscillant entre le gris et le vert, suscitait un sentiment de malaise et une forte angoisse. Les tours les plus hautes, aux murs mouvants définis par des angles impossibles, ruisselaient encore d'une eau malsaine et de vase poisseuse et sanglante.
J'entendais des voix s'approcher puis s'éloigner de moi, s'exprimant dans une langue inconnue. Les sons qui sortaient de leur bouche invisible ne semblaient pas être reproduisibles par l'organe vocal d'un humain. Ces phrases interminables, succession de syllabes chuintantes ou cliquetantes, exprimaient une soif de chaos, un besoin irrepréssible de destruction, un appel aux forces les plus obscures de l'univers.
Chaque matin, je me réveillais en sursaut et me précipitais vers ma salle de bains pour vomir, comme si mon corps et mon esprit me poussaient à me purifier de ce que j'avais vu et entendu pendant la nuit. Mon miroir me renvoyait une image de plus en plus squelettique et difforme de moi-même. J'avais l'impression de perdre peu à peu mon essence et mon humanité, aspirées peut-être par les créatures que je ne pouvais pas voir.
Mais cette nuit, alors que je marchais dans les rues pour reprendre contact avec la réalité, j'avais peur. Je savais que cette nuit, nuit de Walpurgis, l'étoffe qui séparait les différents mondes s'affinait et pouvait se déchirer, laissant aux habitants de la cité libre accès à notre monde.
Je trébuche et tombe. Mais le sol sur lequel j'atterris est horriblement trop élastique pour que cela soit encore le trottoir.
Je me relève et vois à nouveau l'hideuse cité, qui m'encercle de toutes parts.
Je suis debout sur une dalle, où est dessiné un sceau que je connais bien : un pentacle, symbole de l'Homme, dans lequel s'inscrit le signe des Anciens Dieux et celui du Gardien, entité protectrice obéissant à son créateur.
J'avais déjà vu ce sceau en me plongeant dans la lecture du livre maudit qu'est le Necronomicon, chose que je regrette encore. L'union de l'Homme, des Dieux et l'invocation d'un Gardien a été ici utilisé pour sceller la prison d'un ennemi de l'Univers. Sous mes pieds se trouvaient un des artisans du Chaos.
Contrairement aux visions de mes cauchemars, j'aperçois de nombreux esprits malveillants et de nombreuses créatures indescriptibles, amas de griffes, de dents et de chair qui se déplacent tantôt en rampant, laissant une traînée de bave corrosive, tantôt en sautant, produisant un bruit de succion répugnant à chaque bond. Je comprend tout de suite leur propos : exterminer, chaos, souffrance... Ils n'ont que ces mots-là en tête.
Est-ce que je les voyais et les comprenais parce que je n'étais plus dans un rêve ? Ou bien, hypothèse qui m'effrayait bien davantage, était-ce possible parce que je perdais mon humanité et me rapprochais de leur immonde nature ?
Un esprit imposant, composé d'étranges et magnifiques ondulations rouges et noires, s'approche de moi et me présente un poignard, dont les inscriptions sur le manche ne laissent pas douter de sa fonction rituelle.
À côté de lui se tient un démon aux ailes translucides, déchirées de toutes parts. Une puanteur insoutenable s'échappait de la centaine de gueules qu'il possède. Ses griffes tachetées de sang tendues dans ma direction et son regard mauvais me donnait la certitude qu'il ne raterait pas une occasion pour se jeter sur moi et me dévorer.
Je réalise que je dois faire un choix : soit je prends le poignard et verse mon sang pour briser le sceau et libérer la monstruosité tapie sous nos pieds, soit je choisis de périr par les griffes et les crocs d'un démon avide de chair et de sang humains.
Je ne saurai jamais pourquoi leur choix s'est porté sur moi : je n'avais pas l'intention de libérer un monstre, et je n'avais pas peur de la mort, si horrible pouvait-elle être.
Mais j'entendais l'Appel, le cri de ralliement d'une créature qui dormait depuis tellement longtemps que la mort n'avait plus d'emprise sur elle. J'entendais l'Appel, et ma pauvre petite âme ne pouvait pas y résister, même si j'avais eu la plus forte des volontés.
Je prends le poignard et marque l'avènement d'une nouvelle ère où règne le Chaos sur l'humanité.
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