Evy

« Evy, sors un peu de cette chambre...

- Cinq minutes. »

Je coupai ma dernière mèche de cheveux et jurai en remarquant que mon carré court était complètement raté. J'allais me faire salement crier dessus par mon père la semaine prochaine...

« Evy, il est huit heures. Tu ne veux pas arriver en retard, que je sache ? »

Ma mère ouvrit la porte de ma chambre.

« Nom de Dieu ! s'exclama-t-elle en me voyant. Mais qu'as-tu fait ? »

J'enfilai un pull noir, mis rapidement mon sac sur mon dos et marmonnai :

« J'avais besoin de changement.

- Peu importe, soupira-t-elle, résignée. Aller, dépêche-toi de partir. »

Je lui lançai l'un de mes sourires que les gens qualifiaient d'effrayants, qui signifiaient clairement que je n'avais pas envie d'être embrouillée dès le matin.

« À ce soir, maman.

- À ce soir, Evy. »

Alors que j'enfonçai mes écouteurs dans mes oreilles, la voix de ma mère retentit au loin.

« Et je fais quoi de tes cheveux par terre ? »

Je grognai.

« Je ne sais pas, moi ! Vends-les. »

Je sortis de chez moi en claquant la porte. L'air chaud de Virginie m'accueillit, tandis qu'une musique de rock s'échappait de mes écouteurs. Je marchai d'un pas rapide, pressée d'arriver enfin en cours et de me fondre dans le décor du lycée, telle un phasme sur une branche.

Je m'arrêtai devant l'arrêt de bus, qui affichait encore cinq longues minutes d'attente. Je soupirai et m'assis sur le banc crasseux.

« Oh, Evy Wilse ! C'est pas vrai !

- Malheureusement si... », chuchotai-je sans même me retourner pour voir qui m'avait adressé la parole.

Un garçon s'assit à côté de moi. Blond, les yeux verts, nous semblions avoir le même âge.

« Edward Ridley, se présenta-t-il en me tendant la main. On m'a dit que tu pourrais m'aider en cours d'histoire.

- Je ne sais pas qui est l'imbécile qui a osé te dire ça, mais il a menti. »

Je montai dans le bus qui venait d'arriver. Mais ce Edward était un véritable pot de colle.

« Cette imbécile, comme tu dis, c'est une certaine... Reily, ou un truc comme ça. »

J'écarquillai les yeux.

« Reily ? Reily Grant ?!

- Elle même, acquiesça le garçon. Tu la connais ? »

Je calai ma tête contre le siège du bus.

« Que trop bien... »

*

« C'est pas possible ! Tu es une véritable peste de m'avoir fait un coup dans ce genre ! Sérieusement, Reily ! À quoi tu pensais ? »

Ma vieille amie haussa les épaules. Cela faisait près de trois ans que l'on ne s'était ni vues, ni parlées. Elle n'avait pratiquement pas changé. Ses cheveux bruns et lisses cachaient une partie de ses yeux marrons et descendaient jusqu'au milieu de son dos. Une grande paire de lunettes mangeait son visage.

« Moi aussi je suis contente de te voir, Evy... »

Je devais avouer que je l'étais.

« Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu revenais à UnderDistrict ?

- Pourquoi tu ne m'as jamais passé ton numéro ? répondit-elle en haussant un sourcil.

- Cela a-t-il une quelconque importance maintenant que tu es là ? »

J'ouvris d'un coup sec mon casier, une pile énorme de manuels dans les bras.

« Tu as raison. On est dans le même lycée, maintenant.

- Tu ne sais pas ce qu'il t'attend, lâchai-je. D'ailleurs, pourquoi es-tu partie de ton ancien lycée ? »

Reily leva les yeux au ciel.

« Je n'ai ni le temps, ni l'envie de t'expliquer.

- Tant pis, dans ce cas... Ça te dirait de passer chez moi ? lui demandai-je. Ma mère travaille ce soir, et elle dort chez son nouveau... »

Je grimaçai.

« Ok. Pas de soucis, je préviens mes parents. À tout à l'heure.

- Oui. »

Reily me sourit et tourna à l'angle d'un couloir.

« Attends, Reily ! », criai-je.

Elle se retourna à peine.

« Oui ?

- Tu ne sais même pas où j'habite. »

Elle sourit.

« Je trouverai. »

*

À peine une heure avait passé que Reily était déjà assise sur mon canapé, une canette de soda en main.

« Alors, dis-je en m'asseyant. Dis-moi tout. Que s'est-il passé a Saint James ? »

Elle désigna d'un geste de sa main libre mes cheveux.

« Toi d'abord. » exigea-t-elle.

Je soupirai.

« Besoin de changer. Et je n'ai pas envie de revivre... »

Je sentis le plaid de serrer sous mes mains aux jointures blanchies.

« ... ce qu'il s'est passé il y a un mois, terminai-je.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé il y a un mois ? »

J'avais tout tenté pour retarder cette question. Mais on ne peut éviter l'inévitable.

« Une fille de ma classe et sa bande m'ont attrapée par les cheveux et m'ont traînée jusqu'aux toilettes. »

Je sentis des larmes rouler sur mes joues.

« Elles ont déchiré ma jupe longue pour en faire une minijupe et m'ont maquillée comme un camion volé. Ensuite, elles m'ont obligée à marcher dans les couloirs du lycée habillée comme ça. J'ai fini chez le proviseur. Ce matin, en me voyant dans le miroir... j'ai décidé de tout couper. Ça m'a... presque soulagée de voir toutes mes longueurs d'au moins trente centimètres par terre. J'avais l'impression que l'on ne pouvait plus me faire ça. »

Reily me prit dans ses bras.

« Evy, me chuchota-t-elle. J'aimerais te montrer quelque chose. »

Je levai mon visage plein de larmes vers elle.

« Vas-y. »

Reily se leva, et je fis de même. Sans gêne, elle se dirigea vers le jardin, naviguant chez moi comme si elle était chez elle. Une fois dehors, elle me demanda :

« Serais-tu prête à t'entailler le bras ?

- Je n'ai jamais songé au suicide, déclarai-je solennellement.

- Ce n'est pas de ça dont je veux parler. Tu sais, ce n'est pas moi qui ai trouvé ton adresse... mais quelqu'un d'autre.

- Très bien ! Et où est-il, ce quelqu'un d'autre ? »

Reily se mordit la lèvre.

« Je vais te montrer. »

Elle retira l'épingle qui tenait son épais chignon et me la tendit.

« Fais-la glisser le long de ton bras jusqu'à ce que... »

Elle marqua une pose.

« ... Du sang coule. »

J'étais prise d'une soudaine excitation. Cela semblait amusant. Je fis parcourir l'épingle, puis, voyant qu'il n'y avait pas d'effets remarquables, l'enfonçai profondément dans mon bras. Je grimaçai. Ça faisait un mal de chien.

« Maintenant, laisse le sang goutter au sol, en formant un cercle. »

Mon excitation commença à se muer en anxiété. Ce que me faisait faire Reily me semblait tout droit sorti d'un mauvais film d'horreur. Et ressemblait de plus en plus à un rituel invocateur.

« Maintenant, donne-moi l'une de tes mèches de cheveux. »

Mon amie me tendit un petit canif. Je coupai l'une des mèches et la lui donnai. Je me sentais de moins en moins bien. Elle la plaça au centre du cercle en sang de la pelouse.

« Ça partira avec la pluie, hein ? », tentai-je pour me détendre.

Mais Reily ne m'écouta pas.

« Répète après moi, Evy. Par ce sang...

- Par ce sang...

- Ces cheveux...

- Ces cheveux... répétai-je.

- Je t'offre une partie de mon corps, une partie de ma vie...

- Je t'offre une partie de mon corps, une partie de ma vie...

- Et t'appelle, Krelakisalide.

- Et t'appelle Krela-machin. Arrête tes âneries, Reily, ça me fait plus rire, lâchai-je.

- Répète ! », me cria-t-elle en retour.

Je ne lui avouai pas, mais à cet instant, elle m'effrayait.

« Et t'appelle, Krelakisalide. »

Un éclair de lumière blanche s'échappa du cercle. Je tombai sur le sol. Le rond rouge s'illumina entièrement. Je fus momentanément aveuglée.

« Ça devient long, à la fin, Reily. Je veux bien que mon frère te suive comme un petit chien, mais là... Sincèrement, ton amie n'a aucune idée de ce que je suis. Ça ne servait à rien de m'appeler.

- Bien sûr que si, Clark ! », s'exclama Reily.

Je recouvris la vue. Un homme se tenait devant moi. Environ seize ans, de grands yeux bleus et de magnifiques cheveux verts clairs qui descendaient sous ses oreilles. Il était exceptionnellement beau.

« Evy, je te présente Krelakisalide, mais appelle-le Clark Bright. »

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