Chapitre 23
- Tu comptes appeler ta soeur ?
Nous sommes tout deux assis dans la cuisine. Après le coup de fil de ma mère, ni l'un ni l'autre ne pensions à retourner dormir et nous avons donc décidé de petit-déjeuner.
Comme chaque matin, Deck mange l'équivalent d'un bœuf en céréales et moi je l'observe en sirotant un simple thé, essayant d'ignorer du mieux que je peux son regard désapprobateur.
- Je pensais le faire maintenant oui, lui réponds-je en attrapant le téléphone sur la commode derrière moi.
- Parfait, pendant que tu l'appelles, je vais aller prendre une douche, me dit-il en se levant et en allant mettre son bol vide dans l'évier.
Quand il repasse devant moi, il m'embrasse rapidement sur le sommet du crâne et je lui souris pour le rassurer. Depuis hier soir, il ne cesse de me lancer des regards inquiets que je fais semblants de ne pas remarquer. Il faut dire pour sa défense qu'on n'a plus du tout reparlé de ma dernière crise. Il faudrait sans doute qu'on le fasse mais je doute à côté de cela d'arriver à retenir mes larmes cette fois encore.
Quand il est sorti, je compose le numéro de ma soeur. Comme je m'en doutais, elle répond à la première sonnerie.
- Maggie ! Hurle-t-elle de la même voix criarde que ma mère et je souris.
Rose, Mélanie, Josh et Alexandre ont tout hérité de notre mère, que ce soit son tempérament de feu, son côté sur-protecteur, ses cheveux blonds platines ou ses yeux bleus délavés. Quant à Marie et moi, les deux cadettes de la famille, c'est de notre père que nous tenons nos cheveux auburns, nos tâches de rousseurs, nos yeux bruns et notre caractère discret. Mais si la plupart des enfants Scott ont hérités du patrimoine génétique de notre mère, c'est Rose sa véritable copie conforme. C'est aussi avec elle que je m'entend le mieux.
- Apparement même en ce qui concerne ton accouchement, tu n'as pas pu t'empêcher de ne pas suivre les règles.
- Dis plutôt ça à la petite crevette bleue qui est sortie de mon utérus un mois à l'avance, me répond-elle en gloussant.
Je souris à mon tour et dis
- Je n'y manquerai pas quand je viendrai la voir, c'est promis. Maman m'a dit que tout s'était bien passé ?
- Tu parles, si j'avais su que ça faisait aussi mal, j'aurais obligé François à considérer très sérieusement la possibilité de l'adoption. C'est d'ailleurs ce que je compte faire pour les suivants.
- Les suivants ? Tu n'as même pas encore trouvé de prénom à ma nièce que tu penses déjà à ses futurs frères et sœurs, m'exclamais-je faussement outrée.
- Mais c'est à cause du grand dadais qui me sert de mari ! S'écrie-t-elle. Si tu voyais avec quelle tête d'imbécile il regarde sa fille, puis elle ajoute plus bas, je n'ose d'ailleurs pas lui dire que ce n'est en réalité pas lui le père.
Derrière elle j'entends l'intéressé s'indigner feignant la colère, je ris et Rose me rejoint bientôt.
- Non sérieusement, si il croit que je suis idiote et que je n'ai pas remarqué qu' il essaie de me faire passer un message avec ses grands sourire et son air benêt, tu sais du genre : "Rose, bon travail, je vais en commander cinq de plus".
Ma soeur avait beau avoir grandi dans notre petit village aux mœurs étriquées, son franc parlé et son audace n'en avaient jamais pâti. Quand elle avait rencontré François au lycée, nous avions tous pensé, et ce à tords, que ça ne durerait pas. Là où Rose était fougueuse, têtue et libre, il était calme, influençable et ses perspectives d'avenir semblaient s'arrêter à la pancarte de bienvenue de notre ville. Il nous avait paru inconsistant, digne de peu d'intérêt et à l'époque, nous pensions tous que des cinq enfants Scott, ce serait Rose la première à quitter cette ville. Pourtant, à notre grand étonnement, elle était tombée folle amoureuse, s'était mariée jeune et n'avait jamais plus songé à partir explorer le monde. Autant, je l'avais toujours enviée d'avoir trouvé la personne la plus essentielle à son bonheur et d'avoir été capable de construire un foyer avec. Autant, je n'avais jamais enviée sa vie bien rangée dans notre petite ville.
Bien qu'au fond, je savais aussi que c'était à cause de moi si elle restait là.
- Le pauvre, mais je suis sure qu'il finira par t'amadouer...
- C'est fort probable, soupire-t-elle en riant, entre lui et maman qui me vante les bien-faits d'une famille nombreuse, je ne me sens pas vraiment comprise. Quelque chose me dit que je n'aurai même pas mon mot à dire.
- Ce n'est que justice, je parie que tu ne lui laisseras pas le choix en ce qui concerne le prénom de sa fille.
- Et bien détrompe-toi ! Son prénom est déjà tout trouvé et François adhère complément.
- Et je peux savoir quelle horreur de l'époque victorienne tu as réussi à dénicher cette fois ?
- Fais la maligne Margaret Scott, avec un nom pareil, je la bouclerais si j'étais toi. Tu ne voudrais pas que ta nièce ai honte de son prénom...
- Comment ça ?
- Et bien, on ne pouvait décemment pas opter pour Margaret, je m'excuse mais c'est vraiment moche. D'ailleurs je ne sais pas ce qui est passé par la tête de maman ce jour-là, je me suis souvent posée la question et j'en suis venue à la conclusion qu'elle avait dû apprendre le décès d'une octagénaire prénommée ainsi dans les petites annonces du journal. Enfin bref, revenons au fait, comme Margaret était inenvisageable, avec François nous avons choisi Maggie comme prénom pour le petit monstre.
Je ne répond pas tout de suite. Il faut le temps que l'information traverse la brume de fatigue et parvienne à mon cerveau. Quand je prends pleinement conscience que ma soeur a donné mon surnom à son premier enfant, les larmes montent.
- Mon dieu, quel manque d'originalité, dis-je la voix enserrée par l'émotion.
- J'ai été prise de cours, elle ne devait arriver que dans un mois...
Je ris à travers mes larmes et un pitoyable reniflement m'échappe. Nom d'un chien, je pleure décidément beaucoup trop ces derniers temps.
- Tu n'aurais pas dû lui donner ce prénom Rose, elle mérite mieux...beaucoup mieux...
C'était la vérité, je ne voulais pas voir grandir cet enfant comme si c'était moi, comme si tout recommençait, au même endroit. Je l'imaginais, au même âge que moi, vivre le même cauchemar et comme pour moi, il continuerait encore et encore. Il ne prendrait jamais fin, où qu'elle aille, il l'accompagnerait : à l'école, à l'église, dans la rue, elle serait toujours suivie par les regards et les murmures. Même quand elle parviendrait à s'enfuir, il l'empêcherait de vivre.
- Trésor, nous lui avons donné ce prénom en hommage à la personne la plus courageuse, bienveillante et déterminée que nous connaissions. Je veux que ma fille puisse être fière de son nom, je veux qu'elle te ressemble.
Pour ne pas qu'elle entende mes sanglots, je plaque ma main sur ma bouche. Je tremble de tout mon corps et je remercie le ciel que Deck soit sous la douche et ma soeur a plus de mille kilomètres d'ici. Seigneur, je suis ridicule. Je m'apitoie trop.
- Trésor, elle te ressemble, je l'entend glousser doucement à l'autre bout du fil, c'est un comble mais physiquement, elle ressemble plus à sa tante qu'à l'un de ses deux parents. J'ai hâte que tu puisses la voir, elle est magnifique...
- J'...j'ai hâte aussi, il ne reste plus que deux mois, bégayais-je à travers mes pleures.
- Ça passera vite, tu verras. Bon trésor, je dois te laisser, Alexandre et Mélanie viennent d'arriver...
- Embrasse-les de ma part, lui demandais-je en reniflant pitoyablement.
- Je n'y manquerai pas, je t'aime Mag...
Son ton est triste. Nul doute qu'elle s'est rendue compte de mon état. Je la connais, si à chaque fois que je l'appelle, je fond en larmes, elle ne tardera pas à débarquer ici, quitte à plaquer ses petites économies dans le voyage. Je ne permettrai pas que cela arrive. Ma famille a fait d'énormes sacrifices pour moi, pour me permettre de vivre cette vie. Je ne les inquiéterai pas plus.
- Je t'aime aussi Rose, lui dis-je et je force mon ton à paraître le plus enjoué possible.
Je raccroche ensuite et pars m'affaler dans le canapé du salon en soupirant. Au même moment, Deck sort de la douche, une simplement serviette nouée autour de la taille et les cheveux trempés.
Je ne me lasserai jamais de le dire... Dieu que cet homme est beau.
- Tu as réussi à joindre Rose ?
- Je viens de raccrocher, acquiesçais-je en séchant vite mes dernières larmes.
Il vient me rejoindre et s'affale comme un poids mort juste à côté de moi.
- Deck ! Tes cheveux sont trempés ! M'écriais-je quand il se couche à moitié sur moi.
- Rien à foutre, ça te rafraîchira. J'arrive pas à croire que dans deux mois, c'est l'hiver. Il fait presque trente degrés !
- Pauvre petit garçon fragile du Wyoming. Tu n'as pas l'habitude de telles températures ? Lui demandais-je d'un ton moqueur en caressant ses cheveux d'une main distraite.
- Et comment ! Chez nous, ça ne doit pas dépasser les dix degrés à cette période !
Il bascule la tête vers moi et je souris. Quand ses beaux yeux bleus croisent les miens, je suis frappée par une vague de tendresse.
- Comment elle allait ?
- Bien, enfin, tu connais Rose...
- Je plains ce pauvre François. Les temps qui vont arriver ne vont pas être de tout repos pour lui. Il avait déjà du mal à gérer avec une fille Scott, imagine maintenant avec deux...
Je ne peux m'empêcher de glousser à sa remarque. C'est vrai qu'il va très certainement en baver. Rose n'est pas connu pour sa patience, son calme ou sa capacité à négocier.
Je le plains aussi.
- Et quel superbe prénom ta soeur a encore réussi à nous dégoter ? Aux dernières nouvelles elle hésitait entre Mildred, Albertine et Maxime, celui là quoiqu'elle en dise ne peut même pas être considéré comme un prénom de fille.
- Elle et François ont choisi le prénom Maggie, lui dis-je sans cesser de trifouiller ses cheveux.
- C'est vrai ? Me demande-t-il en se tournant vers moi.
De la tête, j'acquiesce et immédiatement, un immense sourire vient se former sur ses lèvres.
- J'espère qu'elle te ressemblera, ce serait la meilleure chose qui puisse lui arriver, dit-il d'un ton très sérieux en m'observant.
Ma main s'immobilise dans ses cheveux et je l'observe moi aussi d'un air impassible. Il ne peut pas être sérieux...
- Comment peux-tu dire une chose pareil... Je ne souhaiterais à personne de me ressembler.
- Mags, soupire-t-il, ton problème c'est que tu es persuadée que tout le monde vaut mieux que toi. Si tu arrêtais d'être aussi dure envers toi même, tu verrais quelle personne exceptionnelle tu es.
Je souris moqueuse et réplique
- Si toi tu ouvrais les yeux, tu te rendrais compte que tu ne devrais même pas perdre ton temps avec moi.
- Arrête de dire des conneries, grogne-t-il en m'attrapant par la nuque et en me pressant contre lui.
Je noue ensuite mes bras autour de lui et cale mon visage dans son cou. Cette étreinte me console, c'est la même qui me calme la nuit après un cauchemar ou une crise de panique. C'est celle sans laquelle j'aurais déjà baissé les bras depuis longtemps.
C'est de cela dont j'ai besoin: sa sécurité, son réconfort, son empathie.
Mon meilleur ami.
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