Chapitre 15
PDV Jérémy
Avant de sortir, je m'arrête devant le miroir de l'entrée. J'aurai préféré le rencontrer en étant mieux apprêté, mais je me trouve plutôt réussi, en zombie. J'ai hâte de voir ce à quoi il va ressembler, mais surtout j'ai hâte de voir ce que va donner cette soirée. C'est une énième chance que je lui donne pour se rattraper. Une énième chance pour retrouver ce qu'il y avait entre nous avant que ses potes ne rentrent dans l'équation. Est-ce la dernière ? Je ne sais pas. J'aimerais ne pas avoir à lui en donner d'autre. Mais si je devais le faire, je ne suis pas capable de dire si je recommencerais. Au fond, tant rien d'autre, ou plutôt personne d'autre, ne vient prendre plus de place dans mon esprit, je sais que je continuerai à le laisser me faire du mal, que je continuerai à lui donner des occasions de se rattraper. Quand bien même il ne se rattrape jamais vraiment.
J'espère que cette soirée, cette chance, il ne va pas la gâcher. Parce que chaque chance que je lui donne, c'est une nouvelle blessure que je m'inflige. Et me faire du mal, ça ne peut pas durer pour toujours. Il y aura bien un moment où je ne serai plus capable d'encaisser.
Mais je ne veux pas être négatif, pas ce soir. Tout va bien dans ma vie depuis quelques semaines, alors je n'ai pas de raison de me torturer l'esprit. Au contraire, je devrais profiter, et sourire. Alors je redresse la tête et m'avance vers la porte, relevant le coin de mes lèvres vers le haut. Je souffle un bon coup avant d'ouvrir la porte, pour évacuer le stress. Je ne sais pas pourquoi ça me fait cet effet de le savoir juste de l'autre côté. Ou peut-être que je le sais. Je stress parce que je redoute de ne pas retrouver le Aaron que je cherche.
On va vite savoir si c'est lui qui se tient derrière ce morceau de bois.
Je l'ouvre et m'avance dans l'obscurité de l'extérieur. La nuit est déjà tombée, la rue est plutôt calme, signe que les enfants n'ont pas commencé à venir chercher quelques friandises. De jolies décorations -ou plutôt effrayantes- se dressent dans les jardins, et la lumière des lampadaires renforce l'atmosphère à la fois lugubre et enfantine.
Moi je regarde droit devant moi alors que la porte se referme dans mon dos. Je le vois, il se tient devant moi. Je n'attendais que ça, de le voir.
Mais quand mon regard croise le sien, mon cœur s'arrête de battre.
Il s'arrête de battre parce qu'il ne sourit pas. Il a l'air honteux. Il s'arrête de battre parce qu'il n'est pas déguisé, pas du tout. Il s'arrête de battre... parce qu'il n'est pas seul.
Je regarde autour de lui et c'est comme si j'étais en apnée en croisant le sourire mauvais d'Andrews. Je suffoque presque quand les rires de ses amis, les moqueries me viennent aux oreilles. Ces dernières bourdonnent, alors que je comprends. Je me suis trompé. J'ai encore donné une chance. Il l'a encore piétiné. J'ai envie de lui transmettre ma colère et ma déception quand je croise ses yeux, mais je ne suis capable de rien.
Je me sens comme pris dans un piège, l'étau se referme autour de moi. L'atmosphère d'Halloween qui m'amuse tant d'habitude me fait cette fois-ci frissonner. La voix moqueuse du chef de troupe s'insuffle jusque dans mes oreilles.
- C'est marrant, déguisé, tu as l'air moins pitoyable que d'habitude.
La remarque me blesse, mais je ne dis rien. Il a raison, en un sens. Je suis pitoyable, depuis le jour où il m'a rendu ainsi. Il me maintient dans cet état. Ou plutôt je m'y maintiens moi-même, en ayant pas le courage d'en sortir.
- Tu as vraiment cru que tu pouvais draguer mon pote comme ça et qu'on verrait rien ? En tout cas, on s'est bien amusé, à lire toutes tes âneries.
Leur a-t-il montré les messages ? Ou bien depuis le début, est-ce que je parle avec eux tous ? Depuis quand se joue-t-il de moi, exactement ? C'est les questions que j'aimerais lui poser, à lui, qui reste silencieux, sous le bras de son bourreau d'ami.
- Je pensais que tu allais comprendre le message...
Il s'avance vers moi, comme un prédateur s'avancerait vers sa proie. Je me rends encore plus compte maintenant de ce qui cloche chez ce type. Il est vraiment tordu.
- Mais il faut croire qu'on a été trop clément avec toi.
- Tu n'es peut-être pas si impressionnant que tu le penses.
Ça, c'est moi. C'est le moi qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, le moi qui se défend. Celui que je ne suis pas depuis qu'ils sont arrivés. Mais je ne le reste pas longtemps, face à lui. Son visage se déforme de colère et son poing rentre en collision avec ma pommette en même temps qu'il hurle.
- Redis-moi ça pédale !
Ma tête part sur le côté et je pose instinctivement ma main sur la zone blessée. Quand je la retire, au milieu du maquillage, c'est un liquide rougeâtre, que je sens tout ce qu'il y a de plus réel, qui m'apparaît. Je ne mets pas longtemps à comprendre que c'est la bague qu'il porte qui vient de m'ouvrir la joue. Il paraît content de lui, mais je lis dans ses yeux qu'il n'en a pas assez. Il veut plus de douleur.
Malheureusement pour lui et heureusement pour moi, des rires et des voix se font entendre un peu plus loin. Parents et enfants arrivent au bout de la rue, à la quête de douceurs, interrompant le petit jeu d'Andrews. Il s'éloigne un peu avant de poser sa main sur mon épaule.
- Aller, on se voit au lycée lundi mon pote.
En ricanant, il s'éloigne avec sa bande sur les talons. Je croise une dernière fois le regard d'Aaron. C'est comme si il me suppliait du regard de le pardonner. Mais de quoi ? De les avoir emmené ici ? De l'avoir laissé me frapper ? D'être un lâche ?
Je détourne les yeux, ne pouvant plus supporter de le regarder. A cet instant, ce n'est même plus de la déception. C'est du dégoût.
Il finit par rejoindre le camps qu'il a choisit de suivre. Moi, je n'attends qu'une chose, me terrer dans mon lit, et ne plus en sortir avant de n'y être obligé. Mais cette option disparaît quand la voiture de ma mère entre dans l'allée à côté de moi. Elle baisse sa vitre, et me regarde avec un grand sourire, signe qu'elle n'a rien vu de ce qu'il vient de se produire. Sinon, elle les aurait sûrement écrasés.
- Hey chéri, tu n'es toujours pas parti ? Viens, je t'emmène, ça sera plus rapide.
Je ne peux pas lui dire non, elle poserait trop de question. Alors je monte silencieusement dans la voiture, même si je n'ai absolument plus le cœur à aller faire la fête.
- Ton déguisement est terrible ! Cette blessure sur la joue paraît si réelle, c'est impressionnant. Tu vas tous les épater.
Elle paraît réelle parce qu'elle l'est, il faut dire. Mais je ne compte pas lui avouer. Alors je préfère ne rien répondre et elle prend la route, sans forcément faire attention au fait que je ne parle pas.
Quand elle se gare devant la maison du gang, et qu'elle me souhaite une bonne soirée avec un grand sourire, je me rends compte de la vie surréaliste que je mène. Quelle mère emmènerait son enfant chez des criminels ? Mais ici, si beaucoup les craignent, à juste titre, quelques exceptions savent leur vraie nature. Au fond, tout le monde sait qu'ils ne sont pas mauvais. Ils ne vous emmerderont pas si vous n'avez rien à vous reprocher. Mais leur réputation fait frémir. Avant, moi aussi, je les redoutais. Et puis il y a eu Lucy. C'est elle qui nous a rapproché d'eux. Suffisamment pour que nos génitrices ne craignent pas pour notre sécurité. Après tout, à partir du moment où l'on est dans leur cercle... c'est comme si on devenait intouchable. C'est sûrement cette garantie qui permet à ma mère de me déposer joyeusement ici sans rien craindre.
Je sors de la voiture et rejoins la maison alors que j'ai envie de faire demi-tour et de m'enterrer dans mon lit. Je me fraye un chemin entre les nombreuses personnes déjà présentes. La musique tambourine, mais j'imagine que c'est tout autre chose quand on se trouve près des enceintes. Au bout de l'entrée, j'aperçois Matthews et Lucy. Ce dernier est penché à son oreille et lui murmure certaines choses qui l'a font glousser. Je préfère ne pas savoir ce qu'il lui dit. Son regard croise le mien et il semble lui indiquer ma présence, puisque mon amie se retourne alors vers moi. Elle me fait un grand sourire avant de s'approcher, et me prend dans ses bras, Matt sur ses talons m'offrant un signe de tête, avant de regarder ma pommette en fronçant les sourcils.
Elle s'écarte de moi, et je sais qu'elle comprend que quelque chose ne va pas. Elle ne capte pas quoi, évidemment, mais je suppose qu'elle se doute que la cause de mon malheur n'a pas changée. Cependant, elle ne m'interroge pas. Je n'ai toujours pas parlé aux filles de ce qu'Andrews et sa bande s'amuse à faire, même si elles le savent très bien. Pour l'instant, elles respectent mon silence, mais je sais que ça ne va pas durer.
- Tu as même fait de fausses blessures ! Très réussie celle à la joue.
Elle parle fort pour couvrir la musique, mais pas suffisamment pour que les personnes autour de nous puissent capter quoi que ce soit.
Je n'ai le temps de rien répondre que Matt se charge de lui expliquer ma technique de maquillage.
- C'est normal, puisque c'est une vraie blessure.
Ses yeux s'écarquillent et elle ne se retient plus de poser des questions.
- Pardon ?! C'est quoi cette histoire Jérem' ! Qui t'as fait ça ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ce n'est rien.
- Arrête de te foutre de ma gueule !
La colère prend le pas sur l'inquiétude, je le sens. Mais je n'ai pas envie d'en parler. J'ai encore en travers de la gorge le comportement d'Aaron, et si je n'ai pas envie de faire la fête, je préfère encore me forcer plutôt que de ruminer ce qu'il vient de se passer.
Je vois qu'elle veut insister mais Matt pose une main sur son bras, sans cesser de me regarder.
- Laisse-le pour ce soir, mon ange. Tu régleras ça quand on sera en petit comité.
Elle sert les dents, et je sais qu'elle se retient de me forcer à la suivre dans une chambre pour tout me faire déballer.
- Bien. Elle pointe son doigt vers moi. Demain, tu ne pourras plus fuir. Il va falloir que tu nous dises tout.
Je me disais bien qu'elle ne tiendrait pas bien longtemps avant de réclamer des réponses, et je n'avais pas tord. D'un regard, je remercie Matt pour son aide. Il me fait un petit signe de tête avant d'entraîner une Lucy peu encline sur la piste de danse.
Maintenant seul, je me dis que la seule chose dont j'ai besoin, c'est d'un verre. Ou deux. Ou plus. Je prends donc la direction de la cuisine, en essayant d'éviter toutes les personnes déjà bien alcoolisées. Seul deux ou trois personnes se trouvent à l'intérieur, la plupart se servant aux bars installés dans le salon, et sur la terrasse. Moi, je préfère éviter un peu la foule.
Parmi les présents, je reconnais le dos de l'un d'eux. Celui-ci se retourne vers moi et m'aperçoit. Avant même de sourire, ses yeux se posent sur ma joue et il semble comprendre sans mal que ce n'est pas du maquillage. Il faut croire que reconnaître du sang est un jeu d'enfant pour les Black Roses.
Josh me regarde un instant, et je sais qu'il voit très bien qui m'a fait ça, comme Lucy et Matt.
En revanche, lui, ne m'assaille pas de question, il se contente d'une seule.
- Je suppose que tu ne veux pas en parler ?
Je me contente d'un petit sourire gêné en guise de réponse, et lui s'arrête à cela, me tendant alors un verre. Je le prends en le remerciant, pendant qu'il s'en sert un.
En le voyant, et en repensant à tout ce que j'ai pu voir de lui jusqu'à présent, je me dis que Josh est une personne qui inspire vraiment confiance. Il a cette aura autour de lui, il attire les confidences. On a l'impression de tout pouvoir lui confier, lui dire, et qu'il saura écouter et conseiller. Et je sais que ce n'est pas juste une impression. Il a été l'élément déterminant de la mise en couple de mes deux meilleures amies. Mais si il donne envie de se laisser aller aux confidences, je n'en ai pas envie pour l'instant. Je sais qu'il m'écouterait, et je sens qu'il attend que je décide si oui ou non je souhaite en dire plus. Alors je lui fais part de ma réponse.
- On est là pour passer un bon moment.
Même si après ce qui vient de se passer, je ne suis pas sûr de réussir à passer un bon moment, c'est ma façon de lui faire comprendre que je veux laisser les soucis derrière moi au moins ce soir. Demain est un autre jour, où j'ai bien compris que je devrais me livrer au moins à quelques personnes, même si le dire à l'une revient à le dire à tous. Lucy n'est pas du genre à répéter. Mais dans une telle situation, je sais qu'elle leur demandera de l'aide. De toute façon, ils sont déjà tous impliqués.
Il comprend le message et ne rajoute rien là-dessus, se contentant de lever son verre.
- Alors santé.
Dans une fausse joie, bien qu'un peu plus réelle que lors de mon arrivée, je laisse le mien venir taper dans le sien, sans son dû au plastique des récipients, en esquissant un petit sourire.
- Santé.
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Vous vous en doutiez, les retrouvailles ne pouvaient pas être bonnes...
Que va donner cette soirée ? Je n'ai qu'une chose à vous dire... Jérémy va échanger un baiser... mais avec qui ?
Vous le saurez bientôt,
A dimanche,
Kiss :*
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