Chapitre 1-2 : 5 ans plus tard.

Tout le monde était surpris. Oui, j'avais survécu. Oui, je l'avais sauvé... Mais à un certain prix. J'étais fatiguée, il l'était tout autant. Mais je savais qu'il s'en voulait énormément.

Le poids du regret est souvent plus lourd qu'une fatigue physique.

Ils étaient venus nous récupérer, et une fois rentré à la caserne, ils nous avaient soignés, sans nous séparer. Anthony ne voulait aller nul part sans moi. Il avait beau avoir grandi et un corps d'ado, il n'était plus le même.

- Tu crois que... je vais les revoir ? hésita-t-il.

J'ai tenté d'éviter son regard, mais ce n'était plus possible.

- Je ne sais pas.

J'avais un mauvais pressentiment à ce sujet... C'était le même que lorsque je m'étais rendue dans cette grotte pour le chercher.

Ce qui n'était pas bon signe. Je ne pouvais plus rien lui promettre à ce sujet.

- Angely...

Je me suis tournée en entendant mon prénom et je le vis arriver. Il avait plus de rides, mais toujours la même allure...

- ...Colonel...

Il me fit un signe de la tête, les larmes aux yeux, un léger sourire aux lèvres. Comme s'il était rassuré de me revoir.

- Je savais que tu reviendrais.

J'ai hoché la tête et je lui ai désigné Anthony qui l'observait sans rien dire. Il était méfiant, et je pouvais le comprendre. On ne pouvait donner sa confiance aussi rapidement, alors qu'il venait à peine de rentrer.

- Tu as réussi à le sauver !
- Combien de temps... est-ce qu'on est parti ?
- ...Cinq ans.

Anthony écarquilla des yeux alors que j'avais le tournis. Tant de temps était passé depuis que j'étais partie... Et pourtant, on dirait que rien n'avait changé.

Le temps défile. Les grains de sable tombent dans le sablier sous nos yeux, mais nous n'avons rien vu. Comme aveuglé, on avançait sans savoir dans quelle direction.

- Et... Nos parents ? hésita mon petit frère.

Le regard du colonel se fit fuyant, et j'ai serré les poings. On dirait que mon mauvais pressentiment avait raison. Dan ne semblait pas vouloir cracher l'information. Et pourtant, Anthony devait savoir.

Les vieux avaient décidé de remplacer Anthony par un nouvel enfant ? Comme ils l'avaient fait quand j'avais disparu ? Et maintenant, ils ne voulaient plus le voir ? Alors qu'il était revenu sain et sauf de ce merdier ?

- Ils...
- Vous les avez mis au courant au moins ?

Je toisais le colonel, à la recherche d'une petite lueur qui me renseignerait sur ce qu'il se passait, mais je n'y vis que de la tristesse.

- ...Impossible...

Je ne comprenais pas pourquoi ils ne pouvaient pas les prévenir. Ils étaient partis dans un nouveau pays pour reprendre un nouveau départ ?

- Pourquoi ? demanda mon petit frère.
- ...Ils sont... morts...

Quoi ?! Ils étaient... morts ?

Ce qui expliquerait le fait qu'on ne puisse plus les contacter... J'ai jeté un coup d'oeil à Anthony, et je le vis, alors que son air choqué était étalé sur son visage, ses yeux étaient s'étaient vidés de toute expression. Et pourtant, je savais ce qui lui passait par la tête. Pendant ces cinq années à ses côtés, j'avais appris à le connaître. Je me suis approchée de lui avec mes béquilles et j'ai pris sa main droite dans la mienne, alors qu'elle tremblait.

- Il y a 2 ans de cela, ils se sont suicidés. Ils ne pouvaient plus vivre en perdant à chaque fois leur enfant...

Les larmes roulèrent le long des joues de mon petit frère. Il les effaça rapidement, mais elles revenaient.

- Tu peux pleurer, Anthony...
- Non... Je t'ai promis de ne plus pleurer...

J'ai lâché mes béquilles pour le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. Il passa les siens autour de moi. Me serrant contre lui comme s'il avait peur de me perdre.

Que je ne m'évapore comme eux.

- Tu peux pleurer, répétais-je.

Et il pleura.

Je savais que j'étais blessée, et que c'était irrécupérable pour certaines blessures. Anthony le savait aussi et je sentais sa culpabilité... Il faisait nuit noire à l'extérieur et le colonel nous ramenait chez lui pour que nous puissions nous reposer. Je lui avais demandé pour Seth et les jumeaux, et il m'avait appris qu'ils étaient tous partis, qu'ils avaient leur propre appartement, et qu'ils s'étaient parfaitement intégrés dans la société...

Ils avaient avancé dans leur vie, alors que j'étais partie sans leur donner d'explication.

Quand la voiture s'arrêta, j'ai ressenti de la nostalgie en voyant cette maison et celle qui se trouvait à côté. Tout ça datait de 5 ans, mais pourtant, c'était toujours pareil. Anthony m'aida à descendre en me soulevant et me passa mes béquilles, puis me guida vers la porte d'entrée.

- Miaouuuuu

Surprise, j'ai regardé dans le jardin du colonel pour voir les petits chatons d'autrefois devenus de grands chats. Ils vinrent vers moi et se frottèrent contre ma jambe gauche.

- Ca faisait longtemps, chuchotais-je.

Anthony les caressa et le colonel nous fit signe d'entrer. Les laissant, mon petit frère me soutint, et m'entraina à l'intérieur. Tout était identique. Comme si tout ce que j'avais vécu avec mon frère pendant ces 5 ans n'était jamais arrivé...

Comme si c'était quelque chose qu'on pouvait effacer, et bannir de nos pensées.

- Tu te rappelles des lieux ? me demanda Dan.
- ...Oui...
- Faites comme chez vous !

Traversant la maison doucement, Anthony à mes côtés, j'observais les alentours en me rappelant de ce qui s'était passé ici il y a 5 ans...

Pas mal de souvenirs m'ont submergé... et bien sur, il en faisait parti... Comme toujours.

Pour monter les marches d'escaliers, mon petit frère m'aida en me soutenant, et une fois à l'étage, je me suis dirigée vers mon ancienne chambre qui était vide d'affaire. Le lit était au même endroit, et la table aussi.

Vraiment comme avant.

- Tu devrais te reposer. Tu es fatiguée...
- Toi aussi...
- Je peux tenir !

Je me suis assise sur le lit en posant les béquilles sur le sol et je me suis allongée avec soulagement. J'ai tendu ma main droite vers lui et il l'a prise avant de venir à côté de moi.

- Tu penses qu'on s'en sortira ? m'interrogea-t-il.
- On s'en sortira. On a bien réussi dans ce foutu désert !

Il sourit légèrement, mais ses yeux s'attardèrent sur mon visage, et il redevint triste.
- Tu ne pourras plus...
- Je t'ai déjà dis de ne pas t'en faire, Anthony ! le coupais-je.
- Et ta jambe droite !
- Le colonel a dit qu'il allait placer un rendez-vous pour une opération.
- ...Tes amis ? tenta-t-il.
- ...Peut-être qu'ils m'ont oublié...
- C'est de ma faute...
- Arrête de t'en vouloir ! J'ai décidé d'aller te chercher moi-même, et je suis contente d'avoir pris des risques, même si on a eu du mal plus tard...

Me rappeler de tout ça me fit du mal. Toutes ces années dans le désert, à la recherche d'eau, de quoi manger, et toutes ces nuits où je ne dormais pas pour le protéger. Toutes ces fois où il essayait de me convaincre de l'abandonner...

Toutes ces fois, où j'ai senti son désespoir, alors qu'il dormait blotti près de moi...

- Maintenant, continuais-je. On a une nouvelle vie. On va la construire pour que plus jamais on ne se retrouve séparer, d'accord ?
- Oui.
- Si tu as faim, tu peux aller fouiller dans la cuisine du colonel, tu sais ?

Il rit, ce qui me fit sourire. J'aimais le voir comme ça. Détendu, joyeux. Son sourire m'était précieux. C'était la seule chose qui m'avait permis de tenir aussi longtemps auprès de lui.

- Tu veux quelque chose ?
- Mmh... Prends ce que tu veux.

Il se leva et partit, en me laissant seule dans cette chambre. J'ai soupiré. J'étais tellement fatiguée, mais je n'étais pas prête à dormir. Maintenant que les parents étaient morts, je ne savais pas quoi faire...

Oui, leur mort ne m'affectait pas tant que ça, et je m'en voulais d'être aussi dénuée d'émotions, surtout devant Anthony qui avait sangloté dans mes bras.

Et moi alors ? Je n'avais versé aucune larme. Rien. Comme si je les avais toujours considéré comme des étrangers.

En même temps... j'avais changé mon regard sur eux, depuis ce fameux jour...

Anthony pouvait être scolarisé à nouveau, mais moi ? Je ne voulais pas. Le terrain, c'était ma vie, la seule chose que je me savais capable de faire et de supporter... La ville, c'était autre chose.

Et puis, j'avais vieilli.

- Angely ?

J'ai jeté un coup d'oeil vers la porte pour voir le colonel entrer. Je me suis appuyée sur mes mains pour m'asseoir sur le lit.

- Oui ?
- Que comptes tu faire maintenant ?

J'ai poussé un long soupir à fendre l'âme. Justement, je me le demandais...

- Je ne sais pas...
- Tu souhaites prévenir Seth, Alexy et Armin ?
- ...Non.

C'était trop tôt pour que je les revois... Beaucoup trop tôt. Et je n'étais pas préparée à ce qu'ils me voient dans cet état.

- Je ne sais pas ce que je compte faire... Pour l'instant... J'aimerais juste qu'Anthony retrouve des forces, et qu'il aille bien. Pour ma part, je me fiche de ce qu'il peut m'arriver.

Il hocha de la tête et croisa les bras.

- Vous pouvez vous reposer chez moi. C'est tellement vide depuis un moment...
- Et Atmen ?

Oui, je voulais savoir pour cette vieille peau de vache qui m'avait menacé. Savoir ce qu'elle était devenue. Encore, je m'étonnais de ne pas l'avoir croisé à la caserne depuis notre retour !

- ... Elle est partie avec son mari dans un autre pays.

J'ai grimacé. Je comprenais mieux son absence maintenant. Voyant la tête du colonel, je m'en suis voulue d'avoir posé la question. C'était comme dirait-on un sujet tabou chez lui.

- Désolée...

Il haussa les épaules, comme s'il s'en fichait, alors qu'au fond, je voyais bien dans ses yeux qu'il était blessé et qu'il n'avait toujours pas réussi à tourner la page.

- J'aurais du m'en douter. Mais dis-moi... Qu'est-ce qu'il s'est passé là bas ?
- ...
- Elle m'a sauvé la vie, et m'a protégé de tout.

Le colonel jeta un coup d'oeil à mon frère qui avait son air sérieux. Il avait deux canettes en main et un paquet de chips.

De la mal-bouffe. Tout ce qu'il faut pour récupérer de ce qu'il s'était passé.

- Je ferais mieux de vous laisser. Vous avez besoin de repos.

Dan ébouriffa mes cheveux d'une main et fit de même en passant devant Anthony.

- Appellez moi "papa" les enfants !

Même maintenant il continuait à dire ça...  Je me suis rappelée de tous ces mois, il y a quelques années, quand il m'avait dit de l'appeler de cette manière.

Que de souvenirs.

J'étais vraiment de retour...

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Kiiiiss

Lil'