Chapitre 14 - Arthur - Avant

Les mots s'échappent de ma bouche, comme un souffle glacé qui n'atteindra jamais son cœur :
— Je pars.Mara ne bronche pas. Elle reste là, fixée sur son cahier, penchée sur l'îlot de sa cuisine comme une statue immobile, figée dans une lueur crépusculaire. Ses cheveux dorés, autrefois éclatants, semblent voilés, ternis, illuminés faiblement par les rayons moribonds du soleil qui percent les vitres géantes derrière elle. Elle est une ombre d'elle-même, une pâle réminiscence de la Mara que j'ai autrefois connue, celle qui avait su capturer mon cœur, au fil d'années d'enfance et de secrets.

— Je suppose que rien ne pourra te faire changer d'avis, murmure-t-elle enfin, son visage tourné vers le vide, ses yeux absents, perdus dans les lignes invisibles du silence.

Je croise les bras contre ma poitrine, serrant mon cœur comme pour l'étouffer. Je ne veux pas lui faire de mal. Je ne veux pas la voir sombrer plus profondément. Mais je ne peux pas rester ici, pas en sachant qu'un autre hante ses pensées. Je ne serai pas l'ombre qui traîne derrière elle, l'alibi qu'elle garde au cas où, un échappatoire de fortune.
Parce qu'il y a elle.

Elle hoche la tête, murmurant d'une voix rauque :
— C'est bien plus complexe que ce que tu imagines, Arthur.

Je reste muet, ma langue figée dans l'amertume.
— Tu es... mon meilleur ami, Arthur. Tu es celui qui m'a ouvert les yeux...

Son regard glisse lentement vers moi, humide, brillant d'un éclat indéchiffrable, comme un diamant fêlé sous une lumière froide. Elle passe une main tremblante sur sa joue, masquant son visage, mais elle ne peut pas cacher la fissure qui se propage dans son regard.

— Ne pleure pas pour moi, Mara.

Ses lèvres tremblent, ses dents capturent la lèvre inférieure.
— Non, murmure-t-elle, mais tu me fais oublier pourquoi je pleure.

Ces mots, lourds comme du plomb, glissent de sa bouche, vrais, bruts, tranchants. Ils résonnent, percèrent le silence glacial. Juste un instant, sous cette lumière agonisante, elle redevient cette fille lumineuse que j'ai aimée, mais l'illusion se brise, une vision fugace, égarée entre les ombres qui dansent dans cette pièce. Mara n'est plus celle qu'elle était, et ce depuis bien trop longtemps. J'ai tenté, autrefois, de comprendre, de percer le mystère de ses ombres, mais elle a érigé des murs, des remparts impénétrables que j'ai accepté sans broncher.

— Mara, je serai là, toujours. Mais je ne suis pas une créature que tu peux enfermer dans une cage.

Elle grimace, sa bouche se crispe, et avant qu'elle n'ait le pouvoir de me retenir, je me détourne, marchant vers la sortie, le cœur en lambeaux, étouffant dans le silence pesant.

Je roule sans destination, la nuit s'insinuant dans les ruelles, s'étirant sur les toits des maisons comme une ombre sournoise. Les lampadaires jettent une lumière pâle et froide sur le bitume, et bientôt, j'arrive près du parc, ce lieu qui autrefois était mien, avant qu'elle n'y laisse son empreinte. Je coupe le moteur devant le portail en fer forgé, son imposante silhouette se détachant dans la pénombre, veillant comme un gardien antique et sinistre. Mes mains restent agrippées au volant, mes doigts glacés, mon cœur battant sourdement dans ma poitrine.

Peut-être qu'elle n'est pas là ce soir.

Mais l'espoir m'aveugle, l'image de son sourire triste, accroché à cette balançoire, me guide, me consume. C'est un espoir toxique, brûlant, que je ne mérite pas, et pourtant, je sors de la voiture. L'air est acéré, glacial, mordu par l'hiver. La portière claque derrière moi, un écho sourd dans la nuit profonde. Je me sens comme une âme errante, tirée en avant par un besoin qui m'échappe.

Et je la trouve là, exactement comme je l'imaginais. Rosie. Elle est assise sur cette maudite balançoire, ses pieds balançant doucement dans le vide. Ses mains fines agrippent les chaînes métalliques qui luisent faiblement dans la nuit tombante. Elle ressemble à une apparition fragile, une tache pâle dans un monde de violets et de gris, recroquevillée sur elle-même, presque éthérée.

Je devrais m'éloigner, tourner les talons. Je suis le poids dans sa vie, l'ombre qui l'alourdit, l'homme qui observe sans agir. Mais mes pas continuent, comme ensorcelés, jusqu'à ce qu'elle lève les yeux, ses prunelles brillantes et voilées encadrées par des mèches folles, fouettées par le vent. Son sourire, triste et délicat, se faufile sur ses lèvres, déchirant quelque chose au fond de moi. Ce sourire me laisse exsangue, le souffle court.

Je m'assois sur la balançoire à ses côtés.
— Arthur, murmure-t-elle.

— Rosie, je réponds, ma voix brisée.

Son murmure me transperce, me libère du monde extérieur. Mara, mon père, ma mère, tout disparaît dans le silence de la nuit.

— Je vais finir par croire que tu viens ici pour moi, glisse-t-elle, une lueur taquine, étrange, scintillant dans son regard.

Un frémissement me parcourt.
— Peut-être bien que oui.

Pour la première fois, une lueur de joie vacille dans ses yeux, contraste troublant sur son visage marqué par la mélancolie.

— Arthur, rappelle-toi, tu as quelqu'un dans ta vie.

— Tant que je suis ici, on ne fait rien de mal.

Elle me fixe, le silence entre nous devient épais, lourd. Je sais que je ne pourrai pas résister longtemps. C'est pour ce sourire, cette lueur de douceur, que je veux rompre avec Mara. Pour protéger cet éclat rare, ce fragment de lumière.

Un frisson la traverse, et sans réfléchir, j'enlève ma veste, la posant sur ses frêles épaules. J'attends qu'elle recule, qu'elle refuse ce geste, mais elle se blottit dedans. Sa voix douce s'échappe de ses lèvres :
— Merci.

La voir là, enroulée dans mon manteau, m'apaise. Elle est fragile, et pour une raison que je ne comprends pas, elle me laisse être là pour elle. Il y a un silence, profond, enivrant. Mon cœur bat plus fort, exulte de cette intimité fugace.

— Est-ce que tu as réussi à faire ce que tu avais sur le cœur ? demande-t-elle enfin, rompant le silence.

Je hoche la tête, ma voix n'est qu'un murmure :
— Je pense.

Elle incline la tête, son regard m'interroge.
— Tu ne veux pas en dire plus, n'est-ce pas ?

Un instant, j'hésite. Devrais-je lui dire que c'est pour elle que j'ai osé tourner la page ? Que cette rupture avec Mara m'a semblé évidente, comme une délivrance, après l'avoir vue, elle, dans un moment de faiblesse. Mais je me ravise, me contentant de secouer la tête.

— Pas pour l'instant, mais... si tu acceptes de m'accompagner un jour prendre un café, peut-être pourrais-je y songer.

Son visage s'empourpre malgré le froid, et elle détourne les yeux. Elle ne dit rien, mais elle se balance doucement, bercée par le vent, son sourire flottant comme une lueur dans l'obscurité, tandis que la nuit referme son étreinte autour de nous.

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