Chapitre 13 - Part 1
Ils me traînent en bas, et je me retrouve dans un monde inconnu. Le salon de Jules est plongé dans la pénombre, les rideaux tirés, éclairé seulement par des guirlandes lumineuses rouges et bleues accrochées aux murs.
Des ados s'embrassent dans les coins, collés les uns aux autres, dans l'ombre. D'autres s'envoient des shots, leurs rires éclatent au-dessus de la musique, désinhibés, incontrôlables. Des bouteilles vides et des canettes écrasées traînent partout, éparpillées sur la table basse et le sol. L'air est saturé de l'odeur de bière, de fumée et de quelque chose de sucré qui se prend dans ma gorge.
Je reconnais des visages dans la foule — des camarades de classe, des gens qui ne m'ont jamais regardée deux fois. Ils n'ont pas l'habitude de me voir ici, dans cette robe, à cette fête.
Et pour être honnête, moi non plus.
Je respire un grand coup, et me force à sourire.
Jules me tend une bière que j'accepte sans réfléchir.
Si l'alcool peut faire disparaître ce malaise, alors pourquoi pas.
À la deuxième bière, Clara entre au bras d'Arthur. La foule applaudit, comme si c'était une star qui venait d'arriver. Dix-neuf ans aujourd'hui, et il est encore plus beau que dans mes souvenirs. Arthur, le mystérieux, celui qu'on ne comprend jamais complètement. Il a redoublé une année — je ne sais pas pourquoi, parce qu'il est brillant. Il pourrait réussir tout ce qu'il veut, mais il semble toujours choisir la difficulté, l'obscurité.
Comme moi; un maudit papillon de nuit.
Avec sa veste en jean et son pantalon noir, il se détache de tous les autres, grand, imposant, presque intimidant. Il y a quelque chose de sombre dans ses yeux, quelque chose que personne ne peut atteindre, pas même Clara qui s'accroche à lui comme une moule à son rocher.
À côté de lui, je me sens minuscule. Insignifiante. Mais je suis amoureuse de lui, et c'est pathétique, je le sais. Parce qu'il ne m'a jamais vraiment vue, du moins pas de la façon dont je voudrais. J'ai connu son corps mais pas son âme.
Je dois penser à moi, je dois me protéger.
Arthur est comme une douleur dont je ne peux pas me détacher. Il me fait mal, et pourtant, je ne peux pas imaginer ma vie sans cette souffrance-là. Je suis sûre qu'il ne sait même pas que je suis là, et après ce matin, il ne doit pas vouloir me voir. Je m'enfonce dans le canapé, et Jules rit à côté de moi.
— Quoi, Rosie, tu veux disparaître ?
Je baisse les yeux, mal à l'aise, et murmure presque pour moi-même :
— Je n'ai même pas de cadeau pour Arthur.
Il hausse un sourcil et se penche vers moi, assez près pour que je sente son haleine alcoolisée étrangement sucrée.
— Un cadeau pour Arthur ? Oublie-le. Il a déjà tout ce qu'il veut... y compris Clara, si tu veux mon avis.
Son sourire se fait un peu plus large, presque cruel, et il prend une gorgée de sa bière, sans me lâcher du regard. Une sensation de malaise m'envahit, mêlée de honte et de jalousie, et je détourne subitement le regard. Mais Jules ne bouge pas. Il se rapproche même, passant un bras autour de mes épaules tandis que je me tend comme un ressort.
— Pourquoi tu fais ça, Jules ? je murmure. Pourquoi tu t'intéresses à moi tout d'un coup ? Avant, tu m'ignorais.
Il cligne des yeux, peut être surpris par ma question, avant de sourire de plus belle.
— Peut-être que j'ai enfin ouvert les yeux. Peut-être que j'avais jamais remarqué à quel point tu es intéressante, Rosie.
Son ton est léger, désinvolte, mais son regard reste accroché au mien, alors qu'un chaleur inexplicable se propage dans ma poitrine. Il baisse la voix, son visage s'approchant un peu plus du mien.
— Tu sais, t'as quelque chose, Rosie. Quelque chose que les autres n'ont pas.
Ce n'est que Jules. Ivre, séduisant, certes... mais il n'est pas Arthur. Pourtant, son regard reste accroché au mien, un peu trop intense, un peu trop sérieux pour un simple flirt.
Je secoue la tête, comme pour chasser l'effet qu'il a sur moi, et me raccroche au picotement familier entre mes jambes, là où le cutter a laissé sa trace, encore douloureuse.
— Arrête. T'es bourré, Jules.
Il sourit, amusé, mais son rire est doux, presque intime.
— Peut-être, admet-il. Mais ça change rien. Ivre ou pas, je vois des choses que les autres voient pas.
Sa main se pose sur mon bras, légère, mais suffisante pour que mon corps se tende. Entre méfiance et quelque chose que je préfère ne pas nommer. Il semble capter mon hésitation, et son sourire s'adoucit, devient presque sincère.
— Ça te surprend tant que ça ? demande-t-il, sa voix basse et chaude. Que quelqu'un puisse te regarder... vraiment te regarder ?
Je me fige, incapable de trouver les mots. Jules, avec son assurance tranquille, son charme facile... Est-ce qu'il est sérieux ? Est-ce qu'il me voit, vraiment ? Ou est-ce juste un jeu, un défi de plus dans cette fête où tout le monde cherche à conquérir quelqu'un ?
Doucement, il glisse une main dans mes cheveux, effleure une mèche derrière mon oreille, son geste étrangement tendre.
— Détends-toi, Rosie. T'es belle, tu sais. Tu mérites qu'on te le dise.
Je veux lui répondre, le repousser, lui dire que je ne crois pas à ses compliments d'un soir, mais ma gorge est nouée. Il est si proche maintenant que je sens la chaleur de son corps, le mélange d'alcool et de parfum qui flotte autour de lui. Mon corps refuse de bouger.
Il baisse encore la voix, son souffle frôlant ma joue.
— Laisse-moi te montrer que je suis sérieux. Que je te vois, toi.
Son regard descend lentement jusqu'à mes lèvres, et mon cœur bat si fort que le monde entier pourrait l'entendre. Mes paupières se ferment d'elles-mêmes, prise entre l'envie de céder et la peur de ce que cela signifie.
Un instant suspendu, figé dans le bruit de la fête qui continue autour de nous. Je sens sa présence, cette tension entre nous, et mon cœur vacille. Mais au dernier moment, je m'écarte légèrement, rouvre les yeux et le fixe, la voix tremblante.
— Tu dis tout ça maintenant, mais demain, tu m'auras oubliée.
Il me regarde, surpris, puis sourit, comme amusé par mon défi. Il secoue la tête, son sourire mystérieux.
— Crois-moi, Rosie. Y a aucune chance que je t'oublie.
Avant que je puisse répondre, Julie surgit à côté de nous, un sourire éclatant aux lèvres. Elle tend la main dans ma direction.
— Une danse ?
Je saisis sa main comme une bouée de sauvetage.
Je n'ai pas ma place ici.
Je ferme les yeux, me laisse aller. Dans la foule, je ne suis plus personne, je ne suis plus celle qu'on ignore, celle qu'on méprise. La musique vibre dans mon corps, les basses résonnent dans ma poitrine, et pour une fois, j'arrive presque à me perdre. Je bois quelques gorgées de bière sans finir les bouteilles, fixant les lumières qui tournoient au plafond.
Julie me lâche soudain pour rejoindre un garçon à l'autre bout de la pièce. Je la regarde s'éloigner, un peu perdue, avant de sentir une présence à mes côtés. Jules. Il est revenu, un sourire légèrement bancal aux lèvres, les yeux brillants. Il a consommé plus que quelques bières, ça se voit dans sa démarche, dans la façon dont il se penche vers moi, un peu trop près.
Mais je m'en fiche. Peut-être que si je fais comme lui, si je me laisse aller, je pourrai oublier Arthur. Trouver une façon de passer à autre chose. Je suis déjà brisée. Que pourrait-il faire de plus ?
Jules prend ma main, l'air sûr de lui, et m'attire contre lui. Je ferme les yeux, essayant de chasser l'image d'Arthur de mon esprit, d'oublier ses yeux sombres et cette cicatrice fine sous son œil. Jules penche la tête vers moi, son souffle chaud effleure ma joue. Mon cœur bat plus vite, mais je ne m'écarte pas. Je me laisse faire, m'abandonne à cette chaleur. Quand ses lèvres se posent sur les miennes, je le laisse m'embrasser.
Mon premier vrai baiser.
Il est doux, lent, presque sucré. Rien à voir avec l'image que j'avais d'un premier baiser. Rien à voir avec ce que j'aurais imaginé avec Arthur. C'est... agréable, oui, mais ça sonne creux, comme si quelque chose manquait.
Ce n'est pas toi.
Je rouvre les yeux, et je me retrouve face à Jules, ses yeux brouillés par l'alcool, son sourire un peu trop satisfait. Sans réfléchir, je m'écarte, repoussant sa main, et je recule.
— Rosie... Qu'est-ce que tu fais ? demande-t-il, un peu surpris, un peu amusé.
Je ne réponds pas. Mon visage est en feu, et les larmes montent à mes yeux sans que je puisse les contrôler. Ce baiser, cette chose précieuse, je sens qu'elle m'a été volée, qu'elle m'a échappé.
Je bouscule les gens pour atteindre la sortie, Jules derrière moi. Je traverse la porte, me lançant dans la nuit froide, mes pas rapides résonnant sur le trottoir. Les lampadaires éclairent la rue déserte, et je marche sans but, juste pour mettre de la distance entre moi et ce qui vient de se passer.
Les maisons défilent, les unes après les autres, et mes pas ralentissent jusqu'à ce que je m'arrête enfin. Je lève les yeux vers la lune qui perce les nuages. Les larmes recommencent à couler, plus fort cette fois, sans retenue. J'ai perdu quelque chose que je n'ai jamais eu, et pourtant la douleur est là, vive et déchirante.
Je tombe à genoux sur le trottoir, les mains tremblantes. Le froid du tarmac mord mes genoux, mais je ne bouge pas. Je laisse la tristesse m'envahir, me noyer.
Puis des pas derrière moi brisent le silence. Je ne me retourne pas, mais je sais que c'est lui. Jules. Je l'entends s'approcher, puis s'arrêter juste derrière moi.
Finalement, il s'accroupit à mes côtés, pose doucement une main sur mon épaule.
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