Chapitre 13







Louis descendit la falaise. En bas, à l'ombre d'un rocher, il pouvait déjà voir Harry qui l'attendait. Il se dépêcha d'atteindre le sol et courut vers lui.

-Haz ?

La sirène releva la tête. Louis fronça immédiatement les sourcils.

-Eh... Quelque chose ne va pas ?

Les yeux d'Harry étaient rouges, comme ceux de quelqu'un ayant trop pleuré. Le coeur de Louis se serra davantage. Harry détourna à nouveau la tête, fixant la mer.

-Non... Ca va. C'est... L'eau de mer.

-Te fous pas de ma gueule.

-J'ai des allergies.

-Harry.

-Vas t'en.

-Si tu n'avais pas envie de me voir, il ne fallait pas venir.

Harry resta silencieux. Louis soupira, n'osant pas approcher ou le toucher, ce dont il avait pourtant désespérément besoin. De toute façon, il ne savait pas comment aurait réagi Harry. Quelque fois, il semblait aimer le contact et d'autres, il repoussait simplement Louis sans explications.

Louis finit par s'asseoir derrière le rocher, dos à Harry. Il attendit. Qu'est-ce qui avait pu rendre Harry triste, lui qui semblait tellement apaisé la veille au soir ? La voix de la sirène finit par se mêler au bruit de l'océan.

-Je crois que je me déteste. Je déteste mon... corps. Toi aussi, non ? Je crois que tu me trouves répugnant mais comme tu es gentil... Je suis, je ne suis même pas entièrement humain ou poisson, je suis juste... monstrueux ?

-Tu n'es pas-

-Arrête. Laisse moi parler.

Louis se releva, mais il sentit le dos de Harry se contracter, comme lorsqu'il s'apprêtait à plonger.

-Harry je t'assure que-

-Je veux mourir.

-Quoi ?!

Louis se retourna tout à fait. Harry était recroquevillé sur lui-même. Il avait l'air d'un enfant, mais d'un enfant sans rêves, malheureux, vide, déchiré.

-Je veux mourir. Tout le temps. Je ne suis pas à ma place ici, tu comprends ? Je me trouve si laid. Je hais cette queue, je hais ne pas avoir de jambes, de pieds, de mollets. Je voudrais pouvoir courir et sauter et marcher et danser et tout ce que toi tu peux faire-

-Je ne peux pas nager aussi vite que toi, moi ! Harry tu es merveilleux, tu es un don, tu es magique et-

-Je m'en fous !

Harry releva rageusement le visage. Ses mains tremblaient sur le rocher et pendant un instant, Louis eut peur de sa colère au point de reculer. Il n'avait jamais vu Harry comme ça. Il le connaissait timide, curieux, adorable, drôle, gentil, attirant, intriguant, mystérieux, mais en colère, jamais.

-Je m'en fous... Qu'est-ce que ça m'apporte de savoir nager vite et de respirer sous l'eau quand je pourrais naviguer jusqu'au bout du monde sur un bateau et plonger dans les profondeurs de l'océan avec un scaphandre. Qu'est-ce que ça m'apporte ? Je ne veux pas être... être une putain de sirène en détresse comme il y en a dans les contes, je ne veux pas sauver de princes de la noyade et je ne veux pas ensorceler Ulysse en lui chantant une chanson idiote ou je ne sais quoi je veux juste... je veux juste être... humain.

Ils restèrent un long moment silencieux.

Au loin, la tâche noire d'un bateau de pêche et une nuée de mouettes blanches.

Le vent.

Immense, le vent.

En colère avec Harry.

Ou pour lui.

Qui sait ?

Le vent qui hurle à l'injustice.

Louis qui a mal au ventre de tous les mots enfoncés dans sa peau et qui y meurent en saignant.

Il s'avance doucement, s'assoit près d'Harry. Il regarde ses longues mains, posées sur sa queue scintillante. Il respire. C'est douloureux.

-C'est impossible pour toi d'être humain, Harry.

Silence.

-Mais je ne te trouves pas répugnant. Je t'-... je t'apprécies comme tu es. Je te trouves beau comme tu es, différent. Tu dois prendre soin de cette différence et apprendre à l'aimer aussi.

-Et si je sais que je n'y arriverais jamais ? Pourquoi est-ce que je n'ai pas le droit d'espérer l'impossible ?

-Parce que... Parce que c'est trop compliqué ! Comment voudrais-tu faire ?

-Je pourrais me faire opérer.

-Hein ? Par qui ?

-Ne crois pas que notre monde est moins évolué que le tien. Nous avons de très bon médecins.

-Tu connais des sirènes qui sont devenues des hommes ?

Harry haussa les épaules.

-Non... Je veux dire : c'est illégal. Mais je sais que ça existe.

-Comment ?

-Parce que ma soeur s'était renseigné.

-Ta soeur aussi elle... Bon.

-Oui. Je suppose que tu en as entendu parler de toute façon. C'est elle qui a rencontré un humain. C'était un salaud. Il n'aimait pas vraiment Gemma, il lui a fait croire... Toutes sortes de choses. Je crois qu'il a voulu la capturer. Gemma est très malheureuse maintenant, et à cause de sa faute elle a du être exilé. C'est pour ça que j'avais aussi peur de te parler les premières fois. Et... Bref. Elle voulait devenir humaine pour pouvoir vivre avec cet homme, alors elle s'était renseigné sur ce docteur. C'est comme ça que je le sais.

Louis prit sa tête entre ses mains. C'était trop d'informations d'un seul coup. Peut-être que c'était juste... Il repensa au baiser qu'ils avaient échangés... Et si... Et si Harry devenait humain alors peut-être... Peut-être qu'ils auraient une chance, ensemble ?

-C'est de la folie, finit-il par murmurer.

-Tu disais qu'il en fallait.

-Mais pas pour... Enfin c'est sûrement très dangereux, encore plus si c'est illégal.

-Sûrement oui.

Louis redressa la tête et plongea son regard dans celui d'Harry.

-Haz, je t'en supplie, ne fais pas ça. Je ne veux pas qu'il t'arrive quelque chose... On pourrait continuer comme ça, simplement, je reviens l'année prochaine et on passe les vacances ensemble. Oublie ça...

Harry détourna le regard. Il murmura :

-Mais ce n'est pas pour toi que je veux faire ça Louis, c'est pour moi. C'est mon corps. Et ce corps là, ce n'est pas le mien. Je le sens.

-Tu parles comme si tu savais qu'être tout à fait humain pourrait te rendre heureux.

-Je le sais.

-Comment ? Peut-être que tu n'aimera pas du tout ça. Peut-être qu'avoir des jambes t'encombrera. Et puis peut-être que pouvoir respirer sous l'eau naturellement te manquera, que ta famille te manquera, je ne sais pas, tu y as pensé ?

-CA FAIT DES ANNEES QUE J'Y PENSE BORDEL ! Alors bien sûr que oui ! Je sais. Je. Sais. Et j'ai mal. J'ai tellement, tellement mal au coeur... Tout le temps...

Il se mit à pleurer.

Louis le prit dans ses bras.

Ils restèrent longtemps l'un contre l'autre, prostrés dans une douleur sans nom.

Ensuite ils s'embrassèrent.

Lentement, comme une caresse, comme pour tout réparer.

La bouche de Louis tremblante contre celle de Harry.

Ses doigts effleurant sa peau nue.

Des murmures, pour se dire " je t'aime comme tu es

mais je t'aimerais aussi comme tu rêves d'être."





Ils n'en parlèrent plus.

Ou plutôt, Harry n'en parla plus.

Louis se dit que, peut-être, il avait eu besoin de lui dire tout ça, et que maintenant ça allait mieux. Mais quand même. Parfois, il croisait son regard absent, et il y retrouvait la douleur, intacte. Ce qu'il avait pris pour une certaine fragilité depuis qu'il le connaissait, il comprenait maintenant que c'était ça : l'impression de ne pas être à sa place.

Il ne savait pas quoi faire, alors il ne fit simplement rien.

Harry posait beaucoup de questions sur le monde des humains. Le jeune homme y répondait. Il aimait voir les yeux de Harry s'écarquiller lorsque Louis lui dévoilait des choses qu'il trouvait absolument dingues ou qu'il lui décrivait des beaux paysages. Louis lui avait aussi raconté pour les guerres, la maladie, la violence, les mots durs, les gens qui crèvent de froid, et de faim, toutes les choses laides qu'on cache d'habitude. Louis avait tout raconté. Harry n'avait pas eu peur, il avait dit :

Je veux renaître dans cette violence ça.

Il était sûrement un peu fou. Mais Louis aussi alors. Immensément fou.

& ils continuaient à s'embrasser.

Beaucoup en fait. Presque tout le temps. Quand Louis parlait, Harry lui faisait des bisous dans le cou, sur les épaules, sur le ventre.

Parfois, ils se contentaient juste de s'allonger l'un contre l'autre et de se respirer,de se réciter des morceaux de poèmes, d'inventer des histoires d'amour aux étoiles. Louis disait qu'ils avaient l'air de deux adolescents dans un film à l'eau de rose et Harry répondait :

Embrasse moi plus fort pour que je n'oublie jamais.

Louis savait qu'il ne pourrait pas oublier.

Louis déposa sa veste sur sur le porte manteau et enleva ses chaussures. Il avait les bras chargés de course et se dépêcha de rejoindre la cuisine pour déposer ses sacs sur la table. Sa grand-mère était là, nettoyant les bols du petit déjeuner dans sa blouse délavée. Louis se pencha pour lui déposer un baiser sur la joue.

-Bonjour mamie, ça va ?

-Ca va Louis... Il y a quelqu'un pour toi dans ta chambre.

-Hein ?

Louis faillit faire tomber le pot de cornichons qu'il essayait de déposer dans un placard un peu trop haut pour lui.

-C'est Ed ?

-Non, c'est un beau jeune homme.

Sa grand mère lui fit un sourire malicieux. Bon. Super. Louis soupira :

-Métisse ? Grand ? L'air de ne pas beaucoup m'aimer ?

-Pour le dernier point je n'en sais rien mais si il ne t'aimes vraiment pas, dis lui que moi je suis disponible dans le salon !

Louis leva les yeux au ciel.

-Sérieusement mamie ?

Sa grand-mère se mit à rire et Louis rangea rapidement les dernières conserves, avant de se dépêcher de rejoindre sa chambre. Il respira un grand coup, et poussa la porte.

Malek se tenait effectivement là, assis sur sa chaise de bureau, le visage tourné vers la grande fenêtre qui donnait sur la lande. Il tourna la tête lorsque Louis entra, lui accordant un petit sourire.

-Salut.

-Salut...

Louis referma prudemment la porte et alla s'asseoir sur son lit, un peu mal à l'aise. Malek se contentait de le fixer, attendant visiblement quelque chose. Peut-être une excuse ? Louis ne put pas s'empêcher de soupirer. Si il avait évité le jeune homme, c'était justement parce qu'il n'avait pas envie de se retrouver dans une telle situation. Ça aurait été génial si il avait pu tout oublier. Mais non apparemment. Très bien.

-Je suis désolé pour ce qui s'est passé la dernière fois qu'on s'est vus, récita t-il très vite.

Silence.

-Et... Euh... Tu veux une explication là ?

Malek soupira. Il balaya la proposition d'un geste de la main.

-Pas vraiment. Je ne sais pas. En fait, je m'en fous un peu tu sais. C'était juste un peu blessant, je suppose. Je suis un si mauvais coup que ça ?

-Quoi ? Non ! Non, bien sûr que non ! Je veux dire... T'étais vraiment génial au lit. J'adorais ça. Je crois que c'est moi qui... qui ait un problème.

-C'est ton copain, Harry ?

Louis fronça un peu le sourcils.

-Non. C'est pas mon copain.

-Tu couchais avec lui en même temps qu'avec moi alors ?

-Non.

-D'accord. Donc c'est juste... un fantasme ?

Louis hésita un peu. Non. Harry était tellement plus que ça. C'était... Une météorite ? Qui avait foncé droit dans son coeur et était venu embraser son corps entier. Quelque chose comme ça. Pourtant, il hocha la tête.

Malek sourit. Il se leva. Fit le tour de la pièce. S'arrêta devant la fenêtre.

-La vue est vraiment cool d'ici.

Louis hocha la tête. Pour le coup, il n'arrivait pas vraiment à comprendre. Que cherchait Malek en venant ici ? A faire avouer à Louis qu'il était un être horrible couchant avec des garçons en pensant à d'autres ? Ou juste à faire la discussion ?

-Louis ?

-Oui ?

-Tu me manques un peu.

Ah.

-Comment ça ?

-C'était cool nous deux non ? Je veux dire... Quand on couchait ensemble. J'aimais bien. Et ça ne me dérange pas que tu penses à quelqu'un d'autre en même temps.

Louis mis quelques secondes avant de comprendre l'insinuation.

-Quoi ? Mais t'es malade ?

-Pourquoi ?

-C'est... C'est malsain. Et je n'ai pas envie.

-De moi ?

Louis resta silencieux un moment. Son regard se perdit au loin, sur la lande, et puis la mer, peinture grise et floue. Là où était Harry. Quelque part. Il pensa à lui, et puis son regard se posa à nouveau sur Malek. Il s'imagina lui faire l'amour à nouveau. L'idée ne le dégoûtait pas, il fallait l'avouer. Il avait aimé le corps de Malek et il appréciait toujours le garçon. Mais maintenant, il y avait Harry. Et il n'avait pas envie de faire l'amour à quelqu'un d'autre que lui, même si ce n'était pas possible. C'était lui qu'il voulait, qu'il voulait tout entier. C'était avec lui qu'il aimait être. C'était dans ses bras qu'il voulait s'endormir le soir, que ce soit dans un lit ou sur un plage.  Alors il murmura :

-Non. Pas de toi. De tout le monde. Tout le monde sauf Harry.

Malek n'avait pas l'air de comprendre. Il se mordilla la lèvre, les sourcils froncés et puis devant le mutisme de Louis, il finit par soupirer et traversa la chambre jusqu'à la porte.

-Je suppose qu'on ne va plus se voir, alors.

Louis se releva et glissa ses mains dans les poches de son jean, un peu mal à l'aise.

-Je n'ai pas dis ça. Nous pouvons toujours être amis, juste... Je ne veux plus rien d'autre.

Malek hocha la tête et avant que Louis n'ai pu réagir, il se pencha et l'embrassa. Un baiser léger, qui laissa sur ses lèvres une étrange saveur, celle d'une page qui se tourne. Ensuite, la porte se referma sur le dos du jeune homme et Louis sut qu'il ne le recroiserait pas d'ici la fin de l'été.







Quelques heures plus tard, quand Harry l'embrassa au milieu de l'eau, Louis comprit également que ce n'était pas important, parce que la seule personne avec qui il voulait être à présent, était entre ses bras.

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