À cette époque, je suivais ma sœur partout. Devant moi, ses boucles blondes l'auréolaient, volaient au gré du vent et de nos aventures. Elle ouvrait des chemins. Nos vies n'avaient aucune limite.

Mais depuis, nous avons grandi. Nos routes se sont séparées doucement, tandis que nos rêves se sont taris, soufflés par le poids des responsabilités et des ambitions. Nous avons construit des vies différentes, chargées de besoins compliqués d'adulte que nous n'aurions jamais pu imaginer un jour : fonder un foyer, avoir une belle maison, un travail épanouissant...

Parfois, les jeux de mes enfants avaient un parfum de réminiscence. J'y assistais spectateur, mi-amusé, mi-nostalgique. Ma sœur me manquait. Mais lorsque nous nous voyions réellement, la belle complicité d'antan avait disparu. L'adulte avait chassé le petit garçon au fond de moi. Nous n'avions plus la même vision du monde et je ne voulais plus la suivre aveuglément. Nous nous perdions en débat politique, en désaccord sur l'avenir de notre famille et en tout un tas d'autres futilités. Nous nous aimions quand même, bien sûr, il arrivait même que nous ne nous disputions pas et partagions des repas accompagnés d'anecdotes légères. Mais ce n'était plus pareil. Nous avions changé.

Je contemple les herbes folles qui rongent les dalles craquelées. Par endroits, le crépi est fissuré, de la mousse a poussé et les broussailles dans le bois ne font même plus semblant d'être contenues. Ce triste fouillis transforme la venelle de jeux d'autrefois en un coin sauvage. Des branchages masquent la vue et le vent y grince. Malgré ces changements, je brûle de m'y engager. Je m'appuie douloureusement sur ma canne. Nos cœurs ont vieilli, mais nos corps aussi.C'est maintenant l'automne de ma vie. Ma sœur vient d'en rejoindre l'hiver.Elle est glacée. Elle est passée devant moi, encore et je sais qu'elle va bientôt m'entraîner dans son nouveau jeu. Et je la suivrai sans résister pour cette dernière fois.