𝟐.𝟐 - La Sélection (2)

L'avion vers la Caroline est bien moins luxueux que celui de l'aller. Bien sûr, il reste époustouflant, mais rien qu'à le voir, on comprend qu'il est pour le retour. C'est la fin. Les larmes me montent aux yeux. Je bats des paupières pour les refouler et me tourne vers le hublot. Si ça n'avait pas été dans ces conditions, j'aurais été heureuse de reprendre l'avion. Voir le monde de si haut est grisant, d'autant plus que c'était probablement la dernière fois que ça m'arrive.

Lorsque l'on se pose sur le tarmac, j'ai la boule au ventre. J'ai peur de la réaction de ma mère. Elle sera déçue, je le sais. J'ai quand même été renvoyée parmi les premières, pas même vingt-quatre heures après mon arrivée. Et même en lui expliquant que ce n'était qu'à cause de ma caste, je ne suis pas sûre de réussir à la calmer aussi facilement que ça.

L'aéroport est bondé. J'ai peut-être été éliminée, mais les journalistes semblent quand même me considérer comme un filon d'informations à exploiter : au milieu du brouhaha, je capte quelques questions lancées à mon intention. Comment était le palais, comment avais-je trouvé le prince ? M'avait-il confié certaines choses ? (Croyaient-ils vraiment que j'allais leur confier les secrets du prince ? Pire, qu'il m'en avait seulement dit ?) Et le couple royal, avait-il été accueillant ? Et surtout, que pensais-je des autres candidates ? Qui pensais-je voir gagner ? Après tout, mes théories feraient aussitôt s'affoler les pronostics des magazines populaires.

Je me fraye un chemin au milieu de la foule, secouant la tête pour signifier que je ne répondrai à aucune question.

— America ! America !

La voix de ma mère me fait relever la tête. Elle pousse la foule à coups de coudes jusqu'à moi.

— America ! Viens par là, il y a trop de monde.

Elle m'attrape par le bras et me tire vers la sortie, où m'attendent mon père, May et Gérad. Kenna n'a sûrement pas pu faire le trajet avec sa grossesse avancée, et Kota ne m'a sans doute pas jugée assez importante pour le déplacement.

May se précipite aussitôt dans mes bras, sans égards pour ma robe à laquelle elle s'accroche.

— Coucou, May, je murmure en me penchant vers elle.

Puis j'étreins mon père, qui sourit toujours. Je sais qu'il ne m'en veut pas, je n'en ai jamais douté, et ça me rassure.


Le chemin vers la maison ne me laisse pas de répit. May me pose sans cesse des questions, on croirait une journaliste, et Gérad ne reste pas de marbre non plus. Qu'ils aient cru, ne serait-ce qu'une seconde, que j'aie pu être princesse puis reine ne changeait rien pour eux. Quant à ma mère, malgré son air renfrogné, elle n'a pas l'air de vouloir enfoncer le clou et s'est contentée de demander si on s'était bien occupé de moi. C'est lorsque je lâche la bombe finale qu'elle se met à fulminer.

— D'après toi, me demande May, pourquoi a-t-il éliminé autant de candidates d'un coup, au premier entretien ?

— Une démonstration de force, je suppose. Il veut montrer que c'est lui qui décide de celles qui partent. Il n'empêche qu'il a éliminé toutes les Cinq. Et même si je ne connais pas toutes ses motivations, ce n'est certainement pas un hasard.

— Tu veux dire qu'il pourrait se marier avec une idiote tant qu'elle respecte ses choix et qu'elle a une certaine caste ? (Ma mère secoue la tête de dépit) Je m'attendais à mieux de la part du prince. Il choisit notre future reine, que je sache.

Je l'abandonne a sa fureur au bout de quelques secondes. Je suis déjà assez fatiguée pour ça. 

Je laisse rapidement tomber l'idée de la démentir a propos de son point de vue de Maxon : il n'est pas aussi froid qu'elle le pense. Pour autant, elle a raison : tout le monde s'attendait à mieux. Moi la première.

Je me tourne vers la vitre et attends la fin du trajet.


Lorsque je passe la porte de la maison, je frémis. Je suis heureuse d'être chez moi, mais je garde l'impression que je ne devrais pas être ici. Je file aussitôt dans ma chambre déposer mon maigre sac et, assise sur mon lit, je m'observe dans ma glace. J'ai gardé une robe du palais pour le voyage : une robe simple, avec un beau dégradé du bleu clair vers le blanc. Je ne porte aucun des bijoux que l'on m'a offert à l'exception de fines boucles d'oreilles que j'ai l'intention d'offrir à May.

Quelques coups toqués à ma porte me tirent de ma rêverie. Je me redresse.

— Oui ?

Aspen entre et referme doucement la porte derrière-lui.

— Ame... Comment vas-tu ?

J'ai envie de lui claquer la porte au nez.

— À ton avis ?

Je capte le regard qu'il me lance, entre culpabilité et pitié.

— Je sais, Ame, murmure-t-il. Je m'en veux, mais...

— Mais ? je fulmine. Mais tu avais raison, c'est ça ? (Je le foudroie du regard) Maxon se crée un harem pour choisir au final une candidate d'une caste assez élevée pour éviter un scandale. Il se fiche de ses prétendantes. C'est humiliant, Aspen.

Il s'avance, comme s'il voulait me prendre dans ses bras ou me prendre la main, mais je recule et lui tourne le dos, face à mon miroir. À travers le reflet, je vois à son regard qu'il est blessé que je me détourne. J'hésite à me retourner et à ravaler mon orgueil lorsqu'il tourne lui aussi les talons et ouvre la porte.

— Pardon, chuchote-t-il en sortant, si bas que je crois un instant l'avoir imaginé.

Et je me sens encore plus mal.


Le dîner se déroule dans un mutisme embarrassant. Je ne suis pas à l'aise, mais je n'ai pas envie de briser le silence. Je n'ai pas envie de parler tout court. Je pense à Marlee, à ses grands yeux qui suivaient chaque geste du prince. J'espère qu'elle sera la prochaine reine. En tous cas, toutes sauf Céleste. Celle fille est un cauchemar.

À peine la dernière bouchée avalée, je me lève et commence à débarrasser la table. Alors qu'il n'y a plus que ma mère et moi dans la cuisine, elle prend la parole.

— Je ne sais pas si tu as raison, America, quand tu dis que Maxon a rejeté les Cinq pour leurs castes, mais je te remercie de t'être inscrite.

Et elle sort de la pièce. Je reste bouche bée. C'est tout ? En même temps, je ne la croyais pas capable de m'être reconnaissante alors que j'ai été éliminée.

Je retourne dans ma chambre et, lorsque je lève les yeux vers ma fenêtre, je remarque un morceau de papier élimé, coincé entre le châssis et le rebord. J'ouvre la vitre, passe la main dans l'air frais de la nuit qui tombe, et récupère le mot.

Rejoins-moi à la cabane, heure habituelle. S'il te plaît.

Et, plus bas, griffonné plus maladroitement :

Pardonne-moi.

Je souffle doucement. Je connais l'expéditeur, et je ne sais pas quoi faire. Et, « l'heure habituelle », vraiment ? Nous n'avons plus d'habitude. À cause de son rejet, nous n'avons plus de quotidien, de coutume rien qu'à nous. Ce n'est plus une habitude, c'est le passé.


Lorsque minuit arrive, je suis toujours indécise. Pourtant, je sais ce que je finirai par faire. Autant en finir. Alors, sur un coup de tête, je me lève, et file par la fenêtre.

La fraîcheur du soir me fait frissonner, alors je presse le pas, pieds-nus dans l'herbe rase. Arrivée à la cabane, je grimpe à l'échelle en saisissant presque les barreaux avec agressivité. Pour une fois que je n'ai pas une main prise par une assiette, c'est beaucoup plus simple.

Lorsque je passe la tête par l'ouverture, j'aperçois Aspen, assis dans un coin, les genoux remontés sous son menton. Mon cœur se serre. Je me hisse sur les planches de bois, et m'assois sur mes genoux dans l'autre coin. Sauf que la cabane est tellement étroite qu'à peine plus de cinquante centimètres séparent mes genoux de ses pieds.

Il m'observe quelques secondes sans rien dire.

— Que veux-tu me dire ? chuchoté-je.

Il hésite un instant, puis me répond sur le même ton :

— J'ai eu la convocation.

Il me semble que mon cœur rate un battement.

— Je ne sais pas encore où je serai affecté, mais je pars demain.

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