Chapitre 40
J'inspire profondément puis entre dans les locaux du New York Times. Je suis en retard alors même que mon avenir ici va se décider dans quelques instants. Mais étrangement, ça ne me stresse pas tant que ça. En tout cas, ce n'est rien à côté de la boule d'angoisse qui me noue le ventre à l'idée de revoir Jayden. Il va sûrement me harceler de questions auxquelles je n'ai aucune réponse et peut-être même m'en vouloir. Et je m'en veux aussi d'être partie ce matin. Mais je sais aussi que c'est la bonne décision. J'ai déjà fait trop d'erreurs et de mal pour en plus continuer en conscience de cause.
Alors que je traverse les allées du bureau, j'aperçois Henry Clayton et je m'empresse de lui courir après, avant qu'il ne disparaisse dans son antre.
— Monsieur !
Il se retourne et pose sur moi un regard noir. Il a l'air d'une humeur massacrante. Les cernes profondes sous ses yeux me laissent aussi deviner qu'il n'a pas dû avoir une nuit décente depuis un moment.
Je me force à sourire et lui tends son espresso macchiato.
Il me dévisage de travers et je me sens obligée de préciser :
— Votre café.
Ses yeux me lancent des éclairs et sans un mot, il tourne les talons. Je reste sur place, pantelante et bouche bée. Quelle mouche l'a piqué encore ? Qu'est-ce qui a pu le mettre dans cet état ? Est-ce que cela aurait un rapport avec les révélations sur les agissements de Bruce ? C'est vrai qu'il avait l'air de le couvrir. Ou alors il est juste en colère de ne pas avoir dévoilé ce scoop en exclusivité. Mais dans ce cas, il n'avait qu'à m'écouter !
Je soupire puis me dirige d'un pas traînant vers le bureau de ma belle-mère. Je lui ai demandé de m'apporter mon ordinateur.
Dès qu'elle me voit arriver, elle hausse un sourcil réprobateur et se lève.
— Je n'ai pas à me mêler de tes affaires, ni même à te dire ce que tu dois faire. Tu es assez grande pour savoir ce qui est bien et mal. Mais je tiens quand même à te rappeler qu'il est fiancé, Belle. Ce n'est pas rien.
Je lui lance un regard las. Je sais tout ça. Et justement, ça me conforte dans l'idée que je dois m'éloigner de lui tant qu'il n'a pas fait un choix. Malgré tout, sa petite leçon de moral m'agace au plus haut point. Elle a raison certes, mais elle n'a pas à me dire ça, vu son passé.
— C'est vrai, tu as raison, je souffle doucement. Mais alors je tiens aussi à te rappeler que mon père, lui, était marié.
Il ne lui faut que quelques secondes pour devenir livide et je m'en veux aussitôt. Delilah ne voulait pas me blesser et je l'attaque sur un sujet qui doit déjà la torturer bien assez.
Honteuse, je m'empresse de tourner les talons pour regagner mon bureau. Je dois imprimer mon article avant la présentation qui a lieu dans un peu plus de vingt minutes.
Sur les nerfs, autant à cause du directeur, de ma belle-mère ou de moi-même, je pose brutalement le gobelet du directeur sur mon bureau et allume mon ordi.
Je lance l'impression quand j'entends un pas déterminé et fougueux se diriger droit sur moi.
Je ferme les yeux et me les masse. Ça va être une torture.
Le bureau tremble lorsqu'il y laisse tomber ses affaires. En un simple geste, il a crié sa détresse et sa colère, et même si je devrais me retourner, j'en suis incapable. Je ne veux pas voir à quel point je l'ai blessé. Et je ne veux pas voir ma détermination vaciller.
Au moment où ses doigts s'enroulent autour de mon poignet pour me forcer à me retourner, je sens mon âme trembler.
Nos regards entrent en collision et mon cœur manque un battement.
— Pourquoi t'es partie avant que je me réveille ?!
Je lui arrache mon bras et mon cœur se déchire tandis que mes yeux le détaillent avec attention.
Ses cheveux sont encore plus en bataille que d'habitude, sa chemise n'est pas boutonnée complètement et ses yeux brillent comme s'il était sur le point de pleurer. Il est à bout de nerfs.
— Jayden... C'est compliqué.
Il fronce les sourcils.
— Pourquoi ?! J'ai fait quelque chose de mal ? Dis-moi !
Je détourne la tête, incapable de le regarder en face et d'affronter la souffrance sur son visage.
— Non.
— Alors dis-moi ce qu'il y a !
Du coin de l'œil, je le vois se passer une main dans les cheveux, frustré.
— Tu sais ce que ça m'a fait de me réveiller seul alors qu'hier soir je m'étais endormi aux côtés de l'amour de ma vie ? C'est horrible. C'est une sensation atroce... un mélange d'inquiétude, de tristesse, d'angoisse et même de colère. J'ai eu l'impression de défaillir. C'est comme si je n'étais qu'un minable, un coup d'un soir qui ne mérite pas plus de temps et encore moins un au revoir !
Je me mords la lèvre pour ne pas laisser s'échapper mes propres émotions, pour ne pas laisser mon âme répondre à la sienne.
— Regarde-moi, Belle.
Je cligne des yeux pour chasser mes larmes puis me tourne vers lui.
— Tout le monde nous regarde, Jayden...
— Je m'en fous ! Tu ne me fais toujours pas confiance, n'est-ce pas ?! Tu crois toujours que je suis ce pauvre con qui t'a trahie il y a deux ans ?!
Je baisse les yeux et je vois ses épaules s'affaisser.
Je l'ai blessé.
— Alors c'est ça ? Tu doutes toujours de moi ?
Je déglutis et fixe obstinément un point au loin. Je ne veux pas lire la douleur et la déception dans son regard.
— Ce n'est pas que ça... Jayden, tu es avec...
— Jayden !
Tout mon corps se contracte en entendant la voix suraiguë de Flore sous le son caractéristique de ses talons.
La tête relevée, mon regard accroche celui de Jayden.
Je serre les dents en voyant les émotions qui se succèdent dans son regard. Tout ce que je redoutais. La déception. La colère. La détresse. Un abîme sans fond.
— Jayden, je suis désolée mais ...
— Mon amour ! appelle plus fort Flore.
Il me regarde une dernière fois, plus durement, avant de tourner les talons pour aller retrouver sa fiancée.
Je sens mon cœur se serrer. Je sais que tout est de ma faute, que je suis la seule responsable de tout ça mais... comment peut-il abandonner si vite ? Était-ce la dispute de trop ?
Je soupire en les voyant échanger tout bas, leurs corps tout près, leurs souffles ne faisant qu'un. C'est trop dur, je détourne la tête. Pourtant, tout mon être est encore tourné vers lui, mon corps, mon esprit, mon cœur et je le vois s'éloigner à travers le dédale de bureaux cloisonnés.
Je me redresse dès qu'il est loin, le poids qui m'écrasait en sa présence se volatilisant.
Flore me lance un sourire victorieux et je m'empresse de partir recueillir mon article à l'imprimante. C'est fou comme cette fille m'horripile !
Le long du chemin, tous les regards se posent sur moi, car je suis passée en boucle sur toutes les chaînes de télé du pays mais, malgré moi, je ne peux m'empêcher de stresser. Et s'ils avaient entendu ma conversation avec lui ? Et s'ils savaient la vérité ? Et si leurs regards appuyés me jugeaient ?
La tête ailleurs, des pensées noires dansant dans ma tête, je récupère mon article et retourne à mon bureau en traînant des pieds.
Puis brusquement, je me fige, tétanisée.
C'est pas possible... Non, pas ça...
Je rêve, dites-moi que je rêve. Dites-moi que ce n'est pas du café qui s'écoule du clavier de l'ordinateur comme s'il saignait.
Je secoue la tête et m'agrippe les cheveux, un rire hystérique menaçant de jaillir d'entre mes lèvres.
Je dois me rendre à l'évidence. Je ne rêve pas. C'est bien le gobelet de café qui est renversé sur le bureau, juste à côté de la scène de crime. Vide.
La main sur la bouche, catastrophée, j'avance d'un pas chancelant.
Il était tout neuf. Jayden a dépensé toutes ses économies pour remplacer celui qu'ont détruit les mercenaires de Bruce Payne. Mais le plus incompréhensible, c'est que j'avais posé le gobelet de macchiato à l'autre bout du bureau ! Il ne peut pas s'être renversé sur l'ordi alors même que celui-ci était rangé dans sa housse !
— Alors c'est ça ? C'est ça que t'essayais de me dire ?!
Je fais volte-face vers Jayden qui me fixe, les poings serrés, une moue déçue barrant son visage.
— Tu m'as laissé tomber car t'avais peur que je te détourne de tes objectifs ? Comme avant, n'est-ce pas ? Isabelle Collins est prête à tout pour parvenir à ses fins. Même à écraser les autres s'il le faut !
Je fronce les sourcils.
— Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?
— Ne fais pas l'innocente ! explose-t-il. Il y a deux ans, tu étais dopée à l'ambition ! Rien ne devait se placer en travers de ton chemin ! Tu étais prête à tout sacrifier pour ton avenir ! Ta vie, ton bonheur, et les autres !
Je secoue la tête.
— Non... je... ce n'est pas moi...
— Parce que ce n'est pas toi cette fille frigide que j'ai rencontrée à Paris ?! Tu me reproches d'être toujours le même mais c'est toi qui n'as pas changé ! Tu es toujours cette fille avide de perfection, de contrôle et de manipulation !
Je recule d'un pas, blessée. Comment peut-il croire que c'est moi qui ait fait ça ? Comment peut-il penser que je suis encore cette garce froide, hautaine et maniaque qu'il a renversée dans la capitale française ? Je... non... Sa colère n'est pas dirigée sur la bonne personne, ses accusations sont fausses.
— C'est faux, je souffle, ébranlée. J'ai changé...Comme toi !
Il serre un peu plus les poings, ses jointures virant au blanc.
— Vraiment ? Parce que ce n'est pas ce que tu disais il y a vingt minutes ! Tu étais persuadée que j'étais toujours cette ordure qui t'a mentie et séduite ! Alors permets-moi de douter que tu ne sois plus la Isa déterminée et orgueilleuse !
J'en perds ma mâchoire, bouche bée.
— J'ai changé, je rétorque sans grande conviction. Tu m'as changée ! Tu m'as appris à vivre, à profiter, à lâcher prise ! Tu le sais ! Je n'en ai rien à faire de ce travail ! C'est un malentendu !
Son visage s'assombrit et ses muscles se relâchent. Le regard qu'il pose sur moi est si triste. Il est empreint de tant de souffrance que c'est comme un coup de poignard en plein cœur. Je suffoque. Puis soudain, il détourne les yeux, comme si me regarder était trop douloureux.
— La preuve que non, murmure-t-il.
Je me mords la lèvre pour ne pas pleurer. Comment peut-il douter de moi ?!
— D'accord ! Admettons que j'ai fait ça ! En quoi ça m'aiderait à obtenir le poste !
Pour la première fois, j'entends sa voix avant ses talons. Comme si elle avait toujours était là.
— Parce que son article était sur l'ordinateur, idiote! s'énerve Flore.
Je la fusille du regard en la voyant.
Elle attrape Jayden par les épaules, le serre dans ses bras puis lui caresse le dos tandis que celui-ci a toujours le regard rivé au sol, comme en état de choque. On dirait presque que je lui ai planté un couteau dans le dos, mais c'est lui qui le fait en refusant de me regarder comme si j'étais un monstre.
— Et comment j'aurais pu le savoir ?
Elle me fusille du regard.
— Comment oses-tu briser son avenir, puis continuer à jouer l'innocente ?! T'es vraiment une garce, Isabelle Collins !
J'écarquille les yeux, choquée. Mon regard se pose alors sur Jayden, outrée. Son manque de réaction renforce mon sentiment de trahison. Il la laisse m'insulter sans réagir.
Je déglutis, ravalant ma tristesse pour la remplacer par de la rage. Je refuse de porter le chapeau pour un autre.
— Je ne mens pas et tu le sais très bien, Flore ! Tu m'as vu partir à l'imprimante ! C'est toi qui est partie en dernier !
Elle crisse des dents, ses yeux gris me fusillant un peu plus du regard.
— Comment oses-tu m'accuser ! Tu n'as vraiment aucune valeur pour rejeter tes fautes sur moi !
Je serre les poings. Je suis sûre qu'elle ment. Je le lis dans son regard brillant de joie. Elle m'a tendu un piège. Et ce ne serait pas la première fois.
— Pétasse ! Je m'écris, folle de rage. Tu l'as fait exprès ! Tu voulais tout me mettre sur le dos ! Tu voulais qu'il me haïsse ! Tu n'es qu'une sale...
— Tais-toi !
Je recule d'un pas, surprise. Il a enfin relevé la tête mais son regard est pire que tout. Il me transperce avec tant de haine que c'est comme si je n'existais déjà plus pour lui.
— Arrête ça, Belle ! Tu te donnes en spectacle. Personne ne te croit, alors laisse-la en paix. Tu devrais avoir honte de jeter la faute sur elle ?! Si tu veux être un monstre, sois-le. Mais assume aussi.
— Mais c'est elle...
Son regard se durcit.
— Laisse-la tranquille ! Elle ne t'a jamais rien fait ! Arrête de t'en prendre à elle !
J'ouvre la bouche pour protester à nouveau mais il me coupe :
— Contrairement à toi, Flore a toujours cru en moi. Jamais elle ne me ferait ça. Elle est quelqu'un de bien. Et puis, qu'aurait-elle à y gagner ?
J'accueille ses mots comme un nouveau coup. Comme une lame tranchante qui viendrait me taillader le cœur. Oui, je me sens trahie. La personne sur qui je devrais pouvoir me reposer en toute circonstance, celle qui devrait toujours croire en moi et sur qui je devrais toujours pouvoir compter, me croit coupable.
Tout indique que c'est moi, mais il ne cherche même pas à connaître la vérité. Il préfère croire une autre sur parole.
Je me sens défaillir. Ma vue se trouble de larmes.
— Isabelle, ajoute-t-il durement. Tu te souviens de la fois où je t'ai traitée de monstre ? Je ne l'ai jamais pensé avant. Mais aujourd'hui, il n'y a pas d'autres mots qui me viennent à l'esprit pour te décrire.
Je baisse les yeux et serre les poings pour retenir les sanglots qui menacent de m'achever. Si je les laisse sortir, je sais que je ne pourrai plus m'arrêter, plus rien contrôler.
Et je refuse de m'écrouler sous les yeux de cette harpie. Je refuse de la laisser gagner. Je refuse qu'elle nous détruise. Qu'elle brise l'avenir de Jayden.
Je cligne des yeux et relève la tête, courageuse.
— Je n'ai pas fait ce que tu crois. Et je suis vraiment triste que tu puisses penser que je suis capable de faire une chose pareille. Tu veux croire à cette image de monstre que tu te figures de moi, libre à toi, mais je refuse d'avoir le poste par forfait. On a écrit un article ensemble, celui pour la police. Et c'est celui-ci qu'on va présenter. En équipe. Parce que cette affaire, c'est comme ça qu'on l'a gérée.
Je le fixe dans les yeux, regardant la surprise succéder à la colère.
— Non ! s'écrie Flore.
On sursaute et pivotons vers elle. Elle se tortille sur place tandis qu'on la dévisage.
— Je veux dire... mon-mon père ne va pas apprécier.
Je l'ignore et repose mon regard sur Jayden.
— Il pourra choisir celui qu'il préfère réellement.
Je lui tends la main.
Il me dévisage, hésitant. Méfiant. Puis, lentement, il se décide à me prendre la main.
Les yeux rivés dans les miens, lâche froidement :
— Mettons un trait à cette histoire.
Je déglutis. Je suis sûre qu'il ne parle pas de Bruce Payne ou de la compétition. Mais de nous deux.
Ça me fait mal. Mais si tout ce qu'il a dit reflète vraiment ce qu'il pense de moi, s'il me pense capable d'un tel acte, s'il préfère croire Flore, alors c'est ce qu'on doit faire.
Le visage fermé, je réponds :
— Oui, il est tant d'écrire le mot fin une bonne fois pour toutes. Que cette histoire ne soit jamais éternelle.
————————————
Hahaha ! Je vous avez bien dit que je ne les laisserais pas tranquille de si tôt et vous aussi ! Si ils veulent leur fin heureuse, ils vont devoir se battre. Mais le temps presse... plus que 6 chapitres. 😈✨
Enfin bref, que pensez vous de ce retournement de situation ?
Est-ce bien Flore qui a fait ça ?
Et comprenez-vous la réaction de Jayden ? C'est vrai qu'absolument tout indique que c'est Belle alors à partir de là, sa colère peut paraître justifier...
Comment pensez-vous que ça va se passer dans le bureau du directeur ? Qui aura le post ?
Question du jour :
Que lisez-vous en ce moment?
————-fin————-
BISOUS PAILLETÉS!❤️✨
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