Chapitre 3
Dès que le taxi démarre, ma belle-mère se tourne vers moi pour me prodiguer de précieux conseils.
— Surtout ne contredis jamais le directeur, articule lentement Delilah en me lançant un regard appuyé.
Je pince les lèvres. Ce n'est pas comme si je faisais exprès d'énerver les gens, je dis juste ce que je pense. Et je ne me censurerai pour personne, directeur du New York Time ou pas.
— Pourquoi ? grommelé-je. Tu vas pas me dire qu'il a un féroce pitbull à côté de son bureau ?
Elle me sourit malicieusement.
— Presque.
J'hausse un sourcil.
— Les pitbulls, ce sont des bisounours à côté de Diva.
Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qui peut être pire qu'un gros chien agressif ?
— Diva est le chihuahua des Clayton, père et fille confondus, et leur pierre précieuse. C'est soit-disant grâce à cette bestiole hautaine et agressive que le directeur Clayton en est arrivé là où il est ! Chaque article est jugé par ce fichu chien avant même qu'il le lise. Si elle montre les dents c'est poubelle. Tout de suite. Même pas besoin de protester, c'est le chien qui a le dernier mot.
Je déglutis.
— Je comprends le nom. Mais c'est... horriblement frustrant !
— À qui le dis-tu ! rigole-t-elle.
Je lui passe mon miroir de poche afin qu'elle termine d'appliquer son rouge à lèvres. Et correctement.
Elle peste et recommence. Je la contemple en souriant. Elle est si belle. Bien qu'elle ait la quarantaine, on dirait qu'elle n'en a que trente. Son visage fin et lisse au teint frais respire la joie de vivre et la sagesse. Puis il y a aussi ses longs cheveux bruns qui rajoutent à son élégance naturelle.
— Crois-moi, tu cesseras de rire quand tu aura eu affaire à cette fichue bestiole. Et sinon, j'espère que ton adversaire sera invivable, ça te fera les pieds.
J'écarquille les yeux.
— Quel adversaire, Delilah !? Tu ne m'avais pas parlé d'un adversaire !
Elle me jette un regard en coin rieur.
— Eh bien, je le fais maintenant. Mais pas de panique, c'est toi la meilleure. Lui, il n'a même pas fini ses études de journalisme. Au bout d'un an, il a abandonné. Il ne mérite pas son poste, tout ce qu'il a eu à faire, c'est sortir avec Flore Clayton, la fille du directeur et pouf, le stage était à lui !
Je lui agrippe le poignet.
— Mais c'est quoi cette histoire d'adversaire ?!
Elle soupire et pose une main sur mon épaule.
— Isabelle, un seul poste de rédacteur est libre. Et il est clair que seul le meilleur l'aura.
Je serre les dents. Il sort avec la fille du patron, je n'ai aucune chance ! Pourquoi le sort s'acharne t-il contre moi !
Je soupire tandis que le taxi freine brusquement avant de s'arrêter. Quel sale manipulateur ce mec !
Je descends en vitesse du taxi et contemple l'immense building du New York Times avec émerveillement, me faisant presque un torticolis. Je l'ai déjà aperçu plusieurs fois, mais la simple idée d'y entrer me fait jubiler. Alors y travailler... j'ose à peine y penser.
— Pas mal, hein !
Je pivote vers Delilah et lui rends son sourire lumineux. Pas mal ! C'est un euphémisme.
Pressée, le ventre serré par l'excitation et l'angoisse, je passe la porte et entre dans le hall de l'immeuble aussi moderne qu'élégant. J'ai l'impression de faire tache dans ce décor.
Avec un geste de la main, Delilah m'entraîne vers l'ascenseur, non sans m'avoir présentée au secrétaire derrière le comptoir.
Une fois dans l'ascenseur lustré, les portes commencent à se refermer avant d'être interrompues brusquement par une nouvelle arrivante. Je dirais même la plus belle fille que j'ai jamais vue.
Elle est mince comme une guêpe, le visage rond et poupon, effet renforcé par ses grands yeux gris, son sourire rayonnant et l'éblouissante chevelure blonde qui tombe gracieusement sur ses épaules. On dirait une Barbie humaine. Mais une Barbie à plusieurs milliers de dollars.
Téléphone collé à l'oreille, elle se contente de nous sourire.
— Tout se passe bien entre nous, ne t'en fais pas. S'il ne m'accompagne pas à la soirée, c'est juste que cela ne l'intéresse pas. Il est plutôt réservé et nous sommes tous les deux assez indépendants, mais ça ne m'a jamais dérangée, ni notre couple.
Delilah et moi échangeons un regard gêné et elle me murmure du bout des lèvres :
— Flore Clayton.
Je pince les lèvres et la fixe avant d'être éblouie par les cristaux incrustés dans la coque de son téléphone. Je n'arrive pas à croire qu'à cause de cette gamine pourrie gâtée et son copain opportuniste, les portes de mon rêve sont en train de se refermer juste sous mon nez.
Ruminant en silence, je la dévisage avec insistance. Le pire, c'est que je ne peux pas la détester, elle a l'air si gentille.
Après quelques commentaires, elle finit par raccrocher en soupirant et époussette sa jupe bouffante. Enfin elle pivote vers nous, tout sourire.
— Delilah ! Heureuse de vous voir. Et... c'est votre fille ?!
Elle me tend une main manucurée que je sers avec plaisir.
— Oui, répond naturellement ma belle-mère, ce qui me surprend. Elle est là pour le stage.
— Journaliste de mère en fille ! rigole la jolie blonde. Moi, c'est Flore Clayton, fille de Henry Clayton.
Décontenancée par son sourire perpétuel, je marque une hésitation avant de répondre :
— Belle Collins.
Elle hoche la tête.
— Bienvenue au New York Times !
Enfin, l'ascenseur arrive à destination avec un petit à-coup. Une pièce immense s'ouvre devant moi, blanche et lumineuse avec des dizaines de bureaux cloisonnés typiques américains.
J'ai l'impression d'être dans un film.
Il y a tant d'animation et de convivialité ! Les gens se saluent, se parlent, travaillent dans leur petit bureau, prennent un café... C'est génial.
Flore me désigne un bureau, en haut d'une mezzanine qui surplombe toute la pièce.
— Mon père m'attend dans son bureau pour me parler de quelque chose d'important, puis après il te fera appeler. Ne sois pas en retard, conseil d'amie.
Elle m'adresse un dernier sourire avant de partir d'un pas sûr, ses talons claquant sur le parquet avec régularité.
À la voir, si chic et élégante, j'en viens à douter de mon choix vestimentaire. Mes escarpins noirs sont d'une simplicité déconcertante tout comme ma jupe à bretelles taille haute, associée à un chemisier blanc.
Delilah me ramène soudain à la réalité et je la suis à travers le dédale de bureaux jusqu'au mien.
— Et voilà ton nouveau chez toi ! s'exclame-t-elle en me désignant le petit espace entre trois cloisons, seulement occupé par un grand bureau d'angle avec deux chaises.
Deux chaises...
Je grimace et la dévisage.
— Ne me dis pas que je vais devoir... partager ?!
Elle me sourit de toutes ses dents, taquine.
— Si, Princesse ! Tu n'es que stagiaire, alors à toi les joies du partage et de la cohabitation avec un collègue... Dur de parler à d'autres humains, hein ! se moque-t-elle.
Je la fusille du regard et dépose ma mallette d'ordi sur ma partie de bureau.
— Je suis pas insociable, râlé-je. Je suis sélective, c'est différent.
Elle rigole.
— Si tu le dis ! N'empêche, depuis que je te connais, tu n'as que trois amis. Un geek taciturne et deux filles timbrées à cinq mille kilomètres d'ici.
— Cinq mille huit cent trente-cinq kilomètres, corrigé-je en sortant mon pot à crayons, mon classeur et mon tapis de souris Disney. Et Lei n'est pas taciturne.
Un silence me répond et je sais que dans mon dos, elle pince les lèvres pour ne pas rire.
— Belle ! m'interpelle une voix aigüe.
Je lève la tête et aperçois Flore qui, du haut de la mezzanine qui surplombe la pièce, me fait signe de la rejoindre. Puis elle tourne les talons et entre dans le bureau complètement vitré de son père.
J'inspire profondément puis me dépêche d'aller les retrouver, Delilah sur les talons.
Arrivée devant la porte, je m'apprête à toquer mais je suis prise de court par une voix puissante qui m'ordonne de rentrer.
J'inspire, expire, puis rentre.
La pièce est relativement petite, sombre et épurée, seulement meublée de quelques tableaux et étagères, et au centre de la pièce, un grand bureau en acajou derrière lequel se tient le directeur. C'est un homme dodu et petit, avec des traits durs et un regard perçant qui me met mal à l'aise.
Je m'empresse de détourner les yeux, heureuse d'apercevoir Flore.
Je lui souris quand soudain un bruit sourd me fait sursauter. Mon regard se pose sur le téléphone échoué sur la moquette, avant de remonter lentement vers son propriétaire. Mes yeux passent doucement sur des mains tatouées, puis sur des avant-bras veineux où commence un enchevêtrement de racines épineuses qui disparaissent dans sa manche avant de ressortir par l'encolure de sa veste, sur une mâchoire carrée, des lèvres charnues puis des yeux émeraude. Et à cet instant même, je sens mon cœur cesser de battre dans ma poitrine. Comme si je m'étais pris un coup de poing dans l'estomac, tout l'air s'échappe de mes poumons et mon souffle se bloque. J'ouvre la bouche, cherchant désespérément à inspirer une goulée d'air, à arrêter de suffoquer, à empêcher mes lèvres de trembler.
Enfin, j'arrive à capturer une pincée d'oxygène qui me brûle les poumons.
Il est là. Et ça me tue.
Dans ma poitrine, mon cœur se serre avec tant de violence que j'ai l'impression d'avoir deux mains invisibles le tordre dans tous les sens, comme pour le vider de toutes ses forces, pour en débarrasser tout bonheur.
Je me mords l'intérieur de la joue jusqu'au sang pour ne pas éclater en sanglot, pour ne pas gémir de désespoir, pour ne pas hurler de rage.
Je serre les poings et enfonce mes ongles dans mes paumes jusqu'à la chair pour ne pas lui sauter dessus.
Il n'a pas changé, et ça fait encore plus mal.
Parce que s'il n'était plus aussi beau, s'il n'avait plus ses yeux verts torturés, ses lèvres pleines, sa mâchoire carrée ou sa chevelure d'ébène indomptable, je pourrais détourner les yeux. Je ne serais pas déchirée.
On se fixe en silence, ahuris. On pensait tous les deux ne jamais se revoir.
Je déglutis en réalisant qu'il s'est tendu, le teint blême.
Dans son regard s'enchaîne une succession d'émotions toutes plus vives et douloureuses les unes que les autres.
Je le fusille du regard et il baisse les yeux.
— Collins ?!
Je sursaute et pivote vers M. Clayton. Du coin de l'œil, je vois ma belle-mère me dévisager, intriguée, et Flore dont le regard oscille entre son petit ami et moi.
Son petit ami... J'ai envie de vomir.
Je pince les lèvres et reporte toute mon attention vers M. Clayton, je ne dois pas m'écarter de mon but. Pas encore. Pas pour lui.
Et pourtant, je suis incapable de me concentrer sur ses paroles :
— Vous voulez bien m'écouter, que je puisse vous rappeler que le New York Times est célèbre dans le monde entier, et qu'y faire un stage est une chance unique qui peut prendre fin très rapidement...
Je le coupe :
— Cela ne se reproduira plus, Monsieur. Je serai digne de ce stage et du Times.
Il hoche la tête.
— Bien... alors passons au vif du sujet.
Un grognement me perce le tympan et je tourne le regard vers le petit chihuahua brun au collier serti de diamants qui me regarde de travers depuis son mini panier.
Son propriétaire commence tout de suite à me dévisager avec plus d'animosité. Je lance un regard paniqué à Delilah qui me regarde avec inquiétude.
— Peut-être devrais-je vous renvoyer tout de suite, siffle-t-il. La dernière fois que Diva a grogné sur quelqu'un, c'était mon ex-femme et elle est partie à Taïwan avec le contenu du coffre-fort.
Je serre les dents. Je n'ai pas fait deux ans d'études laborieuses, obtenu des résultats excellents et affronté Jayden une nouvelle fois pour me faire recaler sans même avoir essayé.
Je redresse le menton et lance un regard de défi au patron. Ça passe ou ça casse. Il faut tenter le tout pour le tout.
— C'est vrai. Vous pourriez faire confiance au flair d'un chien et me renvoyer chez moi sur le champ. Mais vous pouvez aussi me garder et gagner une journaliste en or qui vous rapportera gros.
À côté de moi, Delilah se tend et Jayden écarquille les yeux.
Si je doute de mon coup d'éclat, je n'en laisse rien paraître.
J'ai revu mon ex, je suis déjà presque virée, je ne vois pas ce que j'ai à perdre.
M. Clayton hausse un sourcil méprisant, puis s'enfonce dans son fauteuil avant de me dévisager de la tête aux pieds.
Enfin, un petit sourire en coin apparaît sur son visage.
— Je sens qu'on ne va pas s'ennuyer avec vous, Mademoiselle Collins.
Je souris poliment.
— Cela veut-il dire que je reste ?
Il hoche la tête et se lève doucement.
— Pourquoi pas ! J'aime les journalistes qui ont du toupet. Et cela me donne une idée. Si vous pouvez réellement me rapporter de l'or, Collins, je suis prêt à prendre ce risque ! Mais pas sans conditions. Vous me rendrez un article de fin de stage. S'il est si bon que ça, je le publierai et vous garderai parmi notre équipe de rédaction.
Je déglutis. Ce n'est pas vraiment ce que j'espérais...
Soudain, il lève un doigt et pivote à demi vers Jayden.
— Mais vous savez, je suis un homme qui aime s'amuser. Alors, vous aussi Summers, vous allez participer ! Et ne croyez pas que je vais être indulgent car vous êtes mon gendre. Je ne laisserai pas un incapable hériter de la direction de ce journal. Alors, que le meilleur gagne !
Tous mes muscles se tendent et je pivote lentement vers Jayden. C'est une catastrophe.
Qu'ai-je donc fait pour mériter tout ça ? À présent, nous sommes rivaux.
Je sens mes membres s'engourdir et ma tête tourner.
Ma respiration devient sifflante et saccadée et dès que le directeur nous annonce qu'on est libre, je sors en trombe de la pièce.
Je me précipite vers les toilettes que j'ai repérées à mon arrivée.
La porte claque derrière moi mais je ne m'en soucie pas et me dirige dans l'une d'elles.
J'ai le cœur au bord des lèvres. Toutes ces émotions si longtemps refoulées ont besoin de sortir. Et c'est ce qu'elles font. Littéralement.
Je vomis tout mon saoul dans les toilettes.
Mes larmes s'échappent enfin et un long sanglot agite mes épaules.
Il est revenu, putain ! Il est revenu dans ma vie.
Tous les souvenirs me reviennent, mais pas lui.
Le revoir après ce qu'il m'a fait, après m'avoir détruite, après m'avoir ridiculisée en public, c'est trop dur.. Tous les jours, je vais le croiser, lui qui m'a arraché le cœur de la poitrine et l'a réduit en cendres devant plus de mille personnes.
Je le hais de tout mon être.
Mais j'ai beau me le répéter, je n'arrive pas à m'en convaincre.
Putain, il est toujours ancré en moi jusqu'au sang.
Je me relève d'un pas chancelant et me dirige vers le lavabo où je me lave les mains.
Je croise mon regard dans le miroir.
Ces yeux bleus tourmentés. Ce teint blême. Ces cheveux échevelés.
Il y a longtemps, quand je me suis réveillée de mon coma et que j'ai appris avoir perdu tous mes souvenirs, j'ai juré de détruire celui qui a causé l'accident.
J'ai juré de le détruire.
J'ai juré de me venger.
Et je compte bien m'y tenir.
Cette fois, il ne me détournera pas de mes objectifs. La victoire est pour moi.
Dans le miroir, mon reflet se transforme lentement tandis que la rage s'insinue en moi comme un poison. Mon reflet se fait brûlant et je porte un cachet à mes lèvres.
J'ai tellement mal au crâne.
Tellement mal au cœur.
*****
Coucou !
Vous avez aimez ?
Enfin, vous retrouvez votre petit Jayden mais... avec une surprise en plus !😂
Je vous demande pas ce que vous pensez des Clayton parce que mes yeux vont saigner !😂
À voir dans le futur ce qu'il va se passer...
Bisous pailletés 😘❤️
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