Chapitre 2
— Montre-moi! Montre-moi!
Je soupire et tourne la caméra vers l'embouteillage de taxis jaunes. Encore. Lou ne s'en lasse jamais. De ça et du reste. Chaque jour, je suis contrainte de lui montrer les taxis, les immeubles, les panneaux lumineux ou juste les Américains comme si c'était des animaux et qu'elle était au zoo. Décidément, cette fille m'épuise. Mais elle me manque aussi terriblement.
— Remontre ta gueule, Belle !
J'esquisse un sourire. Lexie n'a pas changé non plus, tellement délicate et aimable. J'obéis cependant avant de me recevoir une salve de jurons. Lou proteste depuis Paris.
— Arrête tes jérémiades, Loulou, ordonne Lexie.
Je hausse un sourcil. Un nouveau surnom ? Tiens donc, c'est nouveau... Pourtant, je ne m'y attarde pas et demande :
— Comment ça va à Paris ? Tout le monde doit tant avoir changé !
Lexie et Lou échangent un regard entendu, alors même que retentit dans le dos un cri de fureur :
— Dégagez le passage, bandes de cassos ! hurle une voix hors du champ de la caméra.
Lexie pince les lèvres et tourne doucement la caméra vers Jade qui bouscule d'autres personnes.
— Non... pas vraiment.
La caméra revient vers mes deux amies.
— Quand je pense qu'on a eu la malchance de choisir la même université qu'elle ! gémit Lou.
Je me mords la lèvre. Ça c'est sûr que c'est la poisse.
— Et hum... vous avez des nouvelles de...Bonnie, Grâce, Tatiana, Peter et les jumeaux ?
Lexie râle.
— Je ne vois pas pourquoi tu ne les appelles pas ! Ils ne sont pas Jayden !!
Mon souffle se coupe et je me fige à l'entente du prénom de mon ex. Lexie s'en rend compte et ébauche un sourire contrit.
— Désolée.
Je déglutis et feins un sourire.
— Alors ?
— Ils vont bien, évidemment. Ils me demandent même des nouvelles de toi assez régulièrement. Tu leur manques.
Je baisse les yeux. Eux aussi me manquent. Tellement.
— Tu sais qu'ils ne t'en veulent pas ? Ce n'est pas toi qui a commis une erreur monumentale, intervient Lou.
Je soupire. Je sais, mais je ne me sens toujours pas capable de les appeler. Je crois que j'ai honte. Surtout après ce qu'ils ont entendu et vu. Après que je me sois ridiculisée devant eux. Et que j'ai dit à un membre de leur famille de brûler en enfer. Et même si ma colère était justifiée, ça reste... cruel.
— Et Giorgio ? je demande pour changer de sujet.
— Super ! s'exclame Lou. Il a trouvé l'amour et son resto marche du tonnerre. Même s'il continue de se lamenter de ton absence.
Lexie pousse Lou qui prenait trop de place devant l'écran avant de surjouer avec un horrible accent italien :
— Mais que va devenir mon restaurant sans ma Mascotte, ma lilliputienne enragée, ma princesse des serveuses, ma lionne à la voix d'or, mon chaton multicolore !?! Mais où va le monde !?! Je ne survivrai pas sans elle !
J'éclate de rire. Je suis contente de voir qu'il va bien.
Soudain, Lou jaillit devant l'écran et s'exclame :
— Tu vas être ravie ! Nils s'est fait renvoyer de son université en Écosse. Apparemment les filles là-bas ne se laissent pas faire!
Lexie ricane et j'esquisse un sourire pour faire bonne contenance. Je n'arrive même pas à me réjouir de son malheur. Car je haïs mon ex, mais mon ancien meilleur ami je ne pourrai jamais l'oublier. Il est toute mon enfance, tout mon bonheur, l'acteur de tous mes souvenirs. C'est vrai que jamais je ne lui pardonnerai d'avoir arrangé un mariage forcé avec ma mère avant de m'humilier devant tout le lycée en représailles à mon refus. En revanche, je crois que je le remercie de m'avoir dit la vérité sur Jayden, que c'est lui qui plusieurs mois plutôt, m'avait percutée en voiture, que c'était de sa faute si j'avais perdu la mémoire. C'est fou que ce soit la personne qui me détestait le plus qui ai eu le courage et la bonté de me dire la vérité.
Lou fronce les sourcils en voyant mon regard vide. Je décide alors de mettre fin à l'appel avant qu'elle n'insiste.
— Bisous...
Elles se penchent au-dessus de l'écran du téléphone et hurlent :
— ON T'AIME, BELLE !
Je souris puis raccroche.
Enfin, Lei daigne sortir de l'immeuble de l'Institut Technologique de New York et un grand sourire étire ses lèvres. Grand et maigre, il n'a pas les traits caractéristiques d'un Chinois. Certes sa peau est blanche et laiteuse mais ça s'arrête là. Ses yeux en amande et sa chevelure châtain clair le font aisément passé pour occidental. Il est assez mignon je crois.
— On est en vacances ! s'écrit-il en s'avançant, tout sourire.
Je pince les lèvres et le fusille du regarde lorsqu'il passe un bras autour de mon cou. Lentement, un sourire mutin se dessine sur son visage et il susurre mielleusement :
— Ah oui, j'oubliais que toi... tu travailles.
Il m'envoie un baiser narquois et je lui adresse en réponse un sourire hypocrite.
— Alors d'abord ce n'est pas sûr que j'ai le stage et ensuite, moi, j'ai fini l'école pour toujours. J'ai mon DUT Information-communication option journalisme, et plus jamais je n'aurai à remettre les pieds dans une de ces fichues salles de classe. Dès demain je suis libre de travailler dans le journalisme. Mais toi... Tu reviens l'an prochain, non? Et encore combien de fois déjà ? 3 fois ? 4 fois ?!
Il me lance un regard noir.
_ Pourquoi faut-il toujours que tu casses mes délires ?
Je souris et on se dirige vers chez moi. On a beau être meilleurs amis depuis deux ans, on est comme chien et chat. C'est à qui emmerdera toujours le plus l'autre. Raison pour laquelle c'est drôle d'être ensemble. Même si on tient sincèrement à l'autre.
On croise un ami chinois de Lei qui nous dévisage étrangement. J'imagine que c'est parce qu'on est étrangement proche, surtout que ce n'est pas quelque chose de courant en Chine si je ne me trompe pas. Mais Lei est en Amérique depuis ses sept ans au moins, et il a eu largement le temps de s'imprégner de la culture occidentale. Il n'y a plus de pudeur ou de distance entre nous. Et puis, on est juste amis, je suis sa Rainette et il est mon petit Chinetoque. En plus, Lei a une copine, Kiko, qu'il aime plus que tout.
Après bousculades et rires, on arrive enfin au pied de mon immeuble dans lequel on se précipite en courant car il pleut. Le portier nous regarde d'un mauvais œil répandre de l'eau sur le sol de marbre mais je l'ignore, pressée d'être chez moi.
Quand j'entre dans l'appartement, mon père et ma belle-mère sont déjà là, m'attendant dans la cuisine. Je me dépêche de les rejoindre. C'est aujourd'hui que je vais savoir si je suis acceptée pour un stage au New York Times. Delilah qui y travaille a fait des démarches pour moi. Alors que j'arrive tout sourire, j'aperçois soudain leurs visages graves et j'agrippe la main de Lei que je serre avec force.
— Qu'est ce qu'il y a ?! m'écrié-je en les voyant échanger un regard pesant. Delilah se racle la gorge puis ancre ses yeux aux miens.
— On a une mauvaise nouvelle.
Je resserre ma prise sur la main de mon ami que j'entends grincer des dents en silence.
— Quoi ? Dites !
Mon père me prend la main et me fixe avec compassion.
— Sweetheart, ne panique surtout pas. On est là pour te soutenir.
Mon cœur s'emballe et je respire avec difficulté. Mais ils vont cracher le morceau, bon dieu de bon soir !? Et si...
— C'est les jumeaux ? je souffle d'une voix blanche. Shawn, c'est ça ? Oh mon dieu... Je lui avais dis d'arrêter de glisser sur les rampes d'escaliers pourtant !
Ils échangent un regard sombre et je me retrouve à deux doigts d'hyperventiler.
— Mais vous allez parler, oui ?!
Ils pincent les lèvres et Delilah ajoute gentiment :
— Sache que malgré tout, on est fier de toi.
Je respire à nouveau. Ce n'est pas Shawn. Puis je mesure le poids de ses paroles et je compresse un peu plus la main de Lei. Mon stage...
Lei lâche un chapelet de jurons en mandarin mais je ne lui accorde pas d'attention.
— Parlez !
Mes parents échangent un regard complice et d'immenses sourires étirent brusquement leurs lèvres.
— Tu es prise comme stagiaire au Times ! s'exclame Delilah.
J'écarquille les yeux et les dévisage, bouche bée. Quoi ? Mais ils disaient que...
— Mais...
Ils éclatent de rire, pliés en deux.
— Tu aurais dû voir ta tête ! se marre mon père.
Je cligne des yeux. Ce n'était qu'une blague ?
— Du grand art ! articule Delilah entre deux rires. Je voulais tant immortaliser l'instant.
Un cri de rage m'échappe.
— Quoi ?! Mais quel genre de parents êtes-vous pour jouer avec mes émotions comme ça ?! J'ai failli avoir une crise cardiaque !
Ils me fixent un instant avec sérieux avant de repartir dans un nouveau fou rire.
— Des parents qui passent leurs journées au boulot et s'ennuient à mourir, répond ma belle-mère.
— Et qui adorent torturer leur fille, ajoute mon père avec malice.
Je pince les lèvres et les fusille du regard avant de croiser les bras.De vrais enfants, complètements irresponsables! Puis brusquement, Lei passe les bras autour de mon cou et me décoiffe dans un geste affectueux.
— Pauvre bichon. Boude pas, tu as ton stage.
Instantanément, j'oublie tout et souris. Je vais travailler pour le plus grand journal du monde, c'est tout ce qui compte.
Je lance un dernier regard haineux à mes parents puis tourne les talons avec Lei dans mon sillage. Depuis le salon, j'entends mon père demander dans un souffle paniqué :
— Tu crois qu'elle va quand même nous ramener les gâteaux qu'elle nous avait promis ?
Un silence lui répond et j'imagine avec réalisme Delilah lever les yeux au ciel.
Je souris. Je les aime tant...
Mais pour les gâteaux, ils peuvent se brosser.
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— Zaza ?
Je me tourne vers Mackenzie qui, depuis le bas de la porte, me dévisage.
J'hausse un sourcil. Au contraire de son jumeau, elle m'appelle comme ça lorsqu'elle est inquiète ou en colère. Et que bien lui en prenne !
Si c'est mignon, c'est aussi très ridicule !
Je tapote le tabouret à côté de moi et elle vient s'y asseoir avec joie.
Une fois installée, elle contemple le piano en face d'elle. Je me souviens encore de sa réaction quand papa me l'a offert. Elle a hurlé que c'était injuste, qu'elle, elle avait beau en avoir réclamé un, jamais elle n'en avait eu. Pas même une leçon.
Sur le moment, je n'avais pas compris où était le problème. Puis je me suis aperçue qu'elle était jalouse. Papa m'avait appris à jouer du piano et à chanter, et il l'avait toujours tenue, elle, à distance de la musique.
Il avait refusé de partager notre activité à tous les deux avec une tierce personne, sa fille ou non.
Doucement, ses doigts viennent caresser les touches sans produire le moindre son.
— Avant... tu jouais tout le temps du piano. Tu chantais aussi en Français. Et même si je ne comprenais ni la langue de la mélodie ni celle des paroles, je voyais que tu y mettais tout ton cœur, toutes tes émotions.
Je la dévisage. Où veut-elle en venir
— Ta tristesse, elle transparaissait dans ta voix au-delà de la barrière de la langue. Ton désespoir, je l'entendais dans la mélodie. Et ta rage, je la voyais dans tes doigts animés et fougueux qui martelaient les touches avec rythme. Tu me donnais mal à la tête à jouer du matin au soir... mais je n'ai jamais rien dit car je savais que ça te faisait du bien. Que ça t'aidait à aller mieux. Qu'enfin tu ne serais plus un zombie morne et dépressif.
Je fronce les sourcils. Que raconte-t-elle ? Et comment ça un zombie ?!
— Mackenzie ? Va droit au but.
— Tu ne comprends pas ? Je m'inquiétais, Belle. La musique, c'est tout pour toi. Mais... depuis quelque temps... je n'entends plus aucune musique dans l'appartement. Il est dénué de vie et... j'ai l'impression que c'est aussi ton cas. Maintenant, tu restes devant ton piano et tu le fixes avec un air absent. On dirait que tu as perdu toute inspiration, ton essence même.
— Ce n'est que du piano ! m'agacé-je, ne supportant pas qu'elle ait remarqué.
— Mais c'est ta passion ! s'écrie-t-elle en sautant sur ses pieds.
Je pince les lèvres. Certes. Il est vrai que depuis que je me suis retrouvée, que je me souviens de tout, j'ai aussi retrouvé mes vieilles activités. Je ne suis pas Isa, l'intello à sa maman, mais ne suis pas non plus tout à fait Belle. Disons que je suis un mixe des deux. Isabelle, quoi.
Et j'ai retrouvé la musique
Et j'aime tant ça mais... on approche de la date fatidique.
— Tu veux bien jouer pour moi ?
Je cligne des yeux et la dévisage.
— Qu'est-ce que tu as derrière la tête ?
Elle me fusille du regard.
— Hé ! Ça m'arrive d'être gentille aussi !
J'esquisse un sourire. Oui, Thanksgiving, son anniversaire et Noël.
— Je veux juste pas que tu retombes dans l'état où tu étais quand tu es arrivée. Alors tu vas poser tes fichus doigts sur ces fichues touches et tu vas mettre ton cerveau en veilleuse et écouter ton cœur. Tu vas nous jouer une de ces mélodies dont tu as le secret. Une de celles qui fait trembler les vitres, râler les voisins du dessus, chanter papa et inspirer Maman pour de nouvelles recettes loufoques toujours aussi mauvaises.
Tu vas laisser sortir toute ta tristesse et toute ta rage, et quand la dernière note retentira... tu t'en seras débarrassée et je retrouverai ma grande sœur un peu moins chiante.
Je plisse les yeux et souris. C'est fou comme ça grandit.
— Depuis quand es-tu si intelligente ?
Un immense sourire étire son visage de poupon.
— Mais depuis toujours, Belle.
Je souris.
— Tu as raison. C'est de famille.
Elle se lève et se dirige vers la porte.
— Enfin, il y a des loupés quand même.
Je rigole car même si elle me tourne le dos, je devine le sourire malicieux sur son visage. Pauvre Shawn.
Sur le seuil de la porte, elle s'arrête et me lance :
— Lâche prise. Libère toutes ces émotions refoulées.
Je ferme les yeux et inspire. Ce n'est pas la première fois qu'on me le dit.
La porte claque et mes doigts prennent soudain possession de moi, entrant dans une danse endiablée.
Mes problèmes me quittent peu à peu et doucement je vais mieux.
J'oublie lentement que dans quelques jours, ça fera deux ans jour pour jour qu'il m'a détruite.
*****************
COUCOU !!!
Vous avez aimés?
Vous avez pu découvrir un peu plus les nouveau personnages tout en ayant des nouvelles des anciens et ça, c'est top !
Et... Peut-être qu'au prochain chapitre vous retrouverez justement l'un de ces personnages? Qui sait?
BISOUS PAILLETÉS !
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