Chapitre 16

— C'est pour quoi ?

Je déglutis et souffle avant de répondre :
— Nous venons vous voir à propos de votre accusation de viol envers Bruce Payne.
Son visage se durcit et sans un mot, elle rabat la porte.

— Attendez !
Je pose ma main sur la porte, comme pour avoir un contact avec elle.

— S'il vous plaît ! Juste quelques questions.

— Partez ! nous crie-t-elle depuis l'autre côté de la porte en bois. Partez ou j'appelle la police !
J'échange un regard paniqué avec Jayden.

— S'il vous plaît ! Nous sommes de votre côté ! Nous voulons la même chose que vous. Nous voulons qu'il paie pour ses crimes !

— Je ne sais pas de quoi vous parlez ! Partez !
J'inspire.

— Nous savons ce que Bruce Payne fait. Nous voulons révéler au grand jour ses agissements. Aidez-nous...

La porte s'ouvre brusquement et je manque de tomber en avant.
En relevant les yeux, je croise son regard brun et ce que j'y lis me glace sur place. Parce qu'il n'y a plus ni méfiance ou colère, juste un désespoir profond. Dans ses yeux, je peux voir le reflet son âme brisée.

— Nous sommes de votre côté, soufflé-je.
Je vois sa détermination vaciller et elle tourne la tête.

— Ils disent tous ça. Mais c'est faux. Ils ne veulent que me ridiculiser encore plus. Ils veulent juste me faire passer pour une folle, pour une salle menteuse en quête d'attention et d'argent.
Je baisse les yeux.

— Nous voulons juste vous aider. Nous travaillons pour le Times.

Elle tourne les yeux vers Jayden et recule d'un pas, comme si elle le remarquait pour la première fois. Instinctivement, ses bras s'enroulent autour d'elle dans une faible tentative de défense. Son regard se voile et je m'aperçois qu'elle s'apprête de nouveau à nous fermer la porte au nez. Je plaque ma main contre la porte et la fixe dans les yeux.

— S'il vous plaît !

Son regard se fait fuyant et je remarque les tremblements dans ses bras.

— Je ne connais pas Bruce Payne. Je ne sais pas de quoi vous parlez, vous devez me confondre avec quelqu'un.

Je glisse mon pied à temps entre la porte et le mur pour l'empêcher de se fermer.

— S'il vous plaît ! Je sais que c'est dur, mais il mérite de payer. Pour ce qu'il vous a fait et pour ce qu'il continue à faire à d'autres...

Elle se fige et je vois qu'elle hésite, son regard jonglent de moi à Jayden. Je comprend qu'il la met mal à l'aise. Il l'effraie même un peu.

— Maman ?

J'écarquille les yeux et regarde une petite bouille aux boucles brunes et aux yeux gris apparaître entre les jambes de sa mère.
Jayden et moi échangeons un regard avant de fixer le petit garçons qui doit encore être en maternelle. Amélie le sert contre elle en reculant.

Je m'accroupis pour le regarder dans les yeux, et lui souris.
— Dis-moi, bonhomme, quel âge as-tu ?

Il cligne des yeux puis regarde ses mains, avant de me montrer cinq doigts.

— Cinq ans et demi.

Il me sourit et mes doutes se confirment. Ce sourire, il est célèbre à travers la terre entière.
Je me redresse et échange un regard grave avec Jayden. Lui aussi a fait le rapprochement.
Je me tourne à nouveau vers Amélie et demande :
— Il est au courant qu'il a un fils ?

Elle nous fixe, ses yeux brillant d'inquiétude. Puis finalement, elle s'écarte de l'entrée pour nous laisser passer, résignée. Alors que je m'avance dans le minuscule salon de l'appartement, elle se penche vers son fils et l'embrasse avant de le pousser vers le couloir.

— Va jouer dans ta chambre, mon cœur.
L'enfant, docile, s'en va et Amélie nous guide jusqu'à deux canapés placés face à face. D'un geste polie, elle nous invite à nous asseoir et nous obtempérons en silence.

— Il ne le sait pas, et ne doit jamais le savoir.

Elle nous lance un regard insistant et on hoche doucement la tête.

— Bien sûr.

Elle fixe à nouveau Jayden qui se tortille sur place, mal à l'aise.

— Avez-vous un problème avec mon collègue ?

Elle se mord la lèvre et se renfonce dans le canapé, les bras toujours serrés autour d'elle.

— Oui. Je ne sais pas son nom, le vôtre non plus d'ailleurs. D'ailleurs, je n'ai même pas de preuves que vous êtes de réels journalistes. Et... je n'ai plus confiance en les hommes. Je n'aime pas parler de... ça, avec eux. Ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne vivent pas ce qu'on vit. Ils n'ont pas à subir la peur, les remarques misogynes, les stéréotypes, les attentes rétrogrades de la société, les gestes déplacés ou les regards trop insistants.

Je baisse les yeux. Je vois ce qu'elle veut dire et dans un sens, elle a raison. Quelle femme n'a pas eu à essuyer au moins des remarques sexistes ? Quelle femme sort de chez elle sans se méfier de ce qui pourrait lui arriver ? Aucune. Parce qu'on a beau dire que la situation de la femme évolue, ce n'est pas encore suffisant.

Je me tourne vers Jayden et je vois ce pli d'inquiétude sur son front apparaître. Celui qu'il a quand il se fait du souci pour moi. Ses yeux sont sombres tandis qu'il réalise toutes les injustices encore perpétrées contre les femmes au jour d'aujourd'hui.

Je me tourne à nouveau vers Amélie.

— Je m'appelle Belle Collins et lui Jayden Summers. Et nous ne sommes que stagiaires pour le New York Times, alors nous n'avons pas encore de carte de presse. Mais nous vous promettons que tout ce qui sera dit dans cette pièce, sera utilisé de la façon la plus professionnelle qui soit. Nous ne sommes pas des jeunes qui cherchons à faire une mauvaise blague. Ensuite, pour ce qui est de mon collègue...

Je pivote vers ce dernier.

— Il va se contenter de tenir le dictaphone et regarder ailleurs. C'est à moi que vous parlez. Oubliez-le.

Elle hoche doucement la tête, commence à se détendre.

J'inspire puis me penche en avant pour lui demander :

— Parlez-nous de votre relation avec Bruce.
Elle déglutit et son regard vague derrière moi, au loin. Il se perd dans les réminiscences de ses souvenirs.

— Je n'étais que sa maquilleuse... Je le voyais chaque jour mais notre relation était entièrement professionnelle. C'est à peine s'il me remarquait jusqu'à...

Je me penche un peu plus en avant.

— Jusqu'à ?
Elle inspire.

— J'ai toujours été une jolie fille. Les garçons m'aimaient et moi j'aimais ça... Mais suis-je une salope juste parce qu'on voit ma gorge et mes cuisses ? Lui en tout cas, c'est ce qu'il a dû se dire... Du jour au lendemain, il a commencé à me regarder avec un peu trop d'insistance, à chercher le contact et l'échange. Après tout, tant que ça reste la main... je me suis dit : « Ça va, il ne fait rien de mal. ». Mais souvent, on réalise ce qui ce passe une fois qu'il est trop tard. Comme toute la planète, j'étais émerveillée par lui, j'avais confiance. J'étais sûre qu'il était incapable du pire...

Sa voix s'éteint dans un murmure et elle se recroqueville sur elle-même, le regard perdu dans ses souvenirs.

— Quand c'est comme ça... On ne voit pas ce qui a lieu devant ses yeux... Sa poigne ferme ou les frôlements au mauvais endroits... On se berne pour se persuader que tout va bien. On lui trouve des excuses, l'alcool, la maladresse, la pression... Oui, c'est ce qu'on se dit. Mais ce soir-là, à cette fête... j'aurais dû mettre un mot plutôt sur ce qu'il me faisait. Ça m'aurait évité toute cette souffrance... Oui, j'étais victime d'attouchements et d'harcèlement sexuels. Et moi, j'étais trop faible pour me l'avouer. Trop naïve pour le voir... Tout comme ce cachet dans mon verre. Il m'a grillée les neurones ce soir-là, et il m'a surtout brisée la vie... Quand les effets se sont atténués, j'étais dans une chambre d'hôtel inconnu... Et il était là... Tout est un peu flou dans ma tête mais je me souviens clairement de ses mains sur moi, de son poids étouffant et de l'infinie terreur de ne plus pouvoir respirer. Je me souviens de...

Sa voix s'éteint dans un sanglot et je regarde ses épaules s'agiter. Puis je regarde mes mains trembler. L'émotion me prend à la gorge...
Elle rive ses yeux dévastés dans les miens et je me sens défaillir devant tant de souffrance.

— Je me souviens l'avoir senti en moi... De cette sensation de ne plus être rien. D'être dépossédée de mon corps. D'être un objet, une vulgaire poupée de chiffon entre ses mains. De n'être qu'une spectatrice devant ce drame, complètement paralysée par la peur. Je me souviens de cette douleur insoutenable. De cette envie de fermer les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. De ce dégoût de soi, de cette sensation d'être salie, souillée. Et tout ça... il est impossible de l'oublier... une fois brisée, on ne se reconstruit pas. Comment croire à nouveau en quelqu'un, en l'amour... en la vie ?

Ce n'est pas très professionnel, mais je le fais quand même, parce que c'est humain. Parce qu'elle en a besoin... et moi aussi. Je me penche et lui prends la main et la presse doucement. Elle sourit faiblement et sèche ses larmes.

— Mais le pire... Le plus humiliant... C'est que personne n'a été foutu de me croire ! Vous savez ce que m'a répondu le policier qui a enregistré ma plainte ? « Vous êtes sûre de ne pas l'avoir cherché ? ». J'étais belle, provocante... mais jamais je n'ai cherché ça... Ni les menaces, ni le licenciement, ni l'exclusion et ni cette grossesse ! Je venais de me faire violer ! Une partie de moi venait de mourir et personne ne m'a soutenue, personne ne m'a crue. Pas même la justice !

Je lâche sa main et recule dans le fauteuil, écrasée par le poids de la réalité. Notre monde est pourri. La culture du viol est tellement présente... Comment de tels idées peuvent encore exister à cette époque ? Peut importe ce qu'elle a pu dire, porter ou faire, c'était la faute de Bruce Payne et sa faute à lui seul. Jamais la police n'aurait dû l'a remettre en question.

Je croise le regard de Jayden et constate que, comme moi, ses yeux n'ont pu rester secs.

— Madame Portman...

Elle pose sur Jayden des yeux las, trop épuisée pour s'offusquer de son intervention.
— Oui ?

Il se penche et je vois son regard flamboyer lorsqu'il déclare froidement :

— Nous allons détruire cette ordure. Pour vous et pour toutes celles qui ont souffert par sa faute.

Amélie Portman se redresse et une étincelle nouvelle s'allume dans son regard. Une étincelle d'espoir.

Je vois les poings de Jayden se crisper lorsqu'il ajoute :

— Il regrettera ce qu'il vous a fait. Je vous le promets.

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Hey ❤️

Je sais que ce n'étais pas un chapitre très réjouissant, voir un peu dur pour les plus sensibles, mais j'espère que vous avez quand même appréciez. ( Le prochain sera plus léger promis, vous allez l'adorer)

C'est un sujet qui me tiens beaucoup à cœur et que je voulais défendre dans ce livre( et aussi d'en un autre, ceux qui l'on lu savent) et j'espère avoir réussi.

J'espère que même si je n'ai pas évoqué tous les stéréotypes et les idées reçu à propos du viol, vous les connaissez et ne les prononcerez jamais. C'est une épreuve assez dur pour que les personnes qui en sont victime souffre en plus de ces mots.

Et si vous voulez venir me parler, n'hésitez pas d'accord, ma porte virtuelle est toujours ouverte ❤️ bisous pailletés.

Je vous aimes tous et aujourd'hui plus particulièrement, toutes les personnes qui ont subit une épreuve plus ou moins similaire. Je suis de tout cœur avec vous et vous soutiens.

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