3 (b). Frédérique
- Hey lâ, nou'Zaôtres y'ont faite les présaintations, ça fait que j'm'en vâ vous expliquer la job, commença le ranger barbu (Bob, je crois) alors que nous dégustions des sardines en boîte accompagnées de haricots préparés avec amour et améliorés avec les citrons, les herbes et les oignons qui me restaient (ouf, la réputation de la France en matière culinaire n'en pâtirait pas à cause de moi). Y'a-tu quelqu'un qui peut traduire en anglais ?
- OK, dit Benjamin.
Pendant que le beau gosse traduisait pour les anglophones et s'assurait que tout le monde avait compris, Bob déplia une carte sur la table que nous avions sortie dehors. Avec le banc branlant qu'on avait trouvé adossé à la cabane, il y avait tout juste de quoi s'asseoir. C'était une carte du commerce, du type top 25 avec les forêts en vert, les lacs en bleu et les sentiers en pointillé, mais dessus, il avait tracé au feutre de couleur des points, des triangles et des lignes. Ca ressemblait presque à une toile de Kandinsky.
- Icitte, reprit-il en montrant la cabane, c'est l'camp avec le lac en forme de fève. Pis lâ c'est la piste par laquelle on s'est envenu tantôt avec le char. De c'bord lâ, c'est Rivière-Blanche. Pis lâ, en noir lâ, c'est l'chemin de Tamuning, celui qu'tâ pris Fred. Pis c'est-tu vrai que ça a pas de maudit bon sang ?
Je comprenais déjà plus rien du tout à ce qu'il disait l'ami bûcheron. J'avais l'impression qu'il parlait en anglais, mais certains mots étaient quand même en français. « Maudit Québécois », j'aurais dit plus tard, mais je n'en étais pas encore à ce niveau de langue. Alors, vu que j'avais zappé la conversation, j'essayais de me remémorer les prénoms, mais déjà je butais sur la chinoise assise en face de moi. Pour me concentrer, je me suis permise un petit coup d'œil sur Benjamin, l'Apollon blond qui traduisait (lui j'avais bien retenu son prénom).
Sauf qu'au même moment, Benjamin se mit à me regarder.
Pour ne pas faire la grosse lourde, j'ai tourné la tête, et là j'ai vu qu'en fait tout le monde me regardait.
- Y'est-tu pas si pire, insistait Bob ?
Comme personne ne prenait la parole et que le blanc s'éternisait (genre un ange passe) et que tout le monde continuait à me mater (mais commençait maintenant à me prendre pour une débile), je me suis dit que ça devait être une question pour moi. J'étais en train de m'imaginer ce qui, de oui ou de non, lui ferait le plus plaisir comme réponse au bûcheron car je n'avais pas la moindre idée de la question, quand Pierre (le français avec les cheveux en bataille) est venu à ma rescousse, pas du tout discrètement, en me lançant, exaspéré, un « eh bé, il était comment ton sentier ? Nickel ou pourri ? »
- Ah, ben oui, d'accord, euh, non, euh, enfin, pas mal pourri, c'est pas le top, va falloir le remettre en état, genre débroussailler partout, parce que j'ai les jambes abîmées avec les ronces et ....
- C'est correk, m'a coupé le bûcheron à barbe. Pis lâ, l'triaingles rouges, c'est l'camp qui va falloir que vous fassiez.
Cette fois, Pierre a pris les devant et m'a traduit en Français. De France. Vu que c'était spécialement pour moi (et sûrement aussi pour l'autre français dont je ne retrouvais pas le nom), je ne pouvais plus en profiter pour mater le beau Benjamin, qui d'ailleurs continuait impassible sa traduction pour les anglophones. Dommage.
En gros, après les traductions et la cacophonie qui prenait pas mal de temps, ça donnait, en français de France, un truc du genre :
- Votre travail consistera à créer une aire d'accostage pour les canoës, défricher un coin pour les tentes en abattant quelques arbres, réaliser un foyer sécurisé pour le barbecue, creuser la fosse pour les toilettes et y fabriquer une cabane, et ...
En clair, contribuer à mettre en valeur gnagnagna, ça signifiait : travailler comme un forçat. Mais dans une forêt particulièrement bien préservée, siouplé !
- Ca pue, les toilettes fermées ! a lancé quelqu'un sur un ton effronté.
- Normal parce que les odeurs ne s'échappent pas, a tenté de rassurer Bob.
- Moi je pense que le mieux c'est une belle cuvette en bois au grand air. Il suffit de la mettre assez loin des tentes. Ils ont fait ça à côté de chez moi, et c'est cool parce qu'en plus, on a une superbe vue sur la nature plutôt que les planches de bois de la porte juste devant les yeux. En plus ça nous évite de construire la cabane. (C'est le gars au gros nez et au pull camionneur qui tirait déjà au flanc. Belle mentalité ! Je retire ce que j'ai écrit sur le bon état d'esprit.)
- La cabane autour du WC au moins, ça te laisse le temps de remonter ton pantalon quand il y a un ours, a répondu mon Apollon. Et c'est plus facile de fuir avec la ceinture bien serrée que le jean sur les chevilles. Si ça se trouve, le WC fermé a sauvé la vie de nombreux trappeurs. C'est peut-être un des éléments primordiaux de l'adaptation de l'homme à ce pays, voire de l'évolution naturelle.
- Eh, mais on a Darwin avec nous ou quoi ?, me suis-je permise, histoire d'avoir une raison de plonger mes yeux dans les siens.
- Darwin ? a commenté le homard qui me regardait comme si j'avais dit une énormité (décidément, j'ai trop de mal avec les prénoms). Mais tu es folle ! Jamais tu fais un WC en plein air à Darwin ! Il y a trop de salties, tu risques de te faire croquer sur le trône !
- ???
Silence d'étonnement dans l'assistance.
- Ben oui, au cas où vous n'êtes pas au courant, il y a des crocos partout à Darwin. Territoire du Nord, a t-il précisé.
A ce moment-là, mon Apollon aux yeux du pacifique a explosé de rire, un beau rire communicatif, qui le rendait encore plus beau.
Irrésistible.
D'autant qu'il me lançait des regards complices (trop trop bon !).
- Hey Matt, Darwin : le biologiste, pas la ville ! Ah ces Australiens, aucune culture !
Donc le homard qui se faisait mettre en boîte, son prénom c'était Matt et, apparemment, il était Australien.
Et accessoirement neuneu.
Ou du moins à côté de la plaque sur ce coup-là.
Ou alors victime d'une mauvaise traduction. Il faut dire que ça partait en live, chacun disant la sienne avec Benjamin qui essayait de traduire en anglais et français, en y ajoutant ses petits commentaires et Pierre qui assurait la traduction québécois-français. Bob a enfin remis un peu d'ordre dans la discussion qui ressemblait plus à un café philo qu'à un briefing de travail.
- Bon les gars, si vous voulez vous construire des toilettes sans cabane, vous pouvez, y'a pas de problème. Mais faudra le faire en plus des toilettes avec cabane, car le toit c'est indispensable, aussi pour les ours, mais surtout pour la pluie.
- Et comment on fait ?
- Ne vous inquiétez pas, on va s'entraîner ensemble en faisant de belles toilettes pour ici.
Ah ça c'était une bonne idée. Je ne me voyais pas continuer à m'érafler plusieurs fois par jour dans les buissons pour faire mes petits besoins.
- Bon je continue. Il faudra aussi construire des tables – bancs. Pas de commentaire sur les bancs ? Bon, ça, c'est pour les aires de campement. Il faudra aussi tracer les sentiers de portage et s'occuper de la signalétique. Question matériel, on a des outils dans la malle bleue, il devrait normalement y en avoir aussi dans la cabane. On nous amènera demain des planches, des piquets et de l'essence. Faudrait qu'on fasse un inventaire des outils tout à l'heure pour savoir ce qui manque. On a déjà les canoës. J'espère que vous savez pagayer ou alors il faudra apprendre !
- Et la bouffe ? Il y a beaucoup de stock dans les malles ?
- On a acheté pour 10 jours. On revient faire un point vendredi 10, il faudra que certains d'entre vous rentrent avec nous à Rivière-Blanche pour faire le ravitaillement. D'ici là, le Range Rover devrait être réparé, on pourra vous le mettre à disposition. Normalement, vous n'aurez pas besoin d'aller en ville souvent, tous les 10-15 jours environ. Nous, on passe régulièrement, on peut aussi vous amener des trucs si ce n'est pas trop compliqué. On vous apportera aussi le courrier si vous en avez reçu.
- Dis, sur ta carte, les triangles ont l'air bien éloignés, ça va pas être un peu galère pour porter les tronçonneuses, les planches et tout le matos ?
Décidément, il n'y avait pas que des foudres de guerre dans cette équipe !
- On va vous larguer du matériel par bateau à cet endroit-là, ici et là aussi. L'idéal ce serait des déposes de matériel en hydravion pour les autres camps, mais on n'est pas sûr de pouvoir l'avoir. Je vous tiendrai au courant. Vous commencerez par ce camp-là. On sera là, Mike ou moi pour faire le travail ensemble et vous montrer ce qu'il faut faire et vous aider. Après, on passera de temps en temps.
Il pointait un doigt à un bout de la carte et je réalisai soudain que la cabane était de l'autre côté. Ce qui signifiait qu'il fallait réellement qu'on pagaie loin et avec le matériel dans le canoë pour les triangles qui se trouvaient au milieu de la carte. En regardant plus attentivement le tracé du sentier que j'avais emprunté, je réalisais que les distances étaient grandes. Il allait falloir choisir un bon partenaire de canoë, genre avec de gros bras musclés !
Ou avec un beau regard !
- Il faudra qu'on s'organise au fur et à mesure pour le timing. On verra ça avec la radio. Qui sera mon relais radio ?
Silence ... radio.
- Pierre, c'est ça ? questionna-t-il en désignant le français avec les cheveux en bataille, qui opina du chef. Comme tu comprends le québécois, je te charge de cette mission. On fera un point tous les jours à 14 heures. Ca te va ?
- OK.
- Tu as une montre à l'heure ?
- Non, pas de montre, mais quelqu'un ici a bien une montre ?
- Oui, moi, répondit l'autre français en exhibant une belle montre avec des aiguilles partout, du type de celles qui garnissent les pages de pub des magazines sportifs avec en photo de fond un voilier ou un parcours de golf.
- OK. Et assure-toi aussi que les batteries soient toujours chargées.
- OK patron !
- D'autres questions ?
- On s'organise comment ? interrogea mon beau surfeur. On bosse tous sur un emplacement ou on fait des groupes ?
- Ca, c'est vous qui vous débrouillez les gars. Vous avez deux radios, donc pas plus de deux groupes. Vous verrez vous ne serez pas trop de cinq.
Cinq, nombre impair. Avec ma guigne, je vais finir toute seule dans le canoë. Faut vraiment que je me mette avec le gars musclé, tant pis pour le bleu du pacifique. C'est comment son nom déjà à lui ?
- Il y a assez de réchauds et de casseroles pour deux groupes ?
- Et les tentes, on en a combien ?
- Et on a des matelas autogonflants pour les nuits sous tente ?
- Et pourquoi pas la télé tant que tu y es !
On a passé une bonne partie de l'après-midi à régler les questions logistiques, attablés dehors sous le sapin. C'est vrai que l'agence ne nous avait rien dit jusque là, à part une date et des recommandations vestimentaires.
Et un lieu de rendez-vous, modifié par la suite, ce qui m'avait valu d'arriver à Québec au lieu de Montréal. Et de décider de rejoindre la cabane à pied, puisque j'avais quelques jours devant moi. Quelle idée saugrenue ! J'aurais mieux fait de rester à Québec faire du tourisme, puis prendre un bus pour Montréal et faire le trajet avec les Zaôtres pour me pointer au dernier moment à Rivière-Blanche. Mais traverser le Québec dans tous les sens sur les autoroutes, ça ne m'avait pas branchée.
A la place, j'avais eu envie de forêt, d'aventure, de solitude.
Tu parles, oui !
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Pis t'as compris l'principe, c'est rendu que j'vas pas t'crisser avec toute çâ, mais voter c'est important pour qu'cette histoire lâ, à gagne une ostie d'visibilité sur Wattpad.
Fait qu'à la fin d'chaque chapitre lâ, si t'as aimé (et même si t'es plus comme à détester l'accent québécois, tabarnouche), n'oublie pas d'voter.
Merci pour nous-zaôtres !
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