28 (c). Frédérique
Cette période fut aussi l'occasion de partager plus de temps avec Noz. Je parlais déjà mieux anglais, du coup je comprenais un peu mieux ce qu'elle me disait, un peu seulement. Elle aussi avait appris à parler plus doucement, en particulier parce qu'elle passait pas mal de temps avec Olivia. Pauvre Olivia qui devait maitriser à la fois l'anglais, le français et le québécois. Elle s'en tirait finalement assez bien.
Et réservait son italien pour amadouer Jo qui était toujours aussi éperdument épris d'elle. Et pas que d'elle d'ailleurs.
Olivia et Noz, c'était une association complètement improbable, mais contre toute attente, ça fonctionnait : d'un côté une fille calme et posée, de l'autre une crevette sautillante qui ne tenait pas en place. Elles me faisaient penser à mes cousines qui s'adorent mais qui se taquinent continuellement. Le grand fait d'arme d'Olivia, ça a été d'aider Noz à arrêter de fumer pendant cet été québécois.
Etonnant pour une sportive, mais Noz fumait.
Pas un paquet par jour, mais suffisamment pour que ce soit trop. Et autant elle était vaillante pour faire un kilomètre de footing supplémentaire, autant quand il s'agissait de remettre la clope dans le paquet, il n'y avait plus personne.
Noz s'était donc engagée à la suite de je ne sais quel pari à la c... à ne plus fumer.
Plus aucune cigarette.
« Nozaki, No smoky » lui rappelait Olivia.
Elle était comme ça Noz, à s'enflammer d'un coup en se disant que demain serait un autre jour. J'ose espérer qu'il n'y a pas de casino à Vancouver, sinon, elle serait capable sur un coup de tête d'y jouer toutes ses économies.
Evidemment, comme on pouvait si attendre, elle n'était pas tout à fait prête à arrêter de fumer. Heureusement que cette fille était un fil de fer, car avec le mental d'huitre qu'elle avait, elle aurait été incapable de faire un régime ! Demain j'arrête était donc plutôt sa devise, mais Olivia étant indéfectible voire incorruptible, ce qui me semble assez héroïque pour une italienne, il fallut que Noz se plie à sa décision.
Enfin, qu'elle fasse comme si.
Plus aucune cigarette devant Olivia ! Ca signifiait déjà, ne plus en acheter.
Ou supplier un complice d'en acheter à sa place.
Discrètement.
Et pas de bol pour elle, Raphaëlle, la seule fumeuse de clopes manufacturées (ou plutôt industrielles) de l'équipe, n'était pas prête à l'aider, pour d'obscures raisons de bien, de mal et de parole donnée, parole qui n'était d'ailleurs pas la sienne, mais raisons qui étaient assez conformes à une morale toute américaine qui me dépassait et me dépasse encore.
Ne restait plus que Tom comme fumeur, mais lui, il roulait son tabac. Tout achat de paquet de clope de sa part aurait paru suspect. Elle aurait aussi pu demander à Erika de lui filer un paquet en douce en venant nous voir, puisque Noz était une des rares à qui Erika daignait accorder la parole. Je pense d'ailleurs qu'elle l'a fait, mais apparemment, pour citer ce vaillant général Alcazar : « Caramba, encore raté ».
Elle s'est donc tournée vers Tom, qui a plus le sens de l'amitié que celui du puritanisme (nord-américains, mais pas anglophones, vivent les Québécois !) : il partagea quelques roulées avec la petite Cosette, privée de cigarettes.
Evidemment, en toute discrétion, il va s'en dire.
Ce qui, entre la promiscuité, la délation culturelle (Raphaëlle), la délation humoristique (Jo) et les gaffes (Ti'Pierre), ressemblait plus à de la décence (suffisamment caché pour respecter Olivia) qu'à de l'efficacité (mais trop visible pour qu'elle puisse l'ignorer).
Olivia n'était donc pas dupe du manège de Noz avec Tom, mais en bonne infirmière maniant habilement la psychologie, elle ferma les yeux pendant une dizaine de jours pour aider Noz à réduire doucement sa consommation sans qu'elle ne s'en rende compte. Passé ce laps de temps, Olivia mit graduellement une pression plus intense répétant infatigablement le slogan « Nozaki, Nosmoky », précédé souvent de son « Ma ! » caractéristique.
Mieux qu'on a toujours besoin d'un plus petit que soit, la morale de l'histoire pourrait être on a toujours besoin d'un plus entêté que soit, ou d'un plus italien que soit.
Toujours est-il, qu'à la fin du séjour, Noz ne fumait plus.
Ou alors était devenue hyper discrète.
Enfin, ne fumait plus de cigarettes. Le pari ne portant pas sur les substances hallucinogènes.
Je me demande bien si cette cure a eu véritablement raison de son addiction ou alors si, comme pléthore de fumeurs, elle a repris de plus belle, une fois retournée dans sa routine à Vancouver.
Me tenir éloignée de Tom, c'était aussi me mettre un peu à l'écart des Zaôtres, vu qu'on était justement les uns sur les autres. Et pour ça, j'avais une arme fatale.
Ou plutôt deux.
La première s'appelait un été dans l'ouest, la seconde les misérables. Depuis que j'étais arrivée, j'avais à peine eu le temps d'effleurer le livre de Philipe Labro que ma mère m'avait offert avant de partir et dédicacé « A mon petit lutin de la forêt noire, pour ton été dans l'ouest à toi ». C'était mignon, mais pas très malin ce genre de dédicace, ça donne des idées à certains pour un surnom débile, moi qui en était déjà affublée d'un assez grotesque (merci la petite maison dans la prairie). Il fallait donc, à chaque fois que quelqu'un ouvrait le livre, que :
1) j'explique mon amour pour les gâteaux au chocolat, même si, oui c'est vrai, ça fait grossir, mais c'est pas à cause du chocolat mais du beurre (message subliminal qui, soit dit en passant, a mis du temps à faire son effet, vu qu'il a fallu attendre fin juillet pour voir apparaitre le premier gâteau au chocolat, un brownies fait par Raphaëlle, que j'ai trouvé apparemment excellent d'après ce qui se dit, mais dont je ne me souviens malheureusement pas de l'onctuosité, tout ça à cause d'une surdose éthylique dont la seule responsabilité incombe à Benj, qui a eu l'excellente idée d'avoir son anniversaire pendant mon été dans l'ouest) ;
2) pour mon anniversaire à moi (qui tombait en automne, pas de bol pour les grosses fiestas en plein air), la forêt noire était devenue une tradition, mais pas n'importe laquelle : un gâteau fait par ma mère et sur lequel mon père rajoutait invariablement le même petit lutin en plastique avec un pantalon bleu, un bonnet vert et une scie dorée, objet qu'il avait récupéré sur une bûche de Noël et qui conservait presque sa splendeur des premiers jours. Quand mon père avait su que je partais passer l'été en forêt, il avait commencé à m'appeler son petit lutin de la forêt noire. Bon, la fin de l'histoire, j'omettais en général de la raconter, il suffisait que je décrive le goût exquis de ce gâteau fait avec amour par ma mère, le choix du beurre de baratte et de la marque du chocolat noir pour que la conversation dévie invariablement vers le culinaire et qu'on en oublie le petit lutin de la forêt noire.
Tout ça pour dire que ce livre tombait fort à propos comme l'avait soupçonné ma mère (elle est forte, hein ?) et que, même si le travail était différent et les conditions aussi, je me sentais en phase avec ce récit. A tel point que je l'ai dévoré pendant ma phase de retraite post-chagrin d'amour (aussi appelé épisode de la sorcière) et à peine fini, j'ai couru le conseiller aux francophones. Mais à mon grand étonnement, il ne fit recette ni auprès de Ti'Pierre, ni auprès de Benj.
Ti'Pierre parce qu'il ne s'intéressait pas aux romans même ceux qui se passaient en forêt, ou alors il aurait fallu que le roman se passe dans le Tarn, qu'il y soit question de rugby, de botanique et de magret. Et encore !
Et Benj parce qu'il était en plein milieu d'un livre extraordinaire, le dieu des petits riens, qui évidemment se déroulait en Inde. Livre qu'il m'a donné par la suite et qui reste encore mon préféré (et pas parce que c'est le beau Benj qui me l'a donné, ni parce que c'était le premier livre que j'arrivais à lire intégralement en anglais).
Par contre, Tom, à qui je n'avais rien proposé (stratégie d'éloignement oblige), s'intéressa au bouquin (bravo pour la réalisation de la stratégie !) au motif qu'il n'avait plus rien à lire (il venait de finir le SAS trouvé dans la cabane) et qu'il avait déjà lu les misérables (version courte bien sûr). Et que comme tout le monde se mettait à lire, il ne restait plus que ça à faire quand on était sur les bivouacs (ou alors passer du temps avec Matt et Raphaëlle, qu'il ne semblait pas trop apprécier, du moins en ce qui concernait Matt, parce que Raphaëlle, les hormones de tout mâle étaient dans l'obligation de l'apprécier).
Tom trouva le livre très bof au début « fait qu'c'est juste des gars qu'ont une job en forêt, pis c'est ça ké ça », et comme je le défendais bec et ongle le livre (phase d'éloignement complètement foirée), il finit par s'y mettre réellement et le termina en quelques jours « y'était bin raide au boutte c't'affaire-lâ ! »
Quant à moi, pendant que je foirais ma phase d'éloignement, j'avais décidé de m'attaquer aux mille pages du tome 1 des Misérables, un défi que m'avait lancé Ti'Pierre et Olivia et que je relevais uniquement officiellement par fierté (Olivia se fadait les mille pages du Pendule de Foucault d'Umberto Eco) et officieusement par stratégie (mille pages, ça occupe un moment et ça évite de croiser Tom).
Parce que sinon les Misérables, moi aussi je l'avais déjà lu (la version courte) et je connaissais l'histoire (presque) par cœur.
J'ai donc commencé le tome 1 comme on commence un marathon, par défi personnel essentiellement et en gérant l'effort car ça allait être long.
Très long (992 pages quand même).
Trop long (il m'en reste encore 928 ?).
Mais bien vite, j'ai été envoutée par le père Victor, qui m'a tenue en haleine même si je connaissais l'histoire (presque) par cœur, si bien que j'ai ragé quand les Thénardier ont racketté la pauvre Fantine et tremblé quand Javert a démasqué le père Madeleine. J'étais complètement droguée, passant des nuits à lire à la frontale, la tête couverte d'un T-shirt pour ne pas réveiller Olivia qui dormait à côté de moi dans la tente, et dont la foulée commençait à ralentir au vu du faible nombre de pages qu'elle avalait sur la pente de son Pendule.
Pour être tout à fait honnête, elle faisait des retours en arrière, relisant des pages qu'elle avait lues plusieurs jours auparavant, pour comprendre et essayer de déchiffrer l'énigme d'Umberto. D'ailleurs elle n'arrêtait pas de poser des questions sur des rues ou des monuments de Paris, questions auxquelles ni Ti-pierre ni moi ne pouvions répondre vu que nous ne connaissions pas spécialement Panam, comme l'appelait Manu.
Tiens d'ailleurs, je suis sûre que Manu, lui, aurait été capable de lui répondre et s'en serait même fait une joie. Mais Manu était déjà loin, peut-être même en train de passer devant le monument en question à l'heure qu'il était, au bras de sa chère et tendre Céline, pendant qu'Olivia dormait du sommeil du juste et que je me dépêchais de finir les interminables pages détaillant la méconnaissance de la topographie du site de Waterloo, qui d'après Victor serait la cause du fiasco de la fameuse bataille (quel couillon ce Napoléon). Car je savais qu'après ce chapitre Jean Valjean allait fuir en emmenant Cosette qui allait grandir, mais je ne me souvenais plus de ce qui se passait ensuite. Ni à quel moment Gavroche entrait en scène.
Pour augmenter le suspense qui devenait insoutenable (ce qui est complètement idiot, car je connaissais l'histoire (presque) par cœur ; de là à penser que je suis complètement idiote, il n'y a qu'un pas que par chance je n'ai pas à franchir car Victor Hugo étant un excellent écrivain, le (re)lire est gage d'intelligence), les piles de ma lampe frontale tombèrent en rade et sans électricité sur l'aire de bivouac pour les recharger, je fus coincée sans mes Misérables pendant la journée et la nuit suivante.
Quand la lumière fut revenue, je dévorais les pages plus vite qu'un rat, pour me rendre compte, quelques jours plus tard, que Gavroche arrivait avec le tome 2, tome qui n'était pas sur l'étagère de la cabane, ce qui signifiait qu'il me faudrait encore attendre quelques jours pour envoyer quelqu'un l'acheter à Rivière-Blanche, en espérant que le rayon livre de poche du supermarché soit suffisamment fourni.
L'attente eut la fonction inattendue de sevrage, d'autant que lorsque Mary m'apporta le tome 2 qu'elle avait eut d'la misère à dégoter, nous entrions dans la dernière semaine de notre séjour et j'étais plus passionnée par le Tom 2 que par le tome 2.
Toute focalisée sur mon misérable marathon de mille page que j'avais finalement gagné haut la main, je ne m'étais pas rendue compte que si le Pendule était fixe, la pendule, elle, tournait réellement et mon séjour, que dis-je, ma vie dans la forêt québécoise touchait à sa fin. Dans quelques jours, j'allais faire mes bagages, j'allais quitter cet endroit qui m'était si familier dorénavant et j'allais rentrer chez moi, retrouver ma famille et mes potes, qui je l'imaginais se faisaient une joie de mon retour prochain dans leurs e-mails que je ne consultais même plus.
Si j'avais eu le mal du pays en arrivant, j'avais le mal du pays en repartant.
Je sortais donc de ma torpeur romanesque pour me réveiller dans une réalité qui allait finir incessamment sous peu. Il fallait en profiter, profiter de la forêt, profiter du lac, profiter des Zaôtres, du regard turquoise de Benj et de la petite cicatrice de Tom.
Même si ça se faisait sans Tom.
Quoique.
***********
Prêt(e) pour cette dernière semaine ?
Que tu sois content d'en finir avec les moustiques et les ampoules, triste de les quitter bientôt, ou curieux de savoir ce que l'avenir leur réserve, n'oublie pas de voter.
Et si tu as oublié de le faire aux chapitres précédents, retourne discrètement le faire (plus discrètement que les ronflements de Jo !)
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