20 (a). Frédérique

Comme chaque matin, Olivia s'était levée la première. Cette fois-ci pas aux aurores, mais elle était quand même allée méditer au bord du lac ou faire sa séance de Yoga. Cette fois, elle avait une bonne raison.

Quoique je ne sais pas si la méditation enlève la gueule de bois. Ca aide sûrement à réfléchir, peut-être même à se rappeler de ce qu'on a fait la veille.

Et se concentrer sur un point fixe, ça permet au corps de ne pas perdre l'équilibre. Et vu ce qu'on s'était pris comme charge la veille, c'était peut-être un bon remède.

Moi comme remède, j'avais mon kit : un efferalgan le soir avant de dormir (mais cette fois, je n'avais pas été en état d'y penser) et un bol de thé géant le matin. Encore plus grand que le seau quotidien qui me servait de petit déjeuner et qui impressionnait à chaque fois Olivia.

Après Olivia, Matt était sorti de son duvet. D'habitude il attendait que ça bouge un peu avant de se lever, qu'au moins Benj commence à faire cuire les beans et le bacon et prépare l'omelette qu'ils partageraient ensemble, en bons anglo-saxons qu'ils étaient (heureusement que je suis née française, parce que les tartines beurrées et les croissants frais, ça a quand même plus d'allure que la boite de haricots blancs à la sauce tomate sucrée).

Mais ce matin-là, tout le monde dormait.

Matt était alors entré dans la cabane et avait ouvert la fenêtre :

- Hey guys, wake-up ! Smells like in a croc farm here !

- Un what ? j'ai demandé, encore toute groggie.

- A crocodile farm. You bunch of crocs, wake-up ! ! a-t-il continué en même temps qu'il nous lançait des oreillers et des fringues.

On répondait par des lancers de tout ce qui nous venait sous la main. Benj a voulu se lever, Matt l'a de suite rallongé avec un oreiller. Tom à son tour est rentré dans la bataille en prenant Matt par derrière et en l'envoyant valdinguer sur le lit de Jo qui se défendait en lançant des coups de pied dans son duvet. Pendant ce temps Benj s'était occupé de Tom. Ca criait, ça rigolait, moi j'avais encore la tête qui tournait et les yeux embués. D'un coup, je me suis prise Benj et Tom sur le lit, ils ont rebondi et sont partis ailleurs. A un moment, on a entendu un :

- Hey boys, watch out when jumping on Pete's bed : seems he's not alone here, if you see what I mean ...

Tout le monde s'est arrête et s'est retourné vers le lit de Ti'Pierre. De sous le duvet, est sortie la petite tête de Mary, les cheveux dressés sur la tête par l'électricité statique. Dans un grand sourire elle a sorti un :

- Bonjour tout l'mâonde, vous avez-tu bien dormi lâ ?

Ca nous a tous calmé. On a lâché les oreillers et Noz a conclu :

- I reckon we should discuss about last night.

- T'as raison Noz. P'tit déj ! j'ai ajouté.

- Breakfast, traduisait Benj pour Noz.

- Yes, you're right my dear Laura Ingalls, you really need a big breakfast to explain us about last night, commençait à chambrer Jo. By the way, where's Livia ?

- Moi ? Yesterday ? Et arrête de m'appeler Laura Ingalls, you fucking american cowboy !

Ca y est, on recommençait à se battre !


On s'est donc tous pointés au petit dèj en même temps, ce qui n'était pas habituel. Et le résultat était pire : on avait un mélange d'odeurs de graillou de porc, de café presque bouilli, de chocolat chaud, de miel, de beurre de cacahuète, de confiture, de pain grillé et de sauce tomate sucrée. Que celui qui ose encore me dire que les beans à la sauce tomate sucrée c'est bon soit condamné à se faire un petit déjeuner de tartines grillées au beurre salé avec de la confiture de framboise de ma maman et on verra s'il trouve encore que c'est bon ! Non mais !

J'en étais où moi ? ... Ah oui !

C'était donc le bazar parce qu'on n'avait que deux plaques de gaz.

D'habitude, Olivia avait déjà fait chauffer le café quand Benj mettait le bacon et les œufs à frire dans une poêle pour Matt et lui pendant qu'il cuisait ses beans dans une casserole à côté. Quand je me réveillais, ils étaient déjà en train de manger et se raconter des blagues que je ne comprenais pas (de l'anglais hyper rapide, des références à des stars que je ne connaissais pas et l'accent chewingommé de Matt, c'était trop pour mes neurones encore tous ramollis de sommeil). Si je ne me levais pas trop tard, il restait un bruleur libre pour me faire bouillir de l'eau pour le thé, à côté du porridge qu'ils se chauffaient, une espèce de bloubiboulga à base d'avoine et de lait et au gout de sucre si on y ajoutait du sucre ou de cannelle si on y ajoutait de la cannelle, bref, encore une sucrerie délicate à la mode anglo-saxonne. Sinon, c'était Tom, la mèche en général complètement éparpillée sur sa figure, qui squattait le bruleur avec son lait (lait qu'il faisait inévitablement déborder d'ailleurs). Le temps qu'il ait fini d'y incorporer le chocolat, je restais dehors pour pas être prise d'une envie de vomir (les odeurs le matin, c'est pas mon truc et d'ailleurs un des points positifs des bivouacs, c'est qu'on se faisait chauffer tout ça à l'air libre).

Ensuite Olivia se refaisait chauffer son deuxième ou troisième café matinal tout en nettoyant le lait de Tom. Quand Raphaëlle arrivait, le café était déjà chaud et d'ailleurs, elle le coupait avec le restant d'eau chaude. Elle avait bien tenté le premier matin de boire le café d'Olivia, mais elle avait tout recraché d'un coup tellement elle avait trouvé ça fort. D'après Ti'Pierre, ce café était hyper serré et il réveillerait un mort. Faut dire que Raphaëlle se buvait un demi-litre de café au lait très dilué alors qu'Olivia ne prenait que des minuscules tasses corsées (des dans ce cas signifie une quantité impressionnante, plus de dix par jour d'après Benj).

Jo et Noz n'avaient pas besoin du réchaud : Jo dévorait presque un kilo de céréales dans un fracas de croustillement et Noz se buvait un verre de jus d'orange en vitesse avec une tartine de beurre de cacahuètes (ou plutôt du beurre de cacahuète sur une tartine). Parce qu'elle arrivait toujours à la bourre, soit disant qu'elle n'avait pas entendu son réveil. Ce qui lui arrivait tous les matins.

Quant à Ti'Pierre, il adaptait son petit déjeuner à ce qui restait sur la table, buvant un café quand Olivia se réchauffait son quatrième ou un thé quand il en restait ou un chocolat froid sinon. De toutes façons, il se levait tellement tard, encore en caleçon et la figure encore fripée par le sommeil, trainant nonchalamment ses tongs jusqu'à la table, que Benj le virait souvent de table avant qu'il n'ait fini d'avaler sa première tartine parce qu'on l'attendait depuis déjà un moment pour bosser.

Ce qui ne l'empêchait quand même pas de se préparer plusieurs tartines qu'il emmenait avec lui.


Ce matin là donc, le petit dèj était désorganisé.

Et les commentaires fusaient bon train.

C'est que la veille, on avait fêté les 25 ans de Benj. On avait donc particulièrement arrosé la soirée, bien plus que d'habitude, alors qu'on naviguait déjà sur un régime de croisière assez élevé en taux éthylique. Faut dire qu'on avait institutionnalisé l'apéro et que le dernier ravitaillement avait bien rempli le coffre du pick-up.

Ce soir-là donc, c'était ses 25 ans. Mary était venue dans l'après-midi, amenant avec elle le complément que nous lui avions commandé par radio.

Toute l'après-midi, la cuisine était bondée malgré la chaleur étouffante qu'il y faisait. Il faut dire que le four marchait à plein régime. Cette fois, il s'était même allumé sans problème et Tom n'avait pas risqué sa mèche dans la déflagration du gaz.

Pour l'apéro, Olivia avait fait une pizza regina alla mozzarella. Normal, c'était ça ou des pasta, mais des pâtes on en mangeait déjà trop souvent. J'avais accompagné ça d'un punch pas trop mauvais, quoiqu'assez traitre comme il se doit. J'avais essayé de respecter la recette familiale qui avait fait ses preuves et Mary avait bien rempli sa mission impossible de nous dégoter du jus de goyave, mais malheureusement elle n'avait trouvé que du rhum Bacardi, qui donnait au punch un léger gout de vodka, tout ça parce que l'unique liquor store du patelin était en rupture de rhum agricole. P... de pays où l'alcool est réglementé.

Ensuite on avait continué sur un poisson en croute de sel qui avait mis du temps à cuire et il avait fallu que je m'accroche pour sauvegarder la croute de sel, chacun tournant autour du four et donnant son avis de spécialiste à propos de la cuisson. Surtout Matt, mais lui au moins avait une raison valable : c'etait lui qui avait pêché le poisson.

Du coup, en attendant, on s'était resservi du punch et la gamelle qui semblait beaucoup trop grande à tous en début de soirée a bien vite commencé à se vider sérieusement. Et personne n'a trouvé à redire sur le goût de vodka : les morceaux de bananes avaient déjà recouvert la mixture d'un merveilleux fumet tropical. Quand on est arrivé au dessert, un délicieux brownie au chocolat et noix fait par Raphaëlle et une tarte tatin faite par Ti'Pierre (il m'avait vraiment impressionnée sur ce coup-là), le punch avait déjà fait un sérieux effet.

La nuit n'était pas encore tombée, mais la soirée était déjà en train de partir en live, comme le répétait Ti'Pierre.

Pour commencer, Benj avait dû se coltiner tout un tas de gages, qu'on avait écrit pendant la journée et qu'il découvrait en les tirant d'un chapeau. La chance lui a permis d'éviter quelques gages saugrenus. Ca allait de nous raconter la pire honte de sa vie jusqu'à l'interdiction formelle de dire un mot commençant par la lettre o pendant toute la soirée, en passant par marcher 50 m sur les mains. Evidemment, comme tout bon jeu de potache qui se respecte, chaque erreur se payait d'un verre à boire. A chaque réussite, il faisait piocher l'un de nous qui avait alors son gage. Bien vite Benj était complètement saoul.

Mais il n'était pas le seul.

De cette soirée qu'on aurait pu qualifier de n'importe quoi, il ne me reste que des bribes. Je me souviens d'Olivia qui chante et qui danse complètement hors du rythme, puis d'elle qui part se baigner dans le lac, nous entrainant tous ou presque dans son sillage. Je me souviens d'un criant : « allez, on se fait un bain de minuit ! » (ce devait être Ti'Pierre, vu que c'était en français), de moi expliquant qu'il fallait être à poil pour un bain de minuit. Je ne me souviens plus si nous étions à poil ou pas, je me souviens juste que ça riait et ça riait encore. Et que c'était mouillé. Après, je me revois juste au bord du feu, grelottante, remerciant Tom qui me met sa veste sur le dos et l'image d'après, je suis dans mon lit, ou plutôt dans le lit de quelqu'un d'autre parce que le mien est en haut et il y a encore Tom qui me demande « y'a-tu de quoi qui va pâs ? » et derrière j'aperçois Noz qui pouffe de rire pour un rien. Mais mes souvenirs sont une partie infime de ce qui s'est passé cette soirée-là, la partie immergée de l'iceberg de la brosse de la fête à Benji comme on la nommerait plus tard.

Les détails ont été révélés lors de la séance d'explications du lendemain matin au petit déjeuner, détails dont je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'ils soient tous vrais.


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