Raphaëlle B.

Courrier reçu le 23 juin 2008

Chère Mary,

Je suis contente d'avoir de tes nouvelles. Je suis contente de savoir que tu es devenue sociologue comme tu le voulais. Tu ne donnes pas beaucoup de détails, mais je suppose que tu as bien orienté ta vie, avec le sourire as usual.

Moi, tu te souviens, j'habite en France, avec Jérôme et nos deux filles Rose et Ines. Elles sont grandes maintenant. Elles sont magnifiques et très épanouies.

Nous sommes désormais installés dans une grande maison dans le Luberon, cette magnifique région du sud de la France. J'ai monté un business spécialisé dans les séjours découverte du South French way of life. J'accueille des touristes américains et canadiens dans des hôtels de charme et je leur propose des circuits culturels patrimoine, nature et gastronomie. Ils adorent. J'ai déjà plusieurs employés et j'ai prévu d'acheter un merveilleux manoir dans un village au milieu des vignes. Dès que ce sera restauré et décoré, les clients seront profondément dans le terroir mais bénéficieront du standing de qualité. Je te joins un flyer, si tu veux en savoir plus. Tu peux aussi aller sur le site web, l'adresse est sur le flyer.

A propos de l'été 1998, que te dire ? Ca a été un été particulier dans ma vie, pour moi une fille des villes. Le travail était conséquent et pénible, mais je garde un très bon souvenir.

1998, c'était l'époque des premiers téléphones portables : pas d'appareil photo, encore moins de vidéo, pas d'accès web ni facebook, et super nul : une sonnerie minable. Mais on en avait tous à Toronto, c'était le buzz. J'avais dit à mes copines qu'on s'appellerait pour se tenir au courant des ragots, mais évidemment à cette époque, le portable ne passait pas au milieu de la forêt. Même à Rivière-Blanche c'était difficile. Le seul endroit possible se situait derrière le poste des rangers, juste devant le petit mur ! Well, je n'ai jamais connu les ragots de l'été 1998 !

En 1998, Céline Dion n'était pas une star mondiale et Lady Gaga devait être au jardin d'enfants. J'étais fan de Madonna et de Maria Carey. J'avais une collection de CD à la maison et je ne manquais aucun de leur nouveau concert. Eva Longoria et desperates houses wives n'avaient pas encore cartonné, moi je regardais 90210 et je me serais bien tapée Brandon sous les palmiers de sa villa de Beverly Hills.

1998, j'étais dans ma période fashion vintage, couleurs et paillettes. Je passais mon temps à rechercher le top idéal pour la prochaine soirée ou le pantalon moulant qui irait avec le petit pull que je venais d'acheter. Et j'avais du goût. Je me souviens avoir hésité pour choisir un pantalon de travail en forêt ; finalement, j'en avais acheté quatre dont un pantalon de l'US army et ça n'était pas encore à la mode à cette époque. Oui, j'avais bien fait. Le style avant-gardiste m'a toujours été à merveille.

1998, j'étais jeune, belle et libre. Je naviguais dans la vie sans entrave, sans état d'âme et sans tabous. Je peux dire que je bousculais la vie. J'étais super sexy dans mon pantalon de l'US army et je pense que j'ai dû contribuer à lancer cette mode. Les hommes de Rivière-Blanche se tournaient sur mon chemin et j'ai dû rendre beaucoup de femmes jalouses dans ce village. Et dans notre forêt aussi. C'est vrai que les garçons étaient assez attirants et qu'ils se laissaient facilement attirer. Mais c'est de l'histoire ancienne, j'avais 21 ans, j'étais jeune, insouciante, et belle et j'avais le monde et les hommes à mes pieds. A cette époque, il n'y avait pas de crise, ni de terrorisme.

1998, j'étais au milieu de la forêt pour un été. J'étais venue pour perfectionner mon français et j'avais choisi la forêt en hommage à mon grand-père. J'ai découvert le travail manuel et même si j'étais douée, j'ai confirmé que ce genre de tâches n'est pas pour des personnes comme moi, contrairement au reste de mon équipe qui semblait aimer travailler avec outils. Well, c'est vrai qu'ils appréciaient de vivre dans des conditions rudes et ils adoraient réellement regarder le feu de camp tous les soirs. C'était comme s'immerger dans la vie d'une bande de sauvages ! Nous ne sommes allés en soirée qu'une seule fois, c'était la dernière nuit, et je peux à peine écrire dessus, parce que cette fête de village était réellement mauvaise : absolument rien à voir avec les nightclubs de Toronto, à propos de musique, d'ambiance ou de style. Vraiment ces gens, quel manque de gout !

Mon équipe aussi manquait de style. Spécialement les filles, c'était pitoyable. La petite chinoise de Vancouver, elle faisait des efforts, mais Laura Ingalls, c'était juste impossible à regarder ! C'était comme une offense au french style. Sans parler de l'italienne, une jupe longue avec des chaussures de forestier : no comment ! Les garçons étaient un peu mieux, pas réellement sur le style mais sur l'allure. C'est vrai qu'un homme après quelques jours de régime Rambo devient plus sexy, surtout avec la barbe et les muscles. Je pouvais sentir leur musculature évoluer quand ils m'enlaçaient. Je peux même écrire que j'aurai pu les comparer !

A propos de muscles, c'est là-bas que j'ai expérimenté que les salles de sport ne sont pas indispensables pour conserver la ligne, un joli teint et rester bien gainée ! C'est vrai, le canoë ce n'est pas le rameur, et ça n'a pas du tout le même effet sur les muscles des fesses, mais c'était assez bien pour muscler les bras et les abdominaux, même sans le rythme de Britney ou Madonna.

Je t'avoue à ma grande surprise que je n'ai pas détesté cette ambiance, et j'ai même préféré le bruit des oiseaux et du vent dans les arbres que les klaxons de downtown Toronto. Mais c'est aussi vrai que j'étais contente d'aller de temps en temps dans le petit mall de Rivière-Blanche, même si le nombre de boutiques était très limité. Pour te dire la vérité, j'aurai aimé un travail plus facile et un vrai disco à côté, mais je dois avouer que ça a été une expérience profitable. L'autre point important, c'est que j'ai perfectionné mon français. J'avais déjà un bon niveau, mais après ce séjour francophone où j'ai joué Jane et Tarzan au pays des bucherons, j'étais complètement bilingue. Considérable investissement, au regard du très faible salaire et des vacances plage – Thalasso que j'ai dû annuler. Sans parler les défis quasi-insurmontables relevés brillamment :

- être capable de remettre les mêmes vêtements froissés plusieurs jours à la suite

- prendre des douches froides

- se laver les cheveux à l'eau froide, certains jours dans une rivière

- faire mes besoins dans la forêt, au milieu d'ours potentiels

- faire à manger à tous les repas sans pouvoir commander au sushi shop ou à l'indien corner

- faire la vaisselle tous les jours

- faire le ménage sans aspirateur

- laver le linge à la main

- dormir dans un dortoir avec de la poussière

- dormir dans un dortoir avec d'autres personnes

- dormir en écoutant ronfler

- dormir sur un petit matelas dans une tente

- ne pas s'ennuyer dans la nature

- utiliser des outils et travailler avec mes mains

- ne pas regarder la TV

- ne pas faire les boutiques

- prendre un tas de bois à la main sans penser aux araignées qui se cachent dedans

- ne pas sortir dans les nightclubs

- participer à des soirées boy-scout

La seule chose que je n'ai pas réussie, c'est d'arrêter de fumer, mais cela ne faisait pas partie de mes objectifs. C'est vrai que je ne ferai plus jamais ce genre de travail, mais je suis très fière de l'avoir fait. J'ai gagné encore un peu plus de puissance de travail.

Mes relations avec les autres stagiaires ont toujours été excellentes, excepté avec la française qu'on surnommait Laura Ingalls. Elle m'avait détesté dès le début sans aucune raison rationnelle, à part la jalousie. Mais je ne la blâme pas, poor girl, les gens comme elles ne peuvent évoluer que dans la limite de leurs faibles capacités.

Pour le reste de mon équipe, j'ai toujours eu des relations amicales et nous avons partagé de bons moments. C'est vrai que je suis très sociable et j'ai tendance à fédérer une équipe. Jérôme dit que je suis charismatique, je vais commencer à le croire ! Tu te souviens que j'étais devenue leur leader et que tous souhaitaient connaitre mon avis ?

By the way, j'ai rencontré Pierre plusieurs fois depuis que je suis installée en France. Il est toujours très content de me rencontrer. Il est fiancé à une business woman qui gère une entreprise d'export de delicatessen typique du sud-ouest de la France. Elle est une chef d'entreprise dynamique. J'ai eu l'opportunité de travailler avec elle pour des prestations connexes et je dois avouer qu'elle est assez talentueuse. C'est dommage que Pierre n'est pas resté avec toi, vous étiez un joli couple, mais je comprends son réalisme : l'avenir avec une femme d'affaires est plus attirant qu'avec une chercheuse.

Anyway, je pense que ce courrier répond à ton attente.

Si tu viens en France, j'adorerai te faire visiter la France et ses magnifiques boutiques. Tu peux voir mes propositions d'hébergement dans des majestueuses maisons de maître sur mon site web. N'hésite pas à réserver je te ferai une réduction. N'hésite pas aussi à en parler autour de toi.

Sincèrement,

Raphaëlle