1 (c). Frédérique
La cabane, elle était en piteux état. Des lattes du plancher avaient été arrachées, la toiture laissait apparaître le ciel par endroit et donc forcement la pluie (ce qui n'arrangeait pas le plancher), et pour couronner ce décor, une vitre était cassée. A part ça, elle était bien équipée : au fond, des lits de bat-flanc pour une quinzaine de personnes et quelques rayonnages pour le rangement, et à l'entrée un espace cuisine meublé d'une table et quelques chaises, d'un frigo à gaz pas trop rouillé pour l'âge vénérable qu'il devait avoir, une gazinière antique, un lavabo de cuisine (avec le double évier !), une armoire avec de la vaisselle pas trop ébréchée, un groupe électrogène, une radio pour communiquer (avec une réserve de piles, miracle) et une cheminée. Par-ci par-là traînaient encore des vieilles bougies dans des bouteilles de vin, de la nourriture (sel, poivre, un fond de riz, quelques patates germées, de la soupe lyophilisée) et quelques vieux bouquins tout cornés et presque moisis : des auteurs que je ne connaissais pas, un Mary Higgins Clark en anglais, un SAS et le tome 1 des Misérables.
Un homme taillé comme un grizzli, avec une chemise à carreaux rouge et les cheveux en bataille, vint me sortir de mon inspection. (Ah bon, je n'étais donc pas seule ? Mince, mince, j'étais à poil il y a moins d'un quart d'heure !). Il s'appelait Mike, était ranger pour le parc et venait d'arriver avec un 4x4 rempli de matériel et quelques kayaks sur sa remorque. Il était ravi de me rencontrer et accessoirement avait besoin d'un coup de main pour sortir les planches de bois. Les autres allaient arriver en milieu d'après midi.
Mike était un solitaire. Je le vis tout de suite à ses phrases très courtes. Oui, non, pas beaucoup plus. Il ne chercha pas à savoir d'où je venais, si j'avais fait bon voyage ou si j'étais fatiguée. Il ne parut pas non plus étonné de me voir encore trempée et légèrement accoutrée.
- T'es-tu rendue par le ch'min de Tamuning ? m'a t-il enfin demandé en m'inspectant du regard.
- Oui, et d'ailleurs...
- C'est correk, a-t-il coupé. Pis viens-y don, c'est rendu qu'y â l'canoës à sortir lâ.
Eh bien, ma retraite solitaire n'était pas encore terminée, même en compagnie de cet ours canadien.
J'ai donc aidé Mike à sortir tout le matériel du pick-up et à le ranger dans la remise qui était bien fournie en outils, puis à descendre les canoës et les amarrer au ponton. Au bout d'un moment, voyant qu'apparemment les bûcherons canadiens étaient capables de jeûner, je me suis permis de lui évoquer l'éventualité d'un repas.
- Y'a chips dans l'châr, pis du poulet si t'as faim asteure.
- ... ?
Je n'avais pas tout compris à son histoire de poulet, alors j'ai sorti mon reste de pâtes et je me suis mise aux fourneaux.
Ou plutôt, je me suis mise à récurer le fourneau avec du produit assez décapant et l'éponge que j'avais emmenée pour mon périple. J'ai aussi nettoyé une gamelle et de la vaisselle : tout était prêt. Tout, sauf le gaz.
- Non, pas d'gaz lâ. Bob y amène talleur.
- ... ?
En répétant la phrase dans ma tête, je compris : « Non, il n'y avait pas de bouteille de gaz, Bob l'amènerait tout à l'heure ».
Décidément, quand ça veut pas, ça veut pas !
Comme j'avais vraiment faim, plutôt que de sortir mon réchaud et d'attendre patiemment que l'eau bouille, je suis allée voir dans le pick-up (ben oui, en y réfléchissant bien, l'châr, ce devait être le char. Et comme il n'y avait pas de char tiré par des bœufs, mais un 4x4, je me suis rappelée qu'en anglais, une voiture, c'était car. Car, char, châr = voiture et en l'occurrence 4x4. Et trois p'tits chapeaux de paillasomnambuletintamara-boutd'ficelle !).
Bingo, j'y ai trouvé des chips allégées goût vinaigre, de la viande séchée sous cellophane sans sucres ajoutés ni acide gras trans, du pain de mie sans cholestérol, du ketchup et du coca-cola sans sucre. Allez, tant qu'à être au Canada, autant manger canadien.
Et j'ai regretté mes pâtes dès que j'ai ouvert le paquet de viande séchée ... Comment peut-on décemment avaler un truc qui pue autant ?
Après avoir enfilé un short propre retrouvé au fin fond de mon (trop gros) sac (il faudra que je fasse une lessive d'ailleurs, programme hyper sale à 90°), je suis retournée vers Mike pour partager avec lui ses denrées locales. Et surtout pour qu'il finisse ce sachet de viande puante séchée, ce qu'il fit en un éclair (ce type doit avoir un estomac galvanisé).
Le repas avec mon nouvel ours de compagnie ne fut pas des plus conviviaux, même si je réussis à lui tirer quelques vers du nez.
A peine avions-nous fini de grignoter, qu'il repartit travailler. Et plutôt que de le regarder faire, je pris l'excuse du décalage horaire pour me faire une petite sieste à l'ombre des sapins, comme à la maison (l'olivier en moins).
Un doux zéphir me tira doucement de mon sommeil. J'avais vraiment bien dormi sur ce matelas de mousse. Le ciel était d'un beau bleu et la brise légère rendait (ô joie) l'après-midi plus vivable que la matinée. Une bonne odeur de résine de pin s'élevait de la terre. Un sentiment de bonheur intense et de calme m'envahit à la vue de ce lac splendide.
Le lac.
Un joli plan d'eau calme en forme de haricot, assez étroit mais sûrement assez long, où trônait, comme dans un tableau de maître, une petite île boisée à portée de brasse. Et partout, tout autour, la forêt, l'immense forêt canadienne, cet écrin vert foncé peuplé de sapins maigrichons et biscornus et matelassée de mousse et de lichens verts ou blancs. Je m'étais toujours imaginé le Canada comme ça et c'était là, sous mes yeux. Voilà, j'étais bel et bien arrivée. Et j'étais enfin reposée.
Manquait plus qu'une bonne douche pour que mon bonheur soit parfait.
Me tirant de ma douce rêverie, j'entendis soudain une conversation. Je m'approchai. C'était Mike, il était à la radio.
- C'est-tu au boutte vous zaôtres ?
- C'est correk lâ !
- Nous zaôtres, on sacre le camp lâ, pis yé rendu à tantôt. Juste le temps de dégreyer toutte le châr.
- OK, c'est correk lâ !
- Bonjour !
- Bonjour, bonne route ! dit-il en raccrochant sa radio.
Il se tourna vers moi et me précisa :
- C'est les zaôtres. Sont rendus à tantôt lâ.
Il avait bien fait de me traduire : je n'étais pas encore habituée à l'accent et aux petites expressions québécoises (même si le trajet en bus m'avait servi de stage d'initiation). Mais j'avais retenu qu'ils ne tarderaient plus ; ma période de réflexion solitaire était définitivement terminée. Quant aux Zaôtres comme les appelait Mike, je ne les connaissais pas. Je savais juste qu'ils avaient autour de vingt ou vingt-cinq ans comme moi et qu'ils étaient assez motivés (fous ?) pour s'être inscrits au chantier intitulé « Aménagement d'accueil dans le parc provincial des Beaux Lacs, Québec (Canada) ».
Il faudrait que je leur demande s'ils avaient été sensibles à la phrase de présentation (que je connaissais désormais par cœur tellement mon frère m'avait charrié avec ça) :« Vous contribuerez à mettre en valeur ce site exceptionnel qui jouit d'une forêt particulièrement bien préservée à seulement 150 miles au nord de Montréal. » En tout cas, je ne sais pas ce que l'avenir nous réserverait, aux Zaôtres et à moi-même, mais au moins, j'avais contribué à (re)mettre en valeur la gazinière de la cabane, ce qui, à 150 miles de Montréal et en plein milieu d'une forêt particulièrement bien préservée (et avec un tapis de mousse nickel pour la sieste), était déjà assez exceptionnel !
Quant aux Zaôtres donc, je n'en savais pas plus que ça. Combien étaient-ils ? Sûrement pas plus de quinze, ou alors ils allaient devoir amener des tentes et de la vaisselle en rab'. D'où venaient-ils ? Là non plus, je n'en avais pas la moindre idée.
Mais dans l'immédiat, un pipi et une douche.
- Y'a-tu une sôle de bain quekpart lâ ? demandai-je.
- ???
Bon, de toute évidence, mon accent québécois n'était pas parfait.
- Une douche, quoi. Et des WC. Water, chiottes, cabinets, p'tits coins.
- Ah, les bécosses ? Ben t'es assez badlucké passke c'est rendu qu'la tempête lâ, y'a tout capoté, pi ça fait qu'y faut toutte refâre asteure.
- ???
C'est quoi cette histoire ?
Pas de chiottes ni de douche dans cette cabane ?
Mais comment je vais faire ? Encore toute seule, j'aurais pu gérer entre le lac et les buissons, mais avec les Zaôtres ? Genre « houhou, je vais prendre mon bain à poil dans le lac, siouplé, regardez pas ! » Non mais c'est Woodstock ici ou quoi ?
Bon de toute façon, l'ours était déjà reparti bricoler un truc dans la remise. Y'avait plus qu'à partir pour Woodstock.
Avant que les Zaôtres débarquent.
A tantôt qu'il avait dit. C'est combien de temps ça : « tantôt » ?
*************
Si tu as aimé la cabane, le lac ou l'accent québécois, pi fait qu'y est rendu qui faut voter, lâ !
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