13 : La dernière solution

Dix mois plus tard exactement, Stan a reçu un message étrange qui lui demandait d'être sur le toit de son immeuble vers dix-huit heures. C'était la première fois depuis la disparition de Karl qu'une telle demande se faisait mais le plus étrange là-dedans était définitivement le fait que ça avait été signé par trois lettres : Tim.
Stan s'en est tout de suite méfié et essayait de comprendre de quelle manière cet abruti avait eu son numéro.

Ils avaient maintenant fini l'un comme l'autre le lycée et c'était la première fois qu'ils se reparlaient depuis le mois de septembre dernier. Néanmoins, le grand blond est quelqu'un de curieux et voulait vraiment connaître la raison étrange de ce message inattendu.

A l'heure convenue, le jeune homme de maintenant vingt ans a pris place sur le toit et a dû attendre une petite dizaine de minutes pour que Timothy ne débarque. Les premières paroles de ce dernier ont été surprenantes :

- Comment tu as eu mon numéro et pourquoi tu veux me voir ?

Stan a été incapable de cacher son étonnement, voire sa colère. Deux solutions étaient possibles face à cela : soit l'ex-amant de son ex-meilleur ami lui jouait un mauvais tour, soit quelqu'un dont ils ne connaissaient pas l'identité les menait en bateau on ne sait où.

- Je peux me permettre de te poser la même question ?, a lancé Stan en un souffle et avec un sérieux impassible.

Ensuite, un long silence a vu le jour et a persisté durant une vingtaine de minutes. Ils n'avaient rien à se dire et le laissaient bien paraître.

- Bon, marre de ce foutage de gueule, s'est écrié Tim, je me barre !

Stan ne l'a évidemment pas retenu car tout ce qu'il voulait était se retrouver seul et retourner dans sa chambre, où il trouverait bien un passe-temps plus intéressant.

Cependant, il est resté un peu sur la chaise de jardin posée sur le toit du grand immeuble. Il avait oublié, depuis que le mois de juillet avait commencé, à quel point il était bon de prendre l'air, de ne pas rester enfermé toute la journée.

Quelques minutes plus tard, un grand bruit s'est fait entendre dans l'escalier de l'appartement. Quelqu'un se dirigeait rapidement vers le sommet du bâtiment et avait l'air, ou du moins on le devinait à la vitesse de ses pas, pressé.
Stan n'a pas bougé de son siège. Il s'est contenté de le tourner vers la vue, afin de paraître discret et pouvoir écouter ce qui allait se passer sous peu sans se faire dégager.

Il a calmement compté dans sa tête, jusque trente avant de remarquer qu'une respiration était vraiment proche, qu'il n'était plus seul. Il n'a pas réagi et ne s'est jamais retourné ; il voulait que, si on devait lui parler, on le fasse pour lui. Il en avait marre de toujours commencer les conversations.

- Stan, Stan, où es-tu ?

Ce dernier a reconnu la voix paniquée de Timothy, qui avait clamé qu'il rentrait chez lui un peu moins d'une dizaine de minutes plus tôt.

Le grand blond aux larges épaules a hésité avant de se montrer à celui qui semblait le chercher.

- Dieu merci, tu es encore là !, s'est exclamé Tim.

Ces paroles étaient ridicules mais il était facile de voir la panique dans ses yeux, de deviner que quelque chose ne tournait pas rond.

Rien ne s'est passé ensuite durant une longue demi-minute avant que de nouveaux pas se fassent entendre. Stan savait que ça serait la vieille voisine qui venait, comme toujours depuis des années, poser la fin de son repas sur le toit pour des quelconques animaux. Il n'y a donc pas fait attention et a continué à regarder le grand jeune homme dans les yeux, comme pour recevoir plus de détails.

- Bon, qu'est-ce qu'il se passe ? Tu as vu Jesus au beau milieu du rez-de-chaussée que tu es si agité tout d'un coup ?

Rien, Stan n'a reçu aucune réponse. Ce silence semblait cacher quelque chose et puis il a vu. Il a vu ce qui rendait le type aussi mouvementé.

- Karl, a doucement prononcé Stan en se levant de son siège avec lenteur.

Karl était là, enfin. Il avait réapparu devant les yeux ébahis des deux garçons. Ces deux-là n'y croyaient pas, ils pensaient rêver.
Ça faisait près de onze ans mois qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle de ce dernier, qui n'a jamais pris le temps de leur envoyer un petit message pour leur faire parvenir le fait qu'il était encore vivant.

- Vous allez bien ?, les a tous les deux salués Karl.

Stan est alors devenu très pâle et était sur le point de défaillir, ou de s'énerver, il ne savait pas encore laquelle des deux réactions choisir.
Il s'est contenté de reprendre place sur la chaise de jardin et de la tourner à nouveau vers la ville.

Un silence a refait surface, même entre les vieux amants qui ne l'étaient maintenant plus.
L'ambiance était lourde et plutôt déplaisante : aucun d'eux trois ne voulait vivre cela mais pourtant, il le fallait pour entendre ce que Karl avait à dire pour se défendre.

- Je suis désolé, les gars, a fini par déclarer Karl.

Tim regardait le jeune garçon dans les yeux d'une manière insistante, comme pour lui faire comprendre qu'il aurait besoin de plus que pour le pardonner. C'était également le cas pour Stan mais ce dernier n'avait même pas le courage de poser le regard sur lui.

- Bordel, où tu..., a commencé Timothy.

- Je croyais que tu étais mort, espèce de connard !, a doucement prononcé Stan.

Dès lors, de chaudes larmes silencieuses se sont mises à couler le long de ses joues creuses. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps mais maintenant que ça se passait, il se sentait affreusement blessé. C'était comme si Karl était revenu de parmi les morts et essayait de lui faire croire qu'il était encore vivant.

- Surprise, je ne le suis pas !, a clamé le concerné en ouvrant ses bras d'une manière spectaculaire.

Il n'aurait pas dû dire cela et il le savait pertinemment. C'était de mauvais goût et vraiment pas correct dans ce genre de circonstances. Enfin, personne n'était mort ou en prison mais néanmoins, ça restait grave. Dans l'esprit de ses amis, Karl était mort et peut-être même enterré.

- Tu étais où ?, a demandé Stan, d'un sérieux rarement vu venant de sa part.

Le concerné a haussé les épaules, comme si il n'avait aucune réponse à cette question, comme s'il n'avait aucune putain d'idée de l'endroit où il se trouvait durant les onze derniers mois de son existence. C'était ridicule et du beau foutage de gueules.

- Bordel, Karl, joue pas au con !, a lancé Timothy, tout aussi énervé que son ennemi.

Karl s'est tu car il savait que le fait que les deux se retournent contre lui n'annonçait rien de bon. Il est grand et a beaucoup de force mais pas pour gérer deux personnes qui, en plus de cela, sont en rogne contre lui. Ils pourraient le tuer en moins de dix minutes à cause de toute la rage qu'ils avaient contre lui depuis près d'un an. Cette pensée pourrait paraître stupide mais il suffisait de questionner les garçons à ce sujet que pour savoir que ce n'était pas que de la paranoïa de la part de Karl.

- J'ai quitté l'Europe, a-t-il fini par révéler.

Silence radio. Personne n'a répondu à cela, comme s'ils en attendaient plus pour se permettre de donner leur avis sur la question.
Tim ne le quittait pas des yeux et si ces derniers étaient des revolvers, son ancien petit ami caché en serait mort.

- J'étais en Russie, a-t-il finalement raconté.

Stan et Timothy se sont échangés un regard surpris suite à cela, et ne pouvaient pas cacher leur étonnement quant au fait qu'il ait mentionné ce pays. Cela leur paraissait surréaliste et impensable.

- Que Dieu faisais-tu seul là-bas ?, a questionné Tim.

Les lèvres de son ancien petit ami secret se sont élargies en un grand et beau sourire. Ce dernier lui avait manqué mais Tim était bien trop énervé que pour l'avouer. Stan, par contre, avait envie de le tuer en le voyait sourire de cette manière débile. Il voulait faire comprendre à son ami que ce qu'il avait fait était stupide et qu'il devait être puni pour cela.

- Je suis allé chez mon oncle et mes cousins, a-t-il révélé. C'était la dixième fois que je les voyais mais ils ont été très accueillants.

- Charmant, a ironisé Stan suite à cela.

Il en avait rien à foutre de ce que son meilleur ami lui racontait et était enragé à l'idée qu'il ait eu du bon temps alors que tout le monde se faisait un sang d'encre pas possible.

- Et ta mère ?

- Ma mère ? Vraiment ?

Il ne s'est pas énervé mais n'a pas répondu avec autant de calme dont il avait l'habitude de faire preuve.
C'était au tour de Stan de hausser les épaules, un peu par provocation.

- Ma mère est ici, dans son appartement, tranquille, à rien foutre, a-t-il répondu.

Stan et Timothy se sont échangés un regard surmonté de grands yeux ébahis. Il n'avait pas l'air de s'être bien inquiété lors de son absence pour les quelques personnes qu'il avait laissées et qui l'aimaient.

- Ta mère est morte, Karl, a lancé Stan en s'approchant de lui. Elle est morte au mois de novembre, à cause de sa maladie et parce que tu n'étais pas là. C'est de ta faute si elle est morte parce que tu es putain d'égoïste.

Il avait fini par l'attraper par la manche et le secouait violemment, comme pour qu'il imprime dans sa petite tête ce qu'on était en train de lui dire. Karl ne bougeait pas : il se laissait faire et de grosses larmes coulaient le long de ses joues pâles.

- Tu comprends maintenant à quel point tu es un con d'avoir fait ça, a déclaré Stan en chuchotant presque.

Karl n'a rien dit et lorsque son meilleur ami l'a lâché, il a tenté de se tourner vers Tim, dans l'espoir d'en recevoir un peu d'affection. Il l'a regardé dans les yeux et s'en est doucement approché. Néanmoins, il a dû s'arrêter au milieu du chemin en voyant le type aux cheveux châtains se raidir.

- Je t'ai fait mal, dans le passé, je le sais, a commencé Timothy, et j'en suis sincèrement désolé. Mais toi, tu m'as brisé le coeur. Chaque soir, pendant un mois, j'ai prié pour que tu sois en vie et reviennes comme si de rien n'était. Puis j'ai abandonné car ça ne donnait rien, parce que ma mère en avait marre, parce que j'en avais marre d'être au plus bas à cause d'une personne qui s'en foutait littéralement.

- Tu t'en foutais littéralement, a repris Karl en criant.

Il s'est approché, cette fois, de son vieil amant et a commencé à lui donner des coups dans la poitrine. Ce qu'il venait de lui dire lui avait brisé le coeur aussi. Ainsi que toutes les fois où il avait caché leur relation, même à lui-même alors qu'il était amoureux.

Son visage était ravagé par la tristesse et ses yeux rouge sang, comme si on venait d'y planter une aiguille qui aurait détruit plusieurs vaisseaux sanguins. Stan le regardait fermement et faisait de son mieux pour ne pas pleurer de rage davantage.

- Est-ce que tu souffres, maintenant, tout de suite ? Est-ce que ton coeur est détruit ?, a questionné Stan.

Celui à qui la question était destinée a hoché de la tête à deux ou trois reprises sans pouvoir cesser de chialer comme un gamin. Il souffrait réellement et ne mentait pas du tout à ce sujet.

Suite à cela, Tim s'en est approché rapidement. Karl est resté immobile, croyant vraiment qu'il allait le prendre dans ses bras et le bercer jusqu'à ce que ses pleurs cessent. Bizarrement, il s'est contenté de l'attraper par le col et le pousser violemment contre le mur. Karl est tombé et ensuite s'est ramassé un coup de pied dans les côtes.

Il s'est laissé faire parce qu'il le méritait très certainement. Stan n'en pensait pas moins mais avait un peu d'humanité alors il a fait brigade entre eux, non pas pour protéger Karl mais pour éviter les problèmes. Aucun d'eux n'avait assez de fric que pour qu'il aille à l'hôpital.

- Stop, Tim, arrête maintenant !, a crié Stan avec autorité.

Timothy a donné un nouveau coup de pied avant d'arrêter toute violence. Il a regardé le blond aux cheveux longs durant quelques secondes et a murmuré :

- Tu m'as brisé le coeur parce que je t'aimais, parce que je t'aime.

Ensuite, il a fait demi-tour et a descendu les escaliers à grande vitesse, le visage en larmes et les poings serrés.

- Tim !, l'a retenu Karl d'un léger soupir. Je t'aime, Timothy.

Aucune réponse, évidemment. Ce qui signifie que Stan a eu droit à beaucoup plus de sanglots de la part de son meilleur ami, toujours couché sur le sol, contre le mur. Stan, à contrecoeur, l'a aidé à se relever et l'a emmené jusqu'à une chaise de jardin, pour l'y asseoir.

Il avait du sang sur la main et sur le visage ainsi que des hématomes. Son oeil gauche avait doublé de volume et il était clair qu'il ne pouvait plus bouger son épaule sans en ressentir une douleur aiguë.

- Reste là, je vais aller chercher de quoi te soigner, a dit Stan sans méchanceté mais sans gentillesse pour autant.

Il s'est dirigé vers les escaliers en fer mais s'est rapidement retourné, parce qu'il était persuadé d'avoir entendu un bruit derrière lui. Quand il a tourné les yeux, il a remarqué qu'il n'avait pas rêvé et que Karl marchait doucement vers le bord du toit.

- Qu'est-ce que tu branles, Karl ?, n'a pas bougé Stan.

- J'ai perdu mon meilleur ami, la personne dont je suis amoureux et ma mère, par-dessus le marché, a-t-il déclaré en continuant son chemin. Certes, c'est de ma faute mais je n'ai plus aucune raison de vivre.

Stan s'est décidé à avancer vers lui car il savait que son ami, suite à toutes ces raisons émises, était capable de sauter et se donner la mort. Il était très fâché contre lui et il faudrait un certain temps avant de ne plus l'être mais ce n'est pas pour autant qu'il souhaitait sa mort.

- Ne bouge pas, Karl !

- Toi, ne bouge pas. Tu m'as déjà fait assez de mal durant toute mon existence, tu ne vas tout de même pas continuer au moment où j'essaie d'y mettre fin.

Ces mots lui ont fait mal au coeur, qui s'est écrasé un petit peu suite à ces paroles.

Cependant, il n'a rien laissé paraître. Il a attrapé son ami par la manche et a tenté tant bien que mal de le ramener vers lui. Malheureusement, Karl semblait avoir fait des pompes et de la musculation durant son absence car il n'était plus aussi léger que ce qu'il ne l'était auparavant.

Stan l'a alors laissé aller vers le bord du toit à nouveau, car il savait que s'il le retenait, ça ne ferait qu'empirer les choses. Ça donnerait davantage envie à l'autre blond de sauter, et ce n'était nullement le but de l'opération.

Karl a fait quelques pas encore avant de s'arrêter net, assez près que pour se donner la mort. Il est resté immobile durant un instant, ensuite, il a tourné les talons et est revenu vers son meilleur ami. Il l'a longuement regardé dans les yeux et à un moment, a fini par ouvrir la bouche :

- Je ne vais pas me suicider, Stan. Je vais partir et garder ma destination pour moi-même. J'espère que tu ne me trouveras pas parce que je ne veux plus avoir de contact avec cette vie.

Stan a accepté cela d'un hochement de tête. Il ne voulait pas que le garçon parte mais voulait encore moins qu'il mette fin à ses jours alors c'était un bon compromis. Il savait qu'il finirait par le trouver un jour ou l'autre.
Mais avant de le laisser partir, il voulait faire quelque chose. Ça allait paraître étrange mais il s'est rapproché de Karl et l'a serré dans ses bras comme s'il partait à la guerre. Comme s'il ne le reverrait plus jamais de toute son existence. Dans le fond, il était possible que cela ne soit pas qu'une idée, chose atrocement horrible étant donné qu'ils avaient échangés près de sept ans d'amitié.

Karl lui a rendu son étreinte mais très vite s'est rendi pour lui faire comprendre que c'en était assez. Ils se sont donc séparés, échangés un regard entendu. Puis Karl s'est dirigé vers les escaliers.

Après ce jour, ils n'ont plus jamais entendu parler l'un de l'autre.

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