Chapitre 32
6. Définissez l'importance du menhir dans un écosystème local en une trentaine de lignes. Abordez les points positifs et négatifs de sa présence sur un site et argumentez en proposant des exemples clairs et précis.
Pff...
Sérieusement ? Je fis rouler mon crayon sur la table, réfléchissant à la réponse. C'était le dernier examen de la semaine, sans doute de ma vie, et mon cerveau semblait fondre dans mon crâne. Tout mon corps gémissait de douleur : j'avais dû cueillir de la myrmyre pour l'herbologie, une plante qui ne poussait qu'à côté des nids de fausseroles. Les traces de morsure qui couvraient ma peau témoignaient de mon acte héroïque de sacrifice pour préserver mon chargement précieux.
Devant moi, Gaby avait le nez sur sa feuille et notait frénétiquement. Aller, courage, c'était la dernière question avant la délivrance !
J'inscrivis tout un petit discours sur l'appel à la protection des menhirs et leur importance pour les cultes magiques comme nœuds d'ancienne magie, des endroits privilégiés pour la plupart des sidhes terrestres celtiques.
— Loar, tout va bien ?
Kadaron se penchait sur la table de miss Effraie, l'air inquiet. Je cessai d'écrire. Un sixième sens me soufflait que quelque chose n'allait pas.
— Je... Oui, ce n'est rien...
Non, ce n'était pas rien. Loar était d'une pâleur fantomatique. La main qu'elle plaquait sur son visage laissait malgré tout couler des gouttes de sang de son nez. Le professeur la prit par le bras, l'aida à se lever pour la sortir de la pièce. Elle s'écroula avant d'avoir fait trois pas, s'effondrant sur le plancher comme une poupée de chiffon.
Mon stylo tombe à terre. Je me précipitai vers elle.
— Reculez ! ordonna Kadaron. Laissez là respirer.
Il posa la main sur sa poitrine. L'ancienne magie se diffusa lentement de ses doigts au torse de Loar. Elle reprenait déjà des couleurs. Kadaron fronça les sourcils, puis tourna son visage dans ma direction.
— Morgat, tu viens avec moi. Les autres, l'examen est terminé. Je vous ferais signe lorsque Loar sera réveillée. En attendant, dans vos chambres. Elle va avoir besoin de repos. Et ces paroles valent aussi pour toi, Louarn !
Le métamorphe se retrouvait figé sur place, une véritable statue de terreur. Son expression d'épouvante fit naitre des crampes d'angoisse dans mon estomac. Loar qui s'effondrait ? Ce n'était pas une coïncidence. Gaby lui attrapa immédiatement la main pour le rassurer.
Nous n'appelâmes pas Mel. Elle était partie pour rassembler les Ainats en compagnie du directeur. Son absence pesa aussitôt sur mes épaules comme une enclume. C'était elle, la médecin de la famille.
— C'est à cause du sang de kraken, c'est ça ?
Ma question, un murmure, m'arracha la gorge. Kadaron ne répondit pas. Ce fut comme s'il acquiesçait.
Il attendit d'avoir déplacé Loar sur un lit d'infirmerie pour ouvrir la bouche. Au milieu des draps blancs, elle paraissait si frêle ! Son attitude fière avait disparu. Ses cheveux courts semblaient particulièrement hérissés.
— Le savais-tu ?
L'accusation me frappa comme une flèche, mais j'étais incapable de détacher mon regard de mon amie. Quelques larmes roulèrent sur mes joues, brulèrent ma peau.
— Je ne savais pas qui... Ma mère m'a menacé de la rejoindre. Si j'obéissais, elle me fournirait l'antidote. Je... j'aurais dû accepter.
La main de mon professeur se posa dans mon dos.
— Morgat... Tu aurais dû nous en parler.
En parler ? Et qu'auraient-ils pu y faire ? Qui sait si ma mère ne se serait pas vengée en faisant empoisonner un autre de mes amis ?
— Elle va mourir...
— Oui.
Son ton était peut-être calme, je sentis tout son chagrin et sa souffrance dans ses mots. La vérité inéluctable. J'avais condamné Loar. Je n'étais peut-être pas l'objet de la prophétie, comme l'assurait le directeur, il n'en restait pas moins que j'avais détruit la vie de mes proches. Si nous avions agi comme avant, si nous avions laissé l'amitié et que nous nous étions contentés de cette froide indifférence qui nous liait, les choses auraient-elles été différentes ? Ou ma mère aurait-elle visé Mel ou un autre de mes professeurs ?
— Il n'y a pas de remède ...?
Je me raccrochai à ce mince espoir, ce petit fil stupide.
— Pas à ma connaissance. Le sang de kraken est infaillible. Je ne suis même pas certain que Dahut en possède un.
Je saisis la main de Loar. La voir aussi inerte m'emplissait d'une détresse que je ne m'expliquais pas moi-même.
— Loar, je suis vraiment désolée. Tout ça, c'est de ma faute.
— Tu peux t'en aller, Morgat. Laisse là se reposer et se réveiller tranquillement. Elle ira mieux dans peu de temps.
Oui. Sa santé s'améliorerait, toutefois les incidents ne cesseraient de se multiplier. À la fin, elle ne pourrait même plus quitter son lit. Je la lâchai douloureusement, fuis vers la porte.
Louarn se tenait de l'autre côté. Ses yeux agrandis d'horreurs m'apprirent qu'il n'avait rien manqué de la conversation entre Kadaron et moi.
— Comment ça, elle va mourir ?
— Louarn...
Sa bouche se tordit en un rictus débordant de rage. Il attrapa mon col avec fureur, sans retenir les larmes qui coulaient sur ses joues.
— Qu'est-ce que tu as fait à ma sœur ?
— Louarn, ça suffit !
La voix de Kadaron le fit tressaillir. Il me lâcha avec tellement de dégout que j'eus l'impression de recevoir une gifle en pleine figure.
— Je te déteste.
Je me dégageai, m'enfuis. Trop, c'était beaucoup trop. Je sortis précipitamment du manoir, bousculant Bisclavret au passage, et me ruai jusqu'au bord de l'île.
Puis je hurlai. Je hurlai à cause de ma mère, à cause de moi, à cause de cette satanée vie qui ne me laissait pas un instant de répit. Le vent emporta mon tourment et m'abandonna. J'étais vidée de mes forces et de mes larmes.
Loar allait mourir. Louarn ne me le pardonnerait jamais. Sivi et Aval ne l'accepteraient pas non plus. Elle avait gagné. Elle m'avait arraché tout ce qui me rendait heureuse, et je n'avais pas pu l'en empêcher. Tout ça pour s'approprier mon prétendu pouvoir ?
Une héroïne se serait battue envers et contre tout face à elle. Une héroïne aurait utilisé ses amis pour vaincre la méchante et en finir.
Je n'étais pas une héroïne. Moi, j'étais mauvaise. J'avais tenté de tuer des gens, j'avais ruiné des existences, et tout le monde m'avait toujours traité comme le monstre que j'étais devenue. À vouloir me transformer en un être qui marcherait dans ses pas, ma génitrice venait de signer son arrêt de mort. Parce qu'il était absolument hors de question que je me joigne à elle, mais j'aurais son remède, d'une façon ou d'une autre.
Le plan germa dans mon esprit, s'y épanouit.
Il était temps que ma mère sorte du tableau. Il n'y avait pas assez de place dans cet océan pour nous deux. Et dès qu'elle disparaitrait, plus rien ne m'empêcherait d'atteindre mon but. Si je devais laisser une trainée de cadavre derrière moi, eh bien tant pis. Je leur rendrai à tous la monnaie de leur pièce.
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