Chapitre 31
L'immense cheval noir surgit depuis les arbres. Les flammes jaillirent de ses naseaux, ses yeux rouges me fixaient avec une haine visible. Il se précipita vers moi. Ses sabots tonnaient contre le sol.
Mes lèvres s'ouvrirent, un son s'en échappa et une barrière s'éleva entre nous. Le canasson s'arrêta avant de s'écraser dessus, rua de fureur. Loupiote tirait sur mes mèches de cheveux avec impatience, mal à l'aise. Je l'ignorai, les yeux rivés sur l'étalon déchaîné. Aval dégaina son épée. Son armure magique le recouvrit dans un chuintement apaisant et il se mit en garde. Morvarc'h le regarda, hennit et fit demi-tour. Il retourna au milieu des arbres, attendant son heure. Je brûlais de le poursuivre, mais pas maintenant, pas dans cette tenue, et pas sans renforts.
— Qui c'était ? s'ébroua Aval.
Je repoussai les mèches de cheveux que la pluie avait collées à mon visage. Je tentais toujours de déterminer par où il était parti. Que voulait-il ? Et pourquoi se montrer s'il n'essayait pas de m'anéantir ?
— C'est Morvarc'h, une créature de la nuit et des ténèbres. Tu n'as jamais entendu parler de lui ?
Il plissa le nez.
— Mel nous l'a présenté, non ?
— Oui. Il faut vraiment que tu écoutes davantage en cours, soupirai-je. Morvarc'h déteste les peuples de la mer. Il a une aversion prononcée pour les selkies et les Marie-Morganes. Il les estime responsables de la mort de sa maitresse Malgven.
Il semblait chercher dans sa mémoire. Je levai les yeux au ciel. Bonjour l'assiduité. Pourtant, il s'agissait d'une des histoires les plus importantes de notre région.
— Malgven détestait les humains. Elle avait fait bâtir sur une île un palais splendide. Mais c'était aussi la créature la plus vaniteuse de son temps. Elle avait chargé ses soldats d'éliminer les trois Hautes fées protectrices de Bretagne.
— Maewenn, Morgane et Margot. Et elles ont riposté.
— Maewenn est théoriquement la seigneuresse des fonds marins. En partie naïade, elle régnait sur nous avec son époux, un selkie. Lorsqu'elle fut attaquée, les sidhes aquatiques répliquèrent. La cité de Malgven fut engloutie, avec sa maitresse. Depuis, Morvar'ch est devenu un tueur de sirènes, de selkies et de tout ce qui est un peu trop à l'aise avec l'océan. Il utilise ses pouvoirs de l'esprit pour embrouiller ses victimes.
Ce qui expliquait peut-être les cauchemars à répétition dans ma chambre, et pourquoi nous étions les seuls du château à être atteints par le phénomène... Morvarc'h voulait visiblement ma peau. Mais pourquoi moi ? Et pourquoi maintenant ?
Aval s'assombrit.
— D'accord. Il est donc hors de question que tu mettes un pied dehors sans quelqu'un pour t'accompagner.
— Pardon ?
Il rangea Calibourne. Son armure disparut en même temps.
— Les gens ont un peu trop tendance à souhaiter ta mort. Donc interdiction de faire une sortie ou quoi que ce soit de ce genre jusqu'à nouvel ordre. Maintenant rentrons, on va chopper la crève.
J'étais trop épuisée et trop mouillée pour protester. Pour le moment tout du moins. Nous nous changeâmes et allâmes nous recoucher.
Le lendemain, nous allâmes signaler la présence du cheval maudit à l'Ankou et à Mel, accompagnés par Sivi et les jumeaux. Notre sous-directrice croisa les bras devant notre récit. Son visage s'assombrit. Elle se tourna vers le directeur.
— Monsieur ? Je suppose qu'il est temps. Les jeunes sont maintenant assez grands, et si même Morvarc'h s'enhardit sur nos terres, nous n'avons plus le choix.
Elle le toisait de ses presque deux mètres cinquante de haut. Nous étions samedi. Ses jambes étaient remplacées par une longue queue serpentine qui terrifiait autrefois les hommes.
Personnellement, j'adorais voyager dessus, petite, et personne ne pouvait critiquer tant qu'il n'avait pas essayé de grimper sur le dos d'un serpent géant capable de se déplacer à plusieurs dizaines de kilomètres à l'heure. Grisant. Surtout quand elle le faisait sur l'eau.
L'Ankou se rassit au fond de son fauteuil. Il ôta lentement son chapeau, chagriné.
— En effet. Et j'aurais bien voulu l'éviter. Mes chers enfants, il est temps pour moi de vous exprimer mes plus sincères excuses.
— Excuses ? releva Louarn.
L'Ankou inspira profondément. Il nous regarda tous, un par un.
– Morvarc'h a osé venir sur nos terres car un sceau retenant Ys s'est brisé. Cela n'aurait pas dû se produire.
Ys. Royaume de la reine Dahut, dont ma mère portait le même nom, la fille de Malgven. La ville avait été scellée et engloutie avec sa maitresse pour l'empêcher de nuire, elle qui rêvait de venger sa génitrice et de construire un royaume destiné aux seules créatures proches de l'ancienne magie.
— Ce n'est pas l'unique sceau qui s'est brisé, cracha Mel. Partout dans le monde, plusieurs liens magiques se sont affaiblis. L'usure ne l'explique pas. Nous savons donc qu'au moins un membre du Conseil est derrière cela.
— La guerre civile a fragilisé nos institutions. Le Conseil est moins puissant et bien plus en proie aux batailles intestines. Le nombre de parties ne cesse d'augmenter et plus d'un membre a été assassiné ces deux dernières années pour avoir tenté de réparer ces torts.
Sivi blêmit.
— Ma sœur...
— Est sans doute la victime d'un coup monté, une alliance entre un membre du Conseil et les Renégats, acquiesça l'Ankou. La création de cette école même relève de ces multiples conflits stupides. Plutôt que de vous apprendre à gérer vos pouvoirs, le Conseil a préféré vous séparer du reste du monde. Cela ne s'est jamais vu auparavant. Mélusine et moi avons longuement réfléchi. Votre sécurité est aujourd'hui notre priorité, mais les événements ne nous permettent plus de vous protéger décemment. Le temps du Conseil arrive à son terme.
J'ouvris la bouche, estomaquée. Les autres réagissaient comme moi.
— Si le Conseil ne remplit plus ses fonctions, nous devons le remplacer, nous indiqua gentiment Mélusine.
— J'essaie de convaincre les Ainats de se joindre à nous. Cerridwen vient d'accepter de sortir de sa torpeur pour nous aider. Elle n'est pas la seule. Bien sûr, ce changement ne se fera pas sans heurts et le Conseil risque d'entraver notre décision. Mais pour la sécurité de tous, il est temps que les Ainat retrouvent leur place d'autrefois à la place du Conseil. Nous sommes prêts à nous battre si nécessaire. L'idée de déclencher un nouveau conflit en cas de protestation ne nous plait guère, mais la situation l'exige.
— Renverser le Conseil ? Parfait. Qu'est-ce qu'on doit faire ? demanda Sivi, déjà enflammée.
— Vous ? Réviser.
— Pardon ?
Mel sourit.
— Vous êtes encore des enfants. Vous ne convaincrez aucun Immortel et vous mettriez vos vies en danger. Ce combat n'est pas le vôtre. Alors, pendant que nous œuvrons, vous travaillerez comme d'habitude.
— Tu plaisantes ? s'ébahit Louarn. Comment tu veux qu'on se concentre sur nos études face à... ça ?
— C'est très simple : les examens commencent lundi, et le premier qui les rate recevra la punition de l'année.
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