Chapitre 30

Les jours suivants se passèrent dans une atmosphère étrange. Nous révisions pour nos examens sans trop d'enthousiasme. Si nos deux nouveaux camarades de classe semblaient se faire un devoir de réussir dans toutes les matières, le reste des élèves savait pertinemment que cet examen serait notre dernier. Nous nous préparions en silence à la fin de notre vie et à l'exécution de notre plan.

Mon cœur se serrait à mesure que les jours passaient, autant parce que je connaissais le sort réservé à un de mes amis qu'à l'idée de quitter cette île définitivement. Je consacrais mon temps à feuilleter des livres poussiéreux pour obtenir des informations sur ce maudit remède, en vain !

Comme prévu, les aberrations sur mes bras disparurent au bout de quelques jours à peine. Mes cauchemars, eux, perduraient. Je n'étais pas la seule à avoir le sommeil troublé, et nos cernes ne cessaient de s'accentuer. Étrangement, le phénomène semblait s'arrêter à ma chambre, puisque les autres habitants du château dormaient sur leurs deux oreilles.

La nuit suivante, je fus encore éveillée en sursaut. Lassée de mes mauvais songes, je m'approchai de la vitre, accompagnée de mon feu follet apprivoisé. Le vent rugissait, la tempête frappait les fenêtres et les gouttes d'eau s'écrasaient lourdement sur les carreaux. Je crus entendre le hennissement d'un cheval dans le lointain. Je n'y prêtai pas attention. Parfois, les orages pouvaient être trompeurs, et avec le nombre croissant de créatures liées à la manipulation d'esprits dans le voisinage, mes sens devaient sans cesse être remis en question.

Mon regard parcourut la chambre. Malgré la pénombre, je vis parfaitement Sivi, enroulée dans sa couverture, à peine visible, et les jumeaux qui dormaient pêle-mêle. Seul Aval manquait à l'appel. Sans doute un énième mauvais songe. En comptant l'heure tardive et les circonstances de son réveil, il devait squatter la cuisine pour y boire un chocolat chaud. Un peu de compagnie m'aiderait à chasser les germes d'angoisse qui subsistaient dans mon esprit.

Le fracas de casseroles m'accueillit avant même que je ne mette un pied dans la cuisine. Je passai la tête par l'entrebâillement de la porte. Aval venait de faire choir plusieurs casseroles et la moitié de son chocolat chaud maison s'était renversé sur le plan de travail. Non sans le bruler et tacher son haut de pyjama au passage.

— Besoin d'aide?

Il sursauta, manqua de glisser sur une flaque au sol et me foudroya du regard. Puis, d'un geste hautain de la tête, refusa mon offre :

— Je suis capable de m'en sortir seul !

J'entrai totalement, mordant mes lèvres pour ne pas éclater de rire. En passant, je forçai mes yeux à rester focalisés sur le plan de travail.

Je pouvais presque revoir la flaque de sang de mon agresseur sur le sol. L'odeur écœurante, la sensation poisseuse sous mes doigts et la douleur me revinrent en mémoire. Je m'efforçai de les chasser, de les enfermer dans la petite boite qui contenait tous mes mauvais souvenirs, et d'essayer de la clore une fois de plus. La tension dans les épaules d'Aval signifiait peut-être la même chose. En tout cas, Calibourne était à sa taille, dans son fourreau. Loupiote se colla à mon cou en une parodie d'étreinte réconfortante.

Je m'assis. Il déposa une tasse pleine de chocolat chaud et recouvert d'un tas de chantilly devant moi. Le silence s'étira entre nous. J'étais trop épuisée pour maintenir une conversation polie. Il en était sans doute de même pour lui.

— J'ai l'impression d'être si seul...

Ma gorgée s'étrangla. Je baissai le nez, étouffant ma toux du mieux que je pouvais. La tête d'Aval vint reposer sur mon épaule.

— Merci d'être présente, Morgat.

Ce n'était qu'une heureuse coïncidence. Mon ventre se noua tout de même. Certaines nuits d'insomnies, moi aussi je détestais la solitude.

— Bien sûr que je suis là. On est une famille, pas vrai?

Son rire éclata dans la pièce. Je laissai ma tête reposer sur la sienne.

— La famille la plus barge de la région.

— Oh, je ne parierais pas dessus !

Ses épaules se détendirent petit à petit, accompagnées d'une douce somnolence.

— Aller, champion, finis-je par dire dans un bâillement. On va te trouver un nouveau pyjama avant de dormir.

Il contempla le sien avec dépit.

— Oui maman !

Nous rangeâmes un peu le bazar et remontâmes. J'amenai Aval jusqu'à sa chambre.

Contrairement à la mienne, la chambre d'Aval semblait destinée à un gamin. Deux grands posters Spider-Man encadraient son lit à baldaquin, son couvre-lit Cars pétillait et il avait collé des autocollants sur son bureau. Ma main caressa au passage la petite fleur que je lui avais peinte dans un coin à l'époque où il s'était installé ici. Elle était surtout là pour se moquer de lui, et je pensais qu'il l'aurait fait recouvrir lorsque la pièce avait été remise en état, mais il l'avait laissée telle quelle.

Il envoya son haut valser vers son panier de linge sale, avec plus ou moins de succès, puis fureta dans son armoire. Même s'il était un excellent épéiste et un Gardien, son physique ressemblait plus au type fil de fer que guerrier. Et avec ses cheveux souvent en pétard, il ne semblait pas destiné à être pris au sérieux. Quant aux cicatrices, lui aussi en arborait une collection impressionnante, qu'il dissimulait sous un sourire éblouissant.

— J'ai trouvé !

Il me présenta, victorieux, un tee-shirt troué en plusieurs endroits. Elle donnait sur l'autre côté du manoir, l'arrière du bâtiment.

Un hennissement et le bruit des sabots frappant le sol me parvinrent de nouveau. Je frémis, collai mon nez contre la vitre froide et scrutai l'obscurité. L'ombre d'un mouvement réveilla mes pires craintes.

— Morvarc'h !

— Pardon? T'as dit quoi? marmonna un Aval plus intéressé par la perspective de mettre son tee-shirt à l'endroit sans se tromper de trou que de m'écouter.

Je reculai d'un pas. Je n'aimais pas cette histoire, pas du tout. La kannerez m'avait promis un bal des ardents, elle ne m'avait jamais indiqué qu'il y serait convié ! Le directeur devait sans doute déjà être au courant de sa présence.

Je me saisis du tisonnier dans la cheminée et m'élançai vers la sortie.

— Morgat? m'appela Aval.

Je l'ignorai. Mon cœur battait furieusement dans ma poitrine, d'une inquiétude sourde. Je dévalai l'escalier et poussai les portes.

Le vent et les rafales de puits me frappèrent de plein fouet. Mes pieds s'enfoncèrent dans la terre meuble. Loupiote gémit, dissimulé dans mes cheveux.

— Morgat !

Le cri d'Aval s'envola dans les bourrasques. Sa main attrapa mon poignet.

— Qu'est-ce que tu as?

Quelques secondes avaient suffi pour coller le tissu à sa peau. Les gouttes ruisselaient sur ses joues.

— Cache-toi, soufflai-je.

Il nia d'un signe de tête. Quel crétin !

Le bruit de sabots m'annonça qu'il était trop tard pour le forcer à rentrer. J'inspirai.

— MORVARC'H ! Montre-toi !


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