Chapitre 28

Un mois.

Le délai était court. Trop court. Comment parviendrais-je à trouver un antidote en si peu de temps ? Je ne tomberais pas sur une selkie prête à me délivrer son secret à tous les coins de rue ! Et même si je dérobais une fiole à ma mère, j'ignorais toujours lequel de mes amis était touché.

Comment avait-elle réussi ? Elle ne pouvait pas avoir contaminé tout un plat, elle nous aurait tous empoisonnés, et au moins un de mes professeurs s'en serait aperçu. Le nez de Bisclavret était trop fin pour manquer un assaisonnement inhabituel dans son assiette. Ou bluffait-elle ?

Non. Je la connaissais assez pour savoir que ce genre de chantage lui ressemblait bien. La seule solution était d'apprendre à confectionner moi-même le remède et de leur faire ingurgiter à tous.

Le dire aux autres m'avait effleuré. Pourtant, en rentrant dans ma chambre, quand je les avais tous vus m'attendre, je n'en avais pas eu le courage. L'idée d'une épée de Damoclès au-dessus de la tête de l'un d'eux ne ferait que renforcer leur angoisse. Je devais les en préserver.

Et les sauver.

Feindre l'enthousiasme en déballant nos cadeaux fut particulièrement difficile. Aval semblait ravi de sa nouvelle écharpe, assez pour s'assoupir en la serrant dans ses bras comme un doudou. Tout le monde reçut une petite babiole magique qu'elle devait avoir faite elle-même. Je tombai amoureuse de mon mini phoque. Lorsque je tournai la manivelle, il s'animait et nageait dans l'air autour de moi.

Malgré toutes mes mauvaises émotions, je m'endormis. Mon épuisement eut raison du reste.

Je me réveillai en sentant une douce main caresser ma tête, repoussant une mèche sur mon front. Une odeur agréable me rassérénait. Je tentai d'ouvrir les yeux. La fatigue m'engourdissait, rendant mes paupières aussi lourdes que du plomb.

— Chut, rendors-toi, ma priñsez. Tout va bien.

La voix, chaleureuse, m'apaisa.

— Fais de beaux rêves.

Je voulus replonger dans les profondeurs du sommeil. Il me tendait les bras, prêt à chasser tous mes soucis.

Pourtant, quelque chose me turlupinait. Un sixième sens, qui me poussait à me questionner. Il y avait un air familier dans ces mots, et cela ne me rassura pas.

La main quitta mon front. Le pas lourd s'éloigna de moi. Son odeur également. Je la reconnus soudain. Sel et algues.

Mes yeux s'ouvrirent d'un coup et je me redressai.

— Papa ?

Un ronflement léger de Sivi me ramena à la réalité. Un rêve, ce n'était qu'un rêve. Je soupirai. La présence de ma mère m'avait visiblement plus perturbé que ce que j'imaginais.

Le plancher craqua dans le couloir. La découpe d'une silhouette se laissa entrevoir par l'entrebâillement du battant. Un fol et stupide espoir me traversa. Je me relevai prestement, quittai la pièce. Loupiote s'élança derrière moi dans un murmure.

Il n'y avait personne. Je m'avançai, à moitié convaincue de ma bêtise. Mon père était mort depuis des années. Je partais à la recherche d'un mirage.

La porte d'entrée était grande ouverte. Je me précipitai dehors. Loupiote éclairait mon chemin comme une lanterne miniature. Après quelle chimère courais-je ? Je ne comprenais pas ce qui me prenait. Je n'avais même pas enfilé mes chaussons, et mes pieds s'enfonçaient dans la terre humide.

Mon père était sur une plage. Je vis sa silhouette s'avancer vers l'océan. Je ne pouvais me tromper. Ses cheveux étaient sagement rangés, coupés au niveau de la nuque, et son corps, grand et fier, contemplait l'horizon. Il semblait aussi puissant qu'un roc.

— Papa ! appelai-je.

Je m'élançai sur le sable. Qui était ce fantôme ?

Il se tourna vers moi. À la place de son cœur, il n'y avait plus qu'un trou béant d'où s'écoulaient des rigoles de sang, et de nombreuses aberrations marquaient sa peau. Je reculai d'un pas, horrifiée. Le hennissement d'un cheval retentit à mes oreilles et...

— Morgat !

Je sursautai, ouvris les yeux. Tout ceci faisait donc partie d'un songe ? Mon père...

Il n'était pas là. Je ne me trouvais pas sur la plage. Ni dans mon lit. Devant moi, la falaise s'arrêtait brutalement, donnant sur le vide. L'écume léchait mes pieds, portée par les bourrasques rugissantes. Loupiote tirait activement sur mes cheveux et une main me retenait de faire un pas de plus.

Je me tournai vers le directeur, étourdie.

— Monsieur ? Qu'est-ce que...

Il poussa un soupir, rasséréné, et m'enveloppa dans une couverture.

— Venez, éloignez-vous du bord.

J'obéis prestement. Si je tombais de là, les rochers hérissés me briseraient le corps. Loupiote cessa ses tiraillements dans ma chevelure et se précipita contre ma poitrine. Je l'enserrai dans une étreinte. La petite boule de feu palpitait de soulagement contre moi.

— Vous et vos camarades avez été envoutés dans votre sommeil. Vous vous êtes tous éparpillés en différents endroits de l'île.

Envoutés ?

— Il ne manquait plus que Sylien et vous, Morgat.

— Savez-vous ce qui peut avoir causé ce phénomène ?

— Une fée des houles ! répondit Kadaron en se joignant à nous.

Son air renfrogné me colla un frisson. Ses marques s'illuminaient, ce qui le rendait presque menaçant. Énerver un korrigan n'était jamais une très bonne idée, et l'événement semblait l'avoir passablement agacé.

— Les fées des houles ne quittent plus les côtes de granit rose, protestai-je. Tu nous l'as appris toi-même.

Parmi les saletés qui pouvaient exister dans notre région, les fées des houles figuraient peut-être en tête de liste. Elles appartenaient aux aelfes, comme les fausseroles, Sivi ou Mel, mais formaient encore une catégorie complètement à part. Belles, sauvages, elles attiraient les esprits en les envoutant et les poussaient au suicide dans leur sommeil. Selon les légendes, c'étaient elles qui avaient confié aux tréo-fall leur pouvoir de chant.

— Normalement oui. Il n'y a qu'une explication, monsieur le directeur. Un bal des ardents se prépare.

Je tressaillis. Alors le message de la kannerez avait été entendu.

— Je crains que nous ne dussions prévenir le Conseil, soupira le directeur. Il n'est pas de notre ressort de nous occuper d'un événement pareil. Kadaron, Kadok et vous renforcerez nos protections. Nos jeunes élèves doivent être gardés de l'influence de ce genre de créature, et elles pourraient bien se multiplier dans les environs.

— Bien, monsieur le directeur.

Nous rejoignîmes le reste de la troupe. Tout le monde était réveillé et piétinait devant l'entrée du château en frissonnant. Les autres étaient aussi habillés que moi. Bisclavret et Kadok brillaient par leur absence, sans doute à la recherche de Sylien.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? me demanda Loar au passage.

— Il semblerait que nous ayons obtenu notre bal. La région va grouiller d'esprits et de Conseillers d'ici peu.

Elle me remercia. Notre plan se mettait en place. Bientôt, le Conseil brûlerait.

Il ne me restait qu'à trouver un antidote pour sauver celui ou celle que ma mère avait empoisonné.


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