Chapitre 26
Voir ma mère qui débarquait par surprise à Heven faisait partie de mes grands rêves d'enfant. Petite, je regardais par la fenêtre en priant pour qu'elle vienne, portant sa peau en manteau, et qu'elle me dise qu'il était temps de rentrer à la maison, que le cauchemar prenait fin et que je retrouverais ma vie d'avant. Je la songeais en train s'excuser de tout le mal qu'elle m'avait infligé et me promettre de ne plus jamais recommencer.
Puis j'étais arrivée à Castel Torret. Ma mère n'était plus devenue à mes yeux que la cause de mon malheur, et je ne l'avais plus jamais guettée. J'avais cessé de tendre l'oreille en espérant l'entendre me rejoindre, ou me faire jolie en imaginant à quel point elle serait fière de son adorable petite priñsez.
Quelle ironie de me dire que ce souhait puéril venait pourtant de se réaliser ! Ce que je prenais autrefois pour le plus beau de tous les cadeaux adoptait désormais la saveur du poison. Ma mère était au moins aussi monstrueuse que le Conseil. Toutefois, contrairement à eux, elle n'avait jamais dissimulé ses noirceurs.
Elle posa sa main sur la mienne. Je me dérobai à son contact. Les souvenirs de notre dernière rencontre jaillissaient dans mon esprit, amenant avec eux dégout et angoisse, qui pesèrent comme une pierre gelée dans mon estomac. Cette nuit-là, Aval et moi avions tué un sidhe. Ce n'était pas une expérience dont on se remettait facilement et je la tenais pour entière responsable de la situation.
— Morgat, tu n'es obligée à rien.
Le ton doux du directeur me rasséréna. Même si nous étions dans son bureau, je ne me sentais pas à mon aise. La présence de ma génitrice me mettait dans un état qui m'étonnait moi-même. L'Ankou devinait mes pensées mieux que celle qui m'avait donné la vie et tentait de m'épargner un spectacle pénible.
Je me levai. Elle attrapa mon bras.
— Non, Morgat. Reste.
Son ordre, froid et sec, fit remonter ma nausée. L'Ankou se redressa, polaire.
— Lâchez là. Je vous interdis de l'approcher.
Elle obéit, non sans réticence, et se renfonça dans le fauteuil avec la grâce d'une reine. Dahut n'avait jamais su se contenter de la médiocrité. Même l'illégalité ne pouvait avoir raison de son port ou de son élégance.
— Vous comprenez bien que je suis obligé d'appeler le Conseil pour les prévenir de votre venue.
— Faites ce que vous voulez. Je souhaite juste discuter avec ma petite fille chérie. Je reste sa mère.
Chérie ? Croyait-elle vraiment que je tomberais dans un piège aussi grossier ?
— Tu n'es pas ma mère, crachai-je.
Son visage laissa transparaitre des signes d'impatience. Sa figure affectueuse se craquelait plus vite que je ne le pensais. Même devant un public, elle ne parvenait pas à feindre longtemps. Le manque d'habitude, sans doute.
— Ton père était également du genre rancunier. Tu lui ressembles.
La tendresse que je lus dans son regard ne semblait pas simulée. Je voulais y croire. À défaut de m'apprécier, j'espérais de tout cœur qu'elle l'ait vraiment aimé. Il était encore le seul souvenir de bonheur de mon enfance et je ne souhaitais pas voir cette image pervertie par une triste réalité.
— S'il te plait, Morgat. Je ne serais pas venue si ce n'était pas important.
Je me raidis. Elle ne mentait pas, cette fois. Revenir à Castel Torret après son coup d'éclat quelques jours plus tôt était suicidaire. Si elle s'y risquait, c'est qu'elle n'ignorait pas que Jaya était repartie. Elle n'aurait pas tenté une telle rencontre avec une Conseillère sur les lieux. Mais comment le savait-elle ? Nous espionnait-elle ? Et par quel biais ?
Si mes projets pour le Conseil lui parvenaient, elle n'hésiterait pas à me forcer à la rejoindre. Je devais en être certaine.
— D'accord...
Mon assentiment se bloqua dans ma gorge. Je ne revenais pas moi-même de ce que je venais d'accepter.
— Tu es sûre de toi ? me demanda le directeur. Tu as le droit de refuser, Morgat.
Je hochai la tête. Elle voulait quelque chose de moi, j'étais bien déterminée à apprendre ce qui la motivait. Je ne la laisserai pas emporter mon existence dans sa tornade destructrice.
— Alors j'attendrais dehors.
En ouvrant la porte, il dévoila la figure inquiète de Mel de l'autre côté. La sous-directrice entra dans le bureau en l'ignorant, foudroyant ma mère de son regard de serpent.
— Vous êtes donc Dahut.
Son ton dégoulinait d'acidité et ses yeux de haine envers celle qui m'avait mis au monde. Son amour à notre égard dépassait la simple affection liée à la charge de nous garder et de nous éduquer. Mel nous aimait. Profondément. D'un amour maternel qu'elle ne soupçonnait sans doute pas avant notre arrivée, et que je peinais à appréhender. Alors voir revenir Dahut devait lui hurler de me préserver de son influence destructrice, une fois de plus.
Comme une mère digne de ce nom le ferait.
Elle se dirigea vers moi, m'étreignit. Tissus et parfum m'enveloppèrent d'un étrange manteau protecteur. Ils diffusaient une chaleur apaisante en moi et faisaient ressortir mon courage.
— Tu vas bien ?
Sa voix était bouleversée. Je lui tapotai maladroitement le dos pour mettre fin à cette étreinte. Elle n'y consentit qu'au bout d'une nouvelle poignée de secondes, se contentant de reculer d'un pas.
— Je suis désolée que la soirée ait été gâchée.
— Ne dis pas de sottise, Morgat. Tout le monde est terriblement inquiet pour toi.
Elle caressa ma joue.
— Les jumeaux me chargent de t'annoncer qu'on a un dragon-esprit au sous-sol s'il y a besoin de faire disparaitre un corps, me murmura-t-elle.
Je pouffai. Aerouant était aussi inoffensif qu'un agneau, mais la proposition me faisait chaud au cœur. La sincérité de ses sentiments, si dévorants et lumineux à côté de ce que je voyais chez ma propre mère, me bouleversa.
Ses cheveux châtains retombaient en travers de son regard clair, mais ne dissimulaient rien de son expression. Je détaillai ses hautes pommettes, la forme de son front, la courbe de ses lèvres. Je ne retrouvais dans son visage long aucune similarité avec moi. Pourtant, je lui faisais mille fois plus confiance qu'à celle qui m'avait donné la vie.
— Mel ? intervint le directeur. Laissons-leur un peu d'intimité.
Elle se redressa, se reprenant un peu.
— Oui oui, j'arrive.
Ses deux mains me saisirent et elle déposa un baiser affectueux sur mon front.
— Je suis très fière de toi, Morgat, me murmura-t-elle. Si tu as besoin, je serais juste de l'autre côté. Tu n'as qu'à m'appeler, d'accord ?
— Merci, Mel.
Pendant une seconde, je crus que les larmes qui me montaient aux yeux finiraient par m'échapper. Je me contins. Cela ne me ressemblait pas.
Mel s'éloigna avec regret. Le directeur referma le battant dans leurs dos. Ma mère ne se détendit que lorsque la porte fut entièrement close. Elle sifflota une série de notes, qui érigèrent une petite barrière de silence entre nous et le reste du château. Elle était moins solide que celle qu'on avait faite pour la kannerez mais serait suffisante pour cet entretien.
— Enfin seules...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top