Chapitre 23
— Faites un pas et je lui brise le cou, nous menaça-t-elle.
Je fermai la bouche, Loar rétracta ses serres et les crocs de Louarn diminuèrent.
— Parfait, mes trésors. Maintenant, Morgat, j'attends ton chant. Ancre-moi dans ce corps, où ton ami perdra malencontreusement la vie. Et après, je passerai à l'insupportable petite chouette.
Elle cracha ces mots avec haine. Les voir prononcés par Sivi me tordit le cœur. Pourquoi le cercle n'avait-il pas fonctionné ? Pourquoi était-elle encore là ?
— Comment tu as fait ...?
— Votre cercle était plutôt bon, mais vous n'êtes pas des fées, votre amie n'est pas n'importe qui et je suis très puissante.
Ses doigts serrèrent un peu plus. Le visage d'Aval venait de prendre une teinte rouge, quémandant de l'air. Ses pieds battaient le vide et ses mains griffaient comme elles le pouvaient le poignet de la kannerez. Elle ne broncha pas.
— Tic, tac, Morgat ! Je ne vais pas attendre indéfiniment. Je te laisse cinq secondes pour obéir.
Cinq ? Je recherchai désespérément un plan dans mon esprit. Si je cédais, je perdais Sivi. La kannerez la possèderait totalement.
— Si tu nous aides, Sivi accepte de te confier son corps quatre nuits par mois. Tant que tu ne l'utilises pas pour faire du mal à ses proches, elle te laissera un contrôle absolu.
La kannerez éclata de rire.
— Quatre pauvres nuits, quand je peux la posséder une vie entière ? Assez discuté, petite selkie. Donne-moi cette enveloppe, immédiatement !
Une racine jaillit entre elle et sa victime. Aval fut relâché et tomba au sol.
— Sivi ! se scandalisa Gaby.
Elle portait une longue tenue bleue et son habituelle ceinture à papillons. Des papillons, il y en avait d'ailleurs pas mal qui lui tournaient autour, de toutes les couleurs et de toutes les tailles.
— C'est pas Sivi ! l'informa Louarn.
Il lança Calibourne à Aval, qui le saisit au vol. Les jumeaux se transformèrent, Aval ôta la lame de son fourreau. Son armure apparut sur lui.
— Rends-toi ! ordonnai-je à la lavandière.
Elle se jeta à terre et plongea les deux mains dedans. Aussitôt, la terre trembla tout autour de nous. Les arbres commencèrent à s'agiter, à se tordre et à remuer.
— Qu'est-ce qui se passe ? glapit Gaby.
— Elle utilise les pouvoirs de Sivi !
Des pouvoirs qui dépassaient ceux de toutes autres créatures sylvestres, même Gaby. Les arbres s'avancèrent vers nous, menaçants. Une branche fendit l'air. Je me plaquai au sol, évitant de justesse une tige qui cinglait. Génial, la forêt se mettait contre nous maintenant.
Mon chant ressembla davantage à un cri, mais la magie répondit. Je me redressai, les mains enflammées. Le bois recula. Des langues de feu s'échappèrent de moi et commencèrent à serpenter entre les troncs, jusqu'à les enfermer dans des pièges de flammes.
Un grondement résonna à mes oreilles. J'aperçus un mouvement du coin de l'œil. Quelque chose de gros et noir bondit sur moi. Il fut intercepté au dernier moment par l'épée d'Aval, qui le trancha en deux. La moitié d'un loup s'effondra à mes pieds, coupé dans son saut.
Elle invoquait même des animaux ?
— Morgat, retrouve cette saloperie et fais lui manger son dentier ! On te couvre, hein, Gaby ?
La wily transpirait au milieu des flammes. Ses papillons aveuglèrent une créature qui ressemblait vaguement à un ours, tandis qu'elle luttait avec un bâton contre un arbre, bois contre bois. Louarn s'acharnait sur un autre loup, lui plantant ses griffes dans le dos et mordant sauvagement une de ses oreilles.
— Loar ! appelai-je. Tu m'accompagnes.
La chouette fendit les airs et se posa sur mon épaule, juste à côté du feu follet. Je saisis celui-ci dans mes mains.
— Loupiote, tu peux la retrouver ?
Loar hulula, interrogatrice. Elle semblait avoir oublié qu'en tant que créature psychopompe, il était attiré par les âmes mourantes. Une kannerez était une âme décédée encore engluée dans notre monde, elle ne pouvait que l'intéresser.
Loupiote disparut et réapparut un peu plus loin, dans les bois.
— Super, merci.
Nous abandonnâmes les combattants, suivant Loupiote, qui nous guidait à travers les troncs. Visiblement, la kannerez préférait la fuite à l'affrontement !
J'aperçus la chevelure flamboyante de Sivi. Loar poussa un cri d'alerte et la rattrapa. Elle fondit sur son dos, les serres en avant, et laboura sa chair. Sa victime tomba au sol dans un râle de douleur. Le sang éclaboussa les feuilles mortes.
Elle se redressa, une grimace de souffrance sur le visage. Un sourire mauvais étira ses lèvres.
— BOUH !
Derrière elle, un géant s'avançait. Sa peau était bleue et sa barbe et ses cheveux étaient constitués de mousse. Il trainait un tronc en guise de gourdin. Un liéchi ? Comment avait-elle pu invoquer une telle créature ?
Loar redevint humaine. Indifférente à sa nudité, elle se mit en posture de combat. Son carré était encore ébouriffé, à moitié emplumé, et ses serres remplaçaient ses doigts.
— Morgat, tu t'occupes de la saloperie de squatteuse, je vais réduire ce géant en bouillie !
Elle s'élança sur lui, se transforma en chouette pour échapper à son gourdin, puis reprit son apparence naturelle au-dessus de sa tête.
Je la laissai à son combat, me tournai vers la lavandière qui s'accrochait si désespérément à Sivi.
— Sales gosses ! crachait-elle.
Une boule crépitante jaillit vers moi, meurtrière. Une note le fit disparaitre. Nos magies s'affrontèrent. Si elle était rapide, mon chant m'assurait une protection tant que je donnais de la voix. Heureusement, mon répertoire était large. D'accord, lancer un éclair grâce à « Pirouettes cacahouètes » et « Il était un petit navire » ne paraissait pas glorieux, mais au moins ça marchait.
Elle fut frappée à l'épaule par une des branches changées en flèche que je tirai sur elle.
— Rends-toi.
Tapis au sol, elle avait l'air pitoyable. Sous ses cheveux roux, ses yeux flamboyaient de rage, mais elle était incapable de se relever, une main plaquée sur sa blessure. Avec son dos aussi abimé, elle devait souffrir le martyre à chaque mouvement.
Le géant s'écroula, inerte, puis redevint un tas de feuilles mortes pourrissantes, qui s'évapora au vent. Loar, épuisée, s'aida d'un tronc pour se soutenir.
— Un bal des ardents, hein ? souffla la kannerez. Très bien.
Elle leva le menton vers le ciel et poussa un hurlement. Le son me gela le corps entier, sembla pénétrer jusque dans mon cœur pour le changer en un morceau de glace, figea le sang dans mes veines, bloqua ma respiration. Je tombai à genoux, Loar également. Je n'avais jamais eu aussi froid de toute mon existence. Pour la première fois, je grelottais, les lèvres bleues, essayant de produire un murmure.
— Ne me le faites pas regretter, siffla-t-elle.
Elle déboucha la fiole de Sivi et en avala le contenu d'un coup. Comme une marionnette dont on aurait coupé le fil, Sivi chut, inerte.
Je voulus m'assurer qu'elle allait bien. Mon propre corps s'y refusa. Je sombrai.
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