Chapitre 22
Le soir de Heven, le mauvais temps semblait nous épargner. Un rayon de soleil avait même fait un coucou dans l'après-midi, pour se rappeler à notre bon souvenir. Il nous restait un peu plus d'une heure avant le début des festivités, une heure que nous devions mettre à profit.
— Le cercle est prêt, annonça Loar.
Sivi trembla de froid. Sa combinaison grise possédait des manches transparentes et un léger décolleté découvrait sa gorge. Elle se mordit la bouche, gâchant son rouge à lèvres. Pour une fois qu'elle faisait un effort vestimentaire !
— Dépêchez-vous, où je vais mourir congelée comme Jack.
— Tu crois qu'on ne se pèle pas les miches, nous aussi ? grommela Louarn. C'est un sort de fée, et puisque la seule fée qu'on ait à disposition ne peut pas le lancer, ça prend du temps.
Elle le fusilla du regard, se retenant de balancer la fiole qu'elle serrait nerveusement dans sa main.
Nous devions avoir l'air fins, dans nos jolies tenues, au milieu des fougères mourantes, sur un tapis de feuilles desséchées. Les garçons et Loar avaient même fait l'effort de mettre une chemise. Quant à moi, j'avais sorti ma robe bordeaux à manches longues, la seule de mon placard. Avec des collants noirs et accompagnée de ma fourrure, j'étais suffisamment élégante pour qu'on me fiche la paix.
— On est prêt, annonça finalement Aval en revenant. Les cinq torches sont plantées, et j'ai jeté les mélanges dedans. Le bouclier de silence se déclenchera dans le bon périmètre et elle perdra de la puissance à l'intérieur du cercle.
Ses mains pleines d'entailles témoignaient de sa difficulté à accomplir cette simple tâche. Heureusement, je ne l'avais pas laissée couper les herbes, il aurait fini avec un bout de doigt en moins.
— Super. Tout le monde derrière moi.
Je jetai un dernier coup d'œil vers le ciel qui s'assombrissait. La tombée de la nuit interviendrait d'ici une poignée de secondes. Nous devions nous mettre en sécurité avant.
— Sivi, t'es toujours sûre de toi ? Tu... T'as le droit de reculer. C'est pas trop tard.
— Bien sûr, mais si tu ne te grouilles pas, je t'arrache la peau et je m'en fais un manteau !
OK, elle était terrifiée. Son regard me fusilla, me défendant de renoncer. Je la suppliai silencieusement. Le cout semblait maintenant trop élevé. Elle ne vacilla pas.
J'ouvris la bouche et chantai. Ma musique emplit l'espace, gonfla, rugit. Plus de murmure pour les sorts de cette nuit, je devais chanter à pleins poumons. L'ancienne magie explosa autour de nous, nous enveloppa d'un voile scintillant et fin. Le sort de silence nous engloba, celui d'enfermement fit briller le cercle tracé dans la terre meuble. Au centre, Sivi se frictionnait les épaules, soufflant des petits nuages dans le vide pour se distraire.
Son corps fut brusquement saisi de tremblements incontrôlés. Il s'affaissa l'espace d'une seconde, puis se redressa. Deux fentes obscures occupaient la place de ses yeux. Elle prit un instant pour s'étirer.
— Oh Déesse, qu'est-ce que ça fait du bien !
Elle s'approcha de la barrière formée par le cercle et l'examina avec intérêt.
— Vous avez fait un sacré bon boulot, mes trésors. Un cercle de fée ? Ce n'est pas un sort facile à accomplir. Que me vaut cet accueil en fanfare ?
Je croisai les bras sur ma poitrine. Loupiote, perché sur mon épaule, s'avança vers la créature. Les yeux de la kannerez s'écarquillèrent et elle recula d'un pas en l'apercevant.
— Vous êtes obligée d'amener avec vous ces saletés ?
— Laisse Loupiote tranquille. On veut passer un marché avec toi.
Un frémissement amusé dansa sur ses lèvres. Elle esquissa un sourire macabre.
— Voyez-vous ça, les gamins ont finalement décidé de passer dans l'autre camp ! Tu as accepté ma proposition, plac'hig ?
— Je ne te ferais pas confiance pour autant.
Elle se laissa tomber en arrière. Un réseau de branches jaillit du sol, formant un siège pour la retenir.
— Alors, expliquez-moi. Je suis tout ouïe.
C'était insensé. Stupide. Étais-je vraiment sur le point de commettre une telle connerie ? Sivi avait beau jurer qu'elle approuvait, sa décision restait irréfléchie.
— On est en train de faire une bêtise, maugréai-je. On annule tout.
— Non !
Je tressaillis devant la voix outrée d'Aval. Il avança, le regard planté furieusement dans celui de la kannerez.
— Nous voulons anéantir le Conseil.
Elle manqua de tomber à la renverse.
— Le Conseil ? Rien que ça ? Et vous avez besoin de mon aide pour... quoi au juste ?
Je me renfrognai.
— Il nous faut une distraction. Et un moyen de tous les réunir en un seul endroit. On a besoin que...
Je n'arrivais pas à croire que je dirais moi-même une chose pareille.
— ...que tu organises un bal des ardents.
La kannerez se leva avec lenteur. Elle s'approcha de moi, s'arrêta juste devant la barrière.
— Un bal des ardents ? Rien que ça ?
Seul un tel événement saurait causer un désastre suffisamment énorme pour les pousser à tous se rassembler. Interdits depuis longtemps à cause des dégâts qu'ils occasionnaient, ces bals étaient connus pour être particulièrement meurtriers. Ils accueillaient toutes les créatures de nuit les plus avides de sang. Musiciens et danseurs magiques possédaient les humains et les sidhes à la ronde pour les forcer à s'engager dans un bal monstrueux, impressionnant, où les participants finissaient par perdre l'esprit et s'immolaient. Les rares chanceux dansaient jusqu'à en avoir le corps explosé, la plante des pieds arrachés et l'âme détruite des atrocités auxquelles ils avaient contribué.
Nos professeurs étaient tous assez forts pour résister à ce genre d'attraction. Ils ne seraient pas inquiétés. Mais un tel déferlement de violence et de folie attirerait immanquablement l'attention. Et lorsque tous les membres du Conseil seraient rassemblés, je lancerais le sort d'annihilation sur eux.
— On ne sait même pas si elle en est capable, défia Louarn.
La kannerez releva fièrement son menton.
— Ne m'insulte pas, gamin. Toutes mes camarades ne peuvent pas prétendre posséder un sidhe, encore moins une fée dotée d'une telle puissance. Mais un bal des ardents ne s'organise pas si facilement. Il y a un prix à payer.
Cela m'aurait étonné.
— Même si je parvenais à préparer une telle chose — et je ne dis pas que j'en suis capable — vous y succomberiez aussi. Surtout le petit Gardien aux grands yeux de chiens battus.
Aval tressaillit, tandis qu'elle lui soufflait un baiser moqueur. Je me redressai.
— Je peux les protéger.
— Trésor, ton enthousiaste est plaisant à voir, mais ne te surestimes pas. Les selkies peuvent tout autant y être possédées.
— Je peux le faire, assénai-je entre mes dents.
Ses yeux s'écarquillèrent et elle éclata de rire.
— Oh, je comprends mieux. Toutefois, plac'hig, il reste un dernier problème.
Elle avança d'un pas et... franchit simplement la barrière censée la maintenir prisonnière. Sa main jaillit, attrapa Aval par le cou et le souleva du sol.
— Je n'ai pas envie de vous aider.
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