Chapitre 20

Nous nous tûmes, suspendus à ses lèvres. Aval s'étendait autant que le reste d'entre nous sur son histoire. Nous savions simplement qu'il venait d'Inde et qu'il était arrivé chez nous une poignée d'années auparavant. Il était un hybride descendant de Gardiens. Les siens présentaient une certaine habilité dans l'art du combat. Aval s'était d'ailleurs fait remarquer le jour où il avait réussi à manier Calibourne, l'épée légendaire que Mel conservait dans un coffre. Lorsqu'il le manipulait, sa maladresse disparaissait et il devenait plus dangereux que n'importe quel guerrier. Seule Mel osait encore l'affronter.

— J'ai grandi dans le sud de l'Inde. Mon clan vivait à proximité d'un village d'humains. Nous cohabitions sans trop de méfiance. Enfin de notre part, surtout. Nos voisins nous prenaient pour des sortes de divinités locales et n'interféraient pas dans nos affaires, ce qui nous arrangeait pas mal.

Il ricana.

— Raconté, tout à l'air si utopique. La vérité, c'est que mes parents étaient des personnes agressives. Si quelque chose n'abondait pas dans leur sens, ils se mettaient dans une fureur terrible et frappaient ce qui se trouvait à leur portée. Souvent, c'était moi. Petit, je trouvais refuge dans le village des humains pour leur échapper lors des pires moments. Mais Nithya est née.

Un sanglot coupa sa voix. Louarn se métamorphosa en renard et changea de lit, pour s'allonger sur ses genoux. Aval passa distraitement la main dans sa fourrure. Ses doigts tremblaient.

— Mes parents ne voulaient pas d'autre enfant. Un héritier leur suffisait. Alors une fille en plus ? Même si tout le voisinage leur enviait cette seconde grossesse, ils envisageaient les choses différemment. Nithya devint rapidement leur défouloir préféré. Mais c'était aussi ma petite sœur, et je l'adorais. Je l'emmenais partout avec moi. Moins de temps elle passait avec eux, mieux c'était. C'était moi qui prenais soin d'elle, moi qui la nourrissais, moi qui la consolais. J'ai demandé de l'aide au Conseil. Ils ont envoyé un inspecteur. Il est reparti après avoir vaguement discuté avec mes parents. Vous comprenez, on est qu'à moitié sidhes, nos affaires ne les concernent pas vraiment, tant qu'on reste dans les clous.

Il y avait tellement de tendresse dans sa voix que je sentais mon cœur se briser à chaque nouvelle phrase. Il aimait Nithya autant que Loar aimait Louarn. Une affection que je ne comprendrais jamais, sans doute.

— Un jour, j'ai essayé de m'enfuir avec Nithya. Cela devenait dangereux de rester à la maison, et je craignais le moment où ils craqueraient et commettraient l'irréparable. Mais mon père nous a surpris. Alors, pour laisser le temps à ma petite sœur de se sauver, j'ai pris son arme et je me suis battu avec lui. Nithya... plutôt que de fuir, elle a tenté de s'interposer.

J'attrapai sa seconde main et la serrai de toutes mes forces. Il éclata en sanglots.

— Nithya est morte à cause de moi.

À cet instant, aucun de nos mots n'aurait pu le consoler. Pour la première fois, je le voyais verser des larmes. Celles qu'il gardait enfouies au fond de lui depuis longtemps sous ses sourires et ses blagues.

— Non, elle est morte parce que le Conseil vous a abandonné, crachai-je. Et on va leur faire payer.

— Je me sens mal pour Mel, Bisclavret, Kadok et Kadaron, soupira Loar. Ils ne méritent pas qu'on les trahisse comme ça.

Notre petite famille allait être brisée après ça, c'était certain. Nous allions tromper la confiance des seules personnes qui nous soutenaient encore. Et cela me désolait tout autant. Mais j'étais allé trop loin pour reculer, désormais.

Et puis, qui ça surprendrait au juste ?

— Une vie de clandestinité, c'est pas ce à quoi on est destiné à la base ? intervint Sivi. On rentre simplement dans les clous.

J'en profiterai pour faire le ménage auprès des Renégats. Ma mère était au moins aussi responsable de la situation que le Conseil. Je n'aurais pas plus de pitié pour elle qu'elle n'en avait eu pour moi à l'époque.

Loar poussa un profond soupir.

— Je déteste cette morosité. On va sortir.

— Sortir ? demanda Aval dubitativement.

Même s'il ne pleuvait pas, la nuit n'était pas très engageante.

— Oui oui, et on se bouge. Louarn, habille-toi, crétin.

Sous ses menaces et vociférations, nous nous retrouvâmes dehors, emmitouflés dans les premiers pulls qui nous étaient tombés sous la main, chaussés des premières bottes que nous avions trouvées. Les miennes appartenaient sans doute à Bisclavret : elles étaient beaucoup trop grandes et je sentais des poils me chatouiller la plante des pieds. Il devrait éviter de se transformer avec ses bottes, le spectacle devait être ridicule.

Loar alla récupérer deux lanternes dans la réserve et les alluma, après avoir pris la clef à Kadok. Nos profs profitaient de leurs heures de repos pour bosser au milieu de leurs livres. Elle avait échappé de justesse à une nouvelle guerre. Elle fit un détour par la serre, attrapa quelques asters et dahlias, puis nous emmena sur un bord de falaise. Elle se planta face à la mer, malgré ses cheveux courts qui se balançaient frénétiquement dans le vent et l'écume qui l'arrosait.

— On va faire nos adieux.

Sivi roula ses yeux dans ses orbites.

— T'as pas moins cliché ?

— Pas dans mes manches. Je te refais signe si une nouvelle idée me traverse ! riposta-t-elle. Non, sérieusement, je suis furieuse. Plus tard, je ne veux pas faiblir en me raccrochant à un espoir inutile sur un passé douloureux. Je veux tourner cette page et me détacher.

Elle prit quelques fleurs au hasard, inspira.

— Je dis adieu à l'amour de mes parents. Qu'ils aillent crever !

Ses fleurs s'envolèrent dans le sens du vent, soit vers les terres. Je retins un éclat de rire devant son air de dépit. Je saisis une autre poignée de plantes, m'avançai vers la falaise à mon tour.

— Adieu, mère indigne qui n'a fait que me décevoir. Et adieu, futur normal.

Bonjour la criminalité. Mes fleurs prirent la même direction que celles de Loar.

Aval me suivit.

— Adieu Nithya. Je suis désolé de ne pas rester le frère que tu voudrais que je sois.

Il déposa un baiser sur les pétales avant de les lâcher à pleine main. Louarn posa une main sur son épaule, prit sa place.

— Moi j'envoie chier tous ceux qui nous ont fait du mal. Tous ceux qui ont profité de notre faiblesse. J'ai plus de culpabilité depuis longtemps.

Son ton résolu semblait étrangement froid.

— Sivi ?

Elle hésita, avant de s'avancer à son tour.

— Adieu Aveline. Adieu, Mère.

Ses fleurs tombèrent une par une. Elle leva le menton, le visage apaisé. Même si c'était stupide, Loar nous avait offert la liberté face à notre culpabilité. Je ne douterais plus de...

— Vous êtes encore dehors, les enfants ?

Elle revint au galop devant le timbre du directeur.


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