Chapitre 19

Aveline succomba à ses blessures avant l'arrivée des secours. L'examen de sa dépouille, organisé par Jaya, nous apprit qu'elle portait plusieurs traces d'aberrations, qui l'avaient endommagé. Ils témoignaient de l'utilisation de la nouvelle magie sur elle. Aucun autre pouvoir ne détruisait ni ne rongeait ses victimes comme celui-ci. Les aberrations d'Aveline étaient trop puissantes pour son corps affaibli, elles avaient consumé sa vie durant plusieurs jours, lui ôtant les forces nécessaires pour appeler à l'aide.

Je sentis immédiatement la méfiance de la Conseillère se porter sur moi. Après tout, de tous les habitants de l'île, j'étais la seule qui avait jamais utilisé la nouvelle magie. Pourtant, elle admit que les aberrations dataient probablement du jour où un mort s'était échoué sur notre plage. Elle avait donc de participer à l'enquête sur leurs décès, soupçonnant qu'il était responsable de l'attaque contre Aveline. Nous la vîmes embarquer avec le corps, en quête de réponses.

Pressés sur le ponton, nous observâmes le bateau s'éloigner et ne devenir qu'un petit point au loin. Aval avait passé ses bras autour des épaules de Sivi. Celle-ci fixait l'horizon. Elle n'avait pas côtoyé sa sœur depuis des années, mais cela n'atténuait en rien son chagrin.

— Rentrons, suggéra Mel.

Je savais qu'elle nous intimait de laisser Sivi. Notre tête de fraise avait grand besoin de calme et de tranquillité. J'hésitai néanmoins, en la voyant plantée là. Elle attendait d'être seule pour laisser ses larmes couler.

La main de Sylien se posa dans mon dos.

— Tu viens ?

— Non.

Il n'insista pas et prit le chemin du retour. Son attitude m'étonnait. Si nous avions brisé la glace, cela ne justifiait pas son étrange sympathie, sympathie qui semblait avoir explosé depuis que j'étais rentrée avec le corps sans vie d'Aveline. Peut-être un moyen de dissimuler son propre chagrin : elle était sa mentore depuis presque deux ans et il était particulièrement proche d'elle. Sa perte devait lui faire un choc terrible. Louarn m'effleura la main au passage, et partit à son tour.

Je m'installai à côté de Sivi. Sa mâchoire se serra.

— Qu'est-ce que tu fais là ? gronda-t-elle.

— Je te propose une distraction.

Elle me jeta une œillade confuse. Je déboutonnai ma chemise, mon pantalon, mes sous-vêtements. Elle me laissa faire sans un mot.

— Lance un sort de respiration, lui ordonnai-je. Et un de chaleur. Le soleil se fait désirer, il va faire un froid de canard en dessous...

Je m'assis sur le rebord du ponton et m'enveloppai dans ma peau tandis qu'elle obéissait d'un air robotique. Je sentis mes deux peaux se fondre l'une dans l'autre, pour ne faire plus qu'une. Devenue phoque, je me glissai dans l'eau. Sivi m'y suivit sans se poser de questions.

Ses bras s'accrochèrent à moi, s'enroulant doucement autour de mon dos. Je m'enfonçai dans les profondeurs de la mer.

Le silence nous enveloppa. J'entrainai Sivi à l'écart du rivage. Sous cette forme, me mouvoir au milieu des courants m'était aussi facile que de respirer. Nous longeâmes un banc de poissons jusqu'à un endroit que j'aimais bien. Les algues revêtaient des couleurs inhabituelles et les poissons ne rechignaient pas à nager près de moi. Ils sentaient ma double nature et n'avaient pas peur de s'approcher. Sivi me lâcha, les yeux écarquillés. Je ricanai. Elle répliqua d'un coup de pied, et avança vers les poissons curieux. Ils tournaient autour de ses cheveux flottants, les prenant pour des algues.

Nous jouâmes avec eux pendant un moment. Une petite baleine se joignit à nous, sans craindre notre présence. Je fis semblant de regarder ailleurs les rares fois où des larmes montèrent aux yeux de Sivi, immédiatement emportées dans le courant.

Mel nous attendait sur la plage à côté du ponton. Debout, les pieds plantés dans le sable, elle nous tendit une serviette chacune en silence. Sivi s'enveloppa dans la sienne. Le sort de chaleur refluait et elle commençait à grelotter. Je séchai mes cheveux avec l'autre, puis m'emmitouflai dedans. Inutile de remettre mes vêtements, ils seraient aussi trempés que si j'avais plongé avec eux le temps qu'on parvienne à Castel Torret. Mel s'approcha de Sivi. Elle caressa sa tête, son front, ses joues, et déposa un petit baiser maternel sur son nez.

— Je suis là.

Ce furent sans doute les mots dont elle avait besoin. Sivi se blottit contre elle et éclata en sanglots. Je me retirai pour leur laisser un peu d'intimité.

Gaby m'attendait sur le chemin. Ses yeux débordaient d'inquiétude, rivés vers la plage.

— Comment elle va ?

— Comme quelqu'un qui vient de perdre un membre de sa famille, maugréai-je.

L'impuissance que je ressentais me rendait plus agressive que je ne le pensais. J'abandonnai la wily sur place et me hâtai de regagner l'intérieur du château.

L'ambiance fut morose toute la soirée. Sivi ne nous rejoignit pas pour diner. En montant dans nos chambres pour dormir, j'eus la surprise de la retrouver sur mon lit, comme tous les soirs. Elle serrait son oreiller contre son ventre, songeuse. Jaya venait de partir, il n'y avait plus de raison de me coller, mais je n'eus pas le cœur de la chasser. Je m'assis à côté.

— Loar, arrête d'être aussi violente ! protesta Aval en entrant dans la pièce.

Son rire s'étrangla dans sa gorge lorsqu'il vit Sivi. Les exclamations des jumeaux se moururent également. Leurs joues s'empourprèrent de honte, les miennes d'agacement. Soudain, un gloussement rompit le silence.

— Inutile de marcher sur des œufs, je vais bien.

Le soulagement nous envahit tous, et Aval se jeta sur mon lit.

— Tant mieux, j'ai tout un stock de blagues pour la nuit. En plus, vu que les cours sont annulés jusqu'à Heven, on va pouvoir papoter.

— Aval, je t'aime bien, mais si tu ne la fermes pas je te trucide ! grommela Louarn en s'étalant sur sa couette.

Je me raclai la gorge.

— S'il y a quelqu'un qui a droit de trucider les autres ici, c'est moi. Pourquoi vous venez encore squatter ma chambre ?

Un nouveau silence s'installa. Aval finit par me pousser sous les draps.

— Fais pas ta rabat-joie. C'est notre chambre aussi, désormais.

Sivi éclata de rire.

— Quand j'étais gamine, je dormais avec quatre de mes sœurs. Je les détestais, elles étaient toutes des chipies.

— Quatre ? m'effarai-je.

Pour moi, enfant unique, cela semblait horrible.

— Même la reine des fées de Vineta a des problèmes de place. Quarante-sept filles, ça fait beaucoup à caser.

— Au secours ! J'étais très bien toute seule, merci !

Loar soupira.

— Je crois qu'on a un petit frère ou une petite sœur. Maman était enceinte au moment où l'on a été abandonné.

Sa voix se brisa. J'entendis un froissement. Louarn prenait sa jumelle dans ses bras.

— J'ai une petite sœur, avança prudemment Aval. Nithya.

Il se tut. Louarn leva la tête.

— Et ?

Je lançai un oreiller sur lui. Aval semblait trop sérieux pour être naturel. S'il ne voulait pas se confier, c'était son problème.

— Et elle est morte. À cause de moi.


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