Chapitre 14

Un bon bain fut exactement ce que j'espérais après cette matinée... salissante. Plongée dans l'eau brulante jusqu'aux oreilles, je profitais de ce moment de détente. La mousse crépitait autour de moi dans un son qui m'assoupissait petit à petit, et je me sentais glisser dans les profondeurs délicieusement réconfortantes de ma baignoire.

BAM !

Je sursautai, les yeux écarquillés.

— Morgat !

La voix folle furieuse de l'autre côté du battant appartenait à Aval. Et il y avait tant d'angoisse dans son timbre que je bondis hors de mon cocon douillet et eus seulement la présence d'esprit d'enfiler une serviette autour de moi avant d'ouvrir.

Je ne l'avais jamais vu si pâle.

— Qu'est-ce qui se passe ?

Sa main se plaqua sur ma bouche et il me repoussa dans la salle de bain.

— Pas un bruit.

Je hochai la tête. Ce comportement ne lui ressemblait pas, et cela m'inquiéta immédiatement. Il enleva sa main, fureta dans la pièce. Ses yeux s'illuminèrent lorsqu'il tomba sur l'étagère. Il chercha le mécanisme qui libérait le passage secret dissimulé. Il y avait le même dans la salle de bain des garçons. Il me poussa par le passage, referma le meuble derrière nous et attendit.

Je frémis immédiatement. Nous utilisions ces passages dérobés ponctuellement, et je venais de sentir une araignée traverser sur un de mes pieds.

Je ne patientai pas longtemps avant d'entendre un vacarme se rapprocher.

— Comment osez-vous ? hurlait Mel. Je rapporterai votre comportement au Conseil !

— Votre petite protégée est une criminelle, répondit Jaya. Il est de mon devoir de l'arrêter. Il y a eu un mort, que voulez-vous de plus ?

— Morgat n'aurait jamais...

La porte de la salle de bain s'ouvrit de nouveau. Je grimaçai en l'entendant presque s'encastrer dans le mur. Aval, lui, semblait immobile comme un rocher. Sa main agrippait mon poignet douloureusement, mais j'avais trop peur de dévoiler notre cachette si je bougeais.

Il y avait eu un mort ? Qui ? Les visages de mes camarades s'enchainèrent dans mon esprit. L'idée de les perdre m'était déchirante. Tout, mais pas eux...

— Où est-elle ? Tout ceci n'est qu'une entrave au Conseil ! Soyez assuré que je...

— Que vous ?

Le silence se fit. Mon cœur reprit un battement normal lorsque je reconnus la voix du directeur. Aval échangea avec moi un regard plein d'espoir.

— Monsieur le directeur, siffla Mel, la Conseillère Jaya Khan, ici présente, accuse notre Morgat de meurtre.

— De meurtre ? C'est une insinuation sérieuse, dites-moi.

Il parlait lentement, doucement, comme une caresse. Un ton qui n'excluait pourtant pas la menace. Je ne l'avais jamais senti si furieux, malgré son apparence contenue.

— Qui est mort ?

— Nous... l'ignorons. Il y avait un corps sur la plage. Il a été assassiné récemment. Et les enfants ont chassé les mourioches ce matin...

Il y eut un bruit de froissement.

— Donc cette chère petite n'a pas d'alibi.

— Sivi affirme être restée avec elle, répliqua Mel.

— Ah ! Donc il est impossible que Morgat ait tué cet inconnu, n'est-ce pas ?

Jaya fulminait de rage rien qu'à sa voix :

— La parole d'une exilée de Vineta ne saurait être considérée comme fiable et...

Un bris de verre l'interrompit.

— Conseillère, je tolère votre présence sur cette île dans le seul but de conserver de bonnes relations avec vos collègues, mais insultez encore une fois l'intégrité de mes protégés et le Conseil devra se passer de vous. Définitivement.

— Vous me menacez ? s'ébahit-elle.

— N'est-ce pas vous qui avez commencé à les menacer ? J'ai eu vent de vos paroles à l'encontre des jumeaux, et maintenant vous accusez Morgat d'un crime et Sivi de mensonge ? Savez-vous qui vous avez en face de vous, au moins ?

Je la sentis presque blêmir. N'importe qui blêmirait face au visage furieux de notre directeur.

— Je... Vous n'avez pas le droit d'agir. Selon votre pacte avec le Conseil...

— Un pacte que je peux révoquer en un claquement de doigts. Je vous conseille de ne pas jouer avec mes nerfs, Conseillère. Ma patience a ses limites, et ces limites concernent mes protégés.

Un long silence suivit sa déclaration. Était-elle partie ? Nous n'osions toujours pas bouger, trop inquiets de tomber dans un face-à-face entre notre directeur et une Conseillère bientôt trépassée. Même si elle n'était sans doute pas assez bête pour se mesurer à l'Ankou — qui serait assez stupide pour se frotter à la Mort en personne ? — un doute subsistait.

— Sortez de là ! s'éleva la voix douce du directeur.

Aval repoussa l'étagère et nous quittâmes notre cachette, tous penauds, évitant au passage les débris d'un pot à terre. Il haussa un sourcil perplexe devant ma tenue légère et mes cheveux dégoulinants.

— Cette Conseillère risque de poser plus de problèmes que prévu, constata-t-il. Bonne initiative, Aval.

Il rougit devant le compliment.

— Merci, monsieur le directeur.

— Je dois malheureusement repartir ce soir, après le diner. Aval, je compte sur toi et vos camarades pour ne pas quitter Morgat d'une semelle. Je crains que cette Jaya ne tente autre chose.

— Et... pour le corps retrouvé sur la plage ? demanda-t-il timidement.

— J'irai personnellement témoigner avoir récolté son âme au large.

Il posa une main affectueuse sur nos têtes, ébouriffa nos cheveux comme avec des enfants.

— Ne vous inquiétez pas, je vais m'occuper moi-même de cette femme. Elle ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Tout ce dont vous avez à vous préoccuper, ce sont vos notes.

— Merci, monsieur.

— Maintenant, Aval, laissons cette jeune demoiselle finir sa toilette. Je passe l'éponge sur l'inconvenance de la situation en raison de son urgence, mais que je ne vous reprenne pas à mettre les pieds dans cette pièce sans autorisation !

Aval sembla voir ma tenue pour la première fois. Il devint rouge comme une tomate devant mon apparence et posa des mains sur ses yeux.

— Désolé, Morgat ! S'il te plait, ne m'arrache pas les globes oculaires ou les oreilles ! Je m'en vais, promis !

Il tenta une retraite désespérée, glissa sur un morceau du pot brisé, chut en arrière, voulut se rattraper à une étagère. Elle s'effondra sous son poids, déversant sur lui un tas de serviettes.

— Je suis vivant... grogna-t-il finalement.

Mel l'aida à se relever, retenant mal l'amusement qui pinçait ses lèvres.

— Allez, on va faire un détour par l'infirmerie.

— OK...

Il avait l'air si dépité que j'éclatai de rire. Le directeur nous renvoya une œillade affectueuse.

— À ce soir, mes enfants.

Ils quittèrent tous la pièce. Les dégâts autour de moi étaient catastrophiques, il faudrait que je nettoie tout ça avant de partir de la salle de bain.

Mes épaules s'affaissèrent. Cette histoire devenait de plus en plus dingue. Une accusation de meurtre pesait sur moi, maintenant ? Non mais sérieusement, qu'est-ce qui se passait ici ?

Bon, une question à la fois. D'abord, le bain. Quitte à affronter les problèmes, autant le faire avec un bon état d'esprit.



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