Chapitre 13
Je grognai en sortant. La pluie tombait dru et le vent soufflait assez fort pour décorner des bœufs. Heureusement, Sivi n'avait pas eu le temps de s'éloigner. Sa tignasse vive rayonnait au milieu des troncs.
Elle s'était assise sur un tas de pierres recouvert de mousse, sans son imperméable. L'eau ruisselait et gonflait ses cheveux. Indifférente, elle fermait les paupières et serrait les mâchoires, malgré son corps qui tremblait de froid.
— Ton objectif est de tomber assez en hypothermie pour ne pas avoir à les affronter ?
Elle n'ouvrit pas les yeux. Je m'installai à ses côtés. La mousse humide trempa immédiatement mes vêtements.
— J'hésite entre ça ou éliminer tous les témoins, finit-elle par lâcher.
— Aval est un crétin, mais je pense que tu es un poil trop radicale.
— Un poil seulement ?
Enfin, elle me regardait. Malgré son ton froid, je sentis la pointe d'amusement qui perçait.
— Moi je crois que si tu dois te débarrasser de quelqu'un, Louarn est un excellent premier choix.
— Qu'est-ce qu'il a encore dit ?
— Des bêtises. Il lui manque bien des cases, à ce garçon. Un petit coup sec dans la nuque, ça lui évitera bien des déboires plus tard. Je suis même étonnée que Loar ne l'ait pas déjà tué.
— Elle a beaucoup trop de patience pour ça.
Nous échangeâmes une œillade amusée. Sa colère fondait à vue d'œil. Prétendre que la blessure qui se cachait dessous en faisait autant aurait été présomptueux. C'était sa puissance qui avait attiré la kannerez. À cause de pouvoirs dont elle ne comprenait pas la teneur, une lavandière de nuit s'était agrippée à son corps. Sivi en avait perdu ses sœurs et sa propre mère, jetée comme un mouchoir usagé pour un crime dont elle n'était même pas responsable. Vivre avec la créature qui lui empoisonnait l'existence aurait détruit un enfant moins solide.
— Gaby craint.
— Nos mères craignent, la corrigeai-je. Mais c'est vrai qu'elle aurait pu avoir un peu plus de tact.
Elle acquiesça gravement. Un frisson secoua tout son corps. Je soupirai, ôtai mon imperméable et l'enveloppai dedans, n'oubliant pas la capuche.
— C'est toi qui cherches à tomber en hypothermie, maintenant ?
— Tais-toi. Tes lèvres bleuissent à vue d'œil.
Et puis je pouvais résister à des températures extrêmes. Elle se blottit dans mon manteau.
— On rentre ? proposa-t-elle timidement.
— J'allais te le demander. En plus, avec un temps pareil, c'est certain que le cours doit être annulé. Si Kadok ne nous trouve pas bien vite, on va se faire cramer.
Elle se releva, sauta d'un pied sur l'autre. Je voulus l'imiter. Au moment où je me mis debout, une douleur tira sur mon crâne. Quelqu'un me tirait les cheveux. Je me tournai, prête à incendier le plaisantin. À ma grande surprise, plusieurs de mes mèches étaient nouées à des branches d'arbre.
— Sivi...
Ma camarade jura. Je m'empressai de casser les branches. Je savais que les nœuds seraient trop solides pour être retirés tout de suite, et il fallait que je sois libre de mes mouvements pour attraper une de ces saloperies de mourioche.
Un rire éclata vers la droite. Je donnai un coup de pied au hasard, shootant dans le vide. Un poids percuta ma jambe et je sentis les dents aigües d'une petite créature me percer la peau.
— Saleté.
Je saisis un bout de bois et frappai sauvagement. Mon arme improvisée rencontra quelque chose et l'envoya valser au loin. Il devint visible en plein vol, s'écrasa tout droit sur un rocher.
— Y'en a partout ! me cria Sivi.
Elle aussi s'était équipée et tapait au hasard autour d'elle. Deux d'entre eux s'agrippèrent à ses jambes. Elle s'en libéra avec quelques coups de pied. Un autre encore me sauta dessus. Je le saisis, cherchai le sac pour les emprisonner. Et merde, il était resté dans ma poche d'imper. La créature profita de mon hésitation pour me mordre les doigts et filer.
Je les entendais courir tout autour de nous. Ils étaient minuscules, mais faisaient un raffut de tous les diables.
— Ça suffit ! hurla Sivi.
Le dos de mon imperméable se déchira pour laisser le passage à ses deux ailes. Elle prit un peu de hauteur pour échapper aux griffes et aux crocs de ces monstres.
— Mon manteau, gémis-je.
Voilà pourquoi il ne fallait jamais prêter de fringues à cette fille ! À chaque fois, elle finissait par me les détruire.
Je frappai un mourioche qui s'approchait avec mon bâton. Un autre tira sur mes cheveux. Rah, mais ils étaient partout !
Sivi tomba soudain à terre avec un petit cri.
— Morgat ! m'appela-t-elle.
Une bestiole grimpait sur son dos et enfonçait ses griffes dans la peau de son cou. Je le saisis par les cornes et le tirai de là. Il hurla.
— Le sac est dans ma poche droite !
Elle le tira et l'ouvrit. Je balançai le mourioche dedans.
— Je les attrape, toi tu les enfermes ! lançai-je.
J'en empoignai un autre qui s'approchait un peu trop et Sivi le récupéra au vol. Un troisième grimpait derrière elle pour lui sauter dessus. Trop tard, bonhomme, dans le sac aussi !
Trois mourioches les rejoignirent avant que les créatures n'acceptent de battre en retraite. Dans le sac, nos six prises bougeaient furieusement.
— Eh bien, je crois qu'on forme une bonne équipe, toutes les deux ! déclara-t-elle avec un franc sourire. Six d'un coup, t'imagines ? Si avec ça Kadok ne nous donne pas un point bonus sur nos prochains devoirs, je ne sais plus quoi faire !
Nous en ressortions griffées de partout, mais l'exercice s'était montré vivifiant. Et le chagrin avait disparu de ses yeux.
Une branche frémit juste au-dessus d'elle.
— Attention !
Une créature grise tomba du ciel comme un boulet de canon, droit sur ses mains, et les mordit. Sivi hurla, le sac et elle churent et les mourioches s'en échappèrent. L'un d'eux me sauta dessus, me bousculant à mon tour dans la boue. Le petit monstre s'empressa d'attaquer mon visage. Je le saisis furieusement, me redressai.
— Le sac !
Il gisait par terre, et Sivi roulait au sol pour affronter une autre créature. Un second mourioche vint s'en prendre à moi, et un troisième agressa mes cheveux.
Des racines sortirent de terre et commencèrent à malmener nos assaillants. Sivi, le front perlant de sueur, avait la main posée sur le sol et son utilisation de l'ancienne magie se ressentait dans toutes les fibres de mon corps. Tous les mourioches se dispersèrent dans les bois à toute vitesse. Sa main retomba, épuisée. Je m'effondrai également.
La pluie tombait et pourtant je mourrais de chaud. J'éclatai de rire. Elle aussi.
— Gast !
J'acquiesçai silencieusement. Et c'était seulement le matin...
Un bruissement dans la nature nous alerta. Ils revenaient ?
Les fourrés s'ouvrirent et laissèrent le passage à un Sylien trempé, qui portait péniblement un sac où gigotait une créature et dont tout le corps était couvert de blessures. La rencontre avec les fausseroles s'était plutôt mal passée. Je fus presque compatissante pour ce mauvais tour.
— Pourquoi vous vous roulez dans la boue ? remarqua-t-il avec mépris.
Ah, c'était bon, ma compassion avait disparu. Louston. Connard.
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