Chapitre 11
Une pluie fine se déversait autour de nous, et plusieurs nappes de brouillard s'accrochaient aux troncs. Un temps breton parfait pour un cours en extérieur. Nous avions tous enfilé nos bottes et nos imperméables, avec un bon gros pull en dessous pour faire face à la météo automnale. Si la température ne me gênait pas, j'avais pris l'habitude de me couvrir pour faire plaisir à Mel. Au contraire, nos invités ne s'attendaient pas à devoir suivre une leçon sous la pluie, et ne portaient que des manteaux inadaptés et trop fins. Ils frissonnaient de la tête aux pieds. Leur nuit avait été courte et les grands cernes sous leurs nous nous avait immédiatement fait rire.
— Petit rappel pour les tête en l'air, annonça Kadok. Oui, Aval, je parle de toi. Quel est le meilleur moyen d'attraper un mourioche ?
La main de Gaby fusa, mais s'abaissa presque aussitôt. Sylien l'imita. Tous deux empressés de répondre se retrouvaient face à la dure réalité. Être un élève d'excellence ne donnait pas la science infuse, et ils l'avaient manifestement oublié. Sans doute ignoraient-ils même ce qu'était un mourioche. Ce n'était pas le genre d'espèce enseignée dans les programmes officiels.
Le mourioche, typiquement breton, était une créature humanoïde minuscule à la peau grise et fripée, cornue et bossue, qui possédait la faculté de devenir invisible à volonté. Une vraie petite saleté invasive, qui avait presque disparu aujourd'hui et n'existait plus qu'en quelques nids en Bretagne. Ils étaient peut-être protégés, un groupe avait été repéré sur l'île deux ans auparavant. Hors de question de les garder là : ils allaient être replacés sur une île à proximité, assez fertile pour les accueillir, mais loin de toutes habitations.
— Morgat ?
Je me renfrognai. Pourquoi moi ? Nous savions tous la réponse, ça faisait deux ans que nous luttions contre ces bestioles !
— Ils sortent davantage les jours couverts et ceux de brume. Il faut utiliser un appât et les attraper.
Ce qui donnait toujours lieu à des scènes grotesques où nous glissions dans la boue pour les saisir au vol. Si nous en chopions un chacun, c'était déjà miraculeux.
— Très bien. Quel type d'appât ? Sylien ?
Le silence de l'apprenti du Conseil nous arracha un sourire moqueur. Il nous foudroya du regard.
— Sivi ?
— Des lampes et des chansons paillardes, professeur !
— Des chansons paillardes ? releva Gaby en s'empourprant.
— Parfait. Et pourquoi devons-nous déplacer nos mourioches, Louarn ?
— Ils adorent faire du désordre, grignoter dans les réserves et détruire les circuits électriques, les vêtements et les moteurs de véhicules.
— Prenez tous une lanterne et dispersez-vous. Et n'oubliez pas qu'ils peuvent devenir invisibles !
Nous nous emparâmes de notre lampe personnelle et partîmes dans la forêt assez vite pour distancer nos nouveaux camarades perdus. La pluie se renforçait et je rêvais de me mettre à l'abri. Sous les arbres, le brouillard et le mauvais temps rendaient toute progression plus difficile encore. Les fougères s'accrochaient à nos manteaux. Aval glissa devant moi sur une racine. J'étouffai mon rire et lui tendis la main.
— Aller, on se bouge, le taquinai-je.
Il me tira la langue, désormais couvert de boue, et se releva sans mon aide. Quelle fierté mal placée ! Le pas maladroit de Gaby et Sylien nous parvint. Nous reprîmes notre marche vers le vieux mur en ruine.
— Ur plac'h yaouank am eus kavet, e-barzh ur park hon eus kousket, ar verol vras am eus paket, chantonna mon camarade avec entrain.
Je pouffai devant le choix de sa chanson. Bien sûr, c'était plus facile à retenir que les conjugaisons ! Il me donna un coup de coude dans les côtes.
— Bah quoi ? On doit bien leur faire croire qu'on obéit.
— Rien, rien... Ma lost bras zo bet troc'het dre ar prenestr eo bet sklapet, ur mell ki bleiz zo tremenet ha ma lost bras en deus debret, hag ar c'hi bleiz a zo marvet, continuai-je.
Un craquement mit fin à ma prestation. Le visage hilare de Louarn se planta devant le mien, surgissant depuis un trou dans le mur.
— Ah c'est du propre ! Aucune jeune fille de bonne famille ne devrait connaitre cette chanson.
— Et si tu t'occupais de tes fesses ? riposta sa jumelle, perchée sur le mur.
— Et si tout le monde se concentrait ? fit remarquer Sivi.
Nous nous tûmes, non sans échanger des regards amusés.
— Bien, on s'arrête. Ça sera suffisant pour leur faire croire qu'on a pris cette direction, et ils continueront jusqu'à tomber dans le nid des fausseroles. Le temps que Kadok les sorte de là, on est tranquille pour quelques heures.
Les fausseroles, des petites fées maléfiques, vivaient regroupées en nid au milieu des marécages. Et elles détestaient par-dessus tout voir leurs maisons détruites à cause des vibrations de nos grands pieds.
Je me hissai sur le mur. Repartir à pied tout de suite serait risquer de laisser nos empreintes dans la boue. Aval me suivit, non sans mal, et Sivi ferma la marche.
Les pierres glissaient sous nos pas et il fallait se montrer particulièrement prudent. Aval manqua de tomber à plus d'une reprise. Heureusement, les troncs d'arbres nous servaient de support à distances régulières. Nous atteignîmes un coude et descendîmes de notre perchoir. La terre spongieuse colla à nos semelles. Le temps devenait de plus en plus mauvais et aucun de nous n'avait envie de parler.
— Allez, on avance, ordonna Sivi.
Nous nous précipitâmes dans l'entrée secondaire de la grotte où dormait Aerouant. Dissimulée en tanière animale, elle permettait de rejoindre plus rapidement notre dragon-esprit préféré. Nous nous glissâmes dedans sans nous soucier de nos vêtements. De toute façon, après une chasse aux mourioches, il aurait été bizarre d'apparaitre tout propres.
À l'intérieur, un chemin s'enfonçait dans les entrailles de la Terre. Les murs, décorés d'entrelacs, étaient illuminés par de petites fleurs phosphorescentes et la température était bien plus élevée. Nous nous débarrassâmes de nos impers avec plaisir, les laissant sur un rocher.
Aerouant dormait quand nous atteignîmes son niveau. Loar s'adossa à son ventre gigantesque.
— Enfin un peu de calme, soupira-t-elle.
— On se concentre, ordonna Aval en imitant l'air sévère de Sivi.
Elle le réduisit au silence d'un regard furieux. Il devint coi.
— Louarn, tu peux faire un état des lieux du matériel ?
— J'en ai fait un hier ! bouda-t-il.
— Refais-en un. Je veux être sûre de ce qui nous manque. Tout le monde à son poste.
Je m'assis sur un rocher. Ma mission à moi consistait à m'entrainer à la magie. Le moins pénible et le plus difficile.
Il ne fallut pas cinq minutes avant qu'un son provenant de l'escalier ne nous parvienne. Mon sort s'évanouit dans l'air et nous nous tûmes tous, sur nos gardes. Loar saisit un bout de bois, prête à l'abattre sur l'intrus. Il ne faisait pas l'effort d'être discret.
Au bout d'une éternité, Gaby jaillit du passage.
— J'ai cru que je ne vous rattraperai pas ! avoua-t-elle.
Alors celle-là, je ne m'y attendais pas.
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