6. Connexes
" Ce qui reste de tous les voyages est le parfum d'une rose fanée... "
Cavidan Tumerkan
✨✨✨✨
Grégoire
— Que viens-tu faire ici Constance ?
Elle sort de son énorme 4*4, toute pimpante, et se dirige vers moi depuis ses hauts talons noirs.
— Ravie te revoir aussi Grégoire ! Ton enthousiasme est ... comment dire ... débordant !
Ok. Elle est vexée et ne va pas m'épargner. Ce n'est qu'un juste retour des choses en même temps.
— Bonjour Constance, je me reprends avec un sourire forcé. Veux-tu bien me dire ce que tu fais ici maintenant ?
J'espère que le ton sarcastique que j'emploie de façon exacerbée suffira à lui faire comprendre qu'elle n'est pas la bienvenue.
— Je viens constater que tu as bien pris possession des lieux. Tu es parti sans laisser de message et tu ne réponds plus au téléphone depuis. Alors, je m'inquiétais un peu.
— Et tu ne t'es pas dit que mon silence était peut-être volontaire ?
Elle baisse la tête et ne me répond pas. Je sais que je l'ai blessée et je me déteste d'agir comme ça. Je joue au parfait connard alors qu'elle ne mérite pas ça. Pas après ce qu'elle a fait pour moi.
— J'avais bien compris Grégoire. Mais je pensais au moins mériter quelques explications, tu ne crois pas ?
Bien sûr que oui, je le crois.
Constance est la notaire qui s'est occupée de la succession après l'accident de mon père. C'est elle qui a eu la délicate mission de m'accompagner dans les difficiles démarches de transmission du Domaine. Et heureusement qu'elle était là. Je venais de perdre brutalement mon père, mon unique famille depuis ces quinze dernières années, et je découvrais aussi qu'il n'était pas mon véritable parent, génétiquement parlant. J'étais plus que paumé et son aide a été ma bouée de sauvetage. Elle m'a soutenu et épaulé. Alors, me laissant aller avec elle comme avec peu d'autres, nous sommes vite devenus amis et encore plus vite amants.
— Et moi je pensais que disparaître était une explication assez claire, je lui retourne sans laisser filtrer la moindre émotion.
Elle garde la tête baissée et je vois les coins de ses lèvres se relever dans un sourire de défense. C'est drôle, mais quand je regarde cette femme qui se tient devant moi et que je perçois tout ce qu'elle dégage, le contraste entre nos deux vies me frappe plus que jamais en cet instant. Je ne comprends pas comment j'ai fait pour ne pas le voir avant. Je suis un gars plutôt simple, qui n'a jamais eu d'autre ambition que de vivre une vie qui lui correspond, face auquel se tient cette beauté sophistiquée à faire jalouser plus d'une fille, qui possède en plus d'un esprit avisé, un caractère bien affirmé. Qu'a-t-elle trouvé en moi qui justifie le déplacement jusqu'en Normandie? Je ne comprends pas. Pourtant Constance est jusqu'à ce jour la seule relation sérieuse que j'ai connue. Et c'est tout naturellement que je l'ai laissée me présenter à ses parents, trois mois après le début de notre histoire. Mais c'est aussi à ce moment que j'ai compris qu'elle ne serait jamais plus qu'un flirt.
— Disparaître ? reprend-elle en fronçant des sourcils. Le terme est un peu fort tout de même. Et non, ce n'est pas une réponse Grégoire. C'est un acte. Plutôt lâche d'ailleurs. Et égoïste aussi. Mais je te connais, je sais que tu n'es pas un goujat. Tu es irréfléchi. Irrationnel aussi. Mais tu n'as jamais voulu me faire du mal.
Même si notre histoire a été de courte durée, Constance m'a très vite cerné. Et elle pense, à juste titre, que la présentation à ses parents, amenant officiellement ce que nous vivions comme une relation sérieuse, m'a fait peur. Pourtant, elle se trompe.
— Oui, tu as raison.
— Mais tu es parti. Sans m'avertir. Et je t'avoue que ... ça m'a fait mal.
Le timbre de sa voix se fait plus fragile. Elle ne ment pas, je l'ai vraiment blessée et je ne peux pas continuer ce stupide jeu plus longtemps. Elle mérite mieux que ça.
— J'en suis désolé, crois-moi, je lui réponds alors authentiquement. Mais je pensais que cela te dégoûterait suffisamment de moi pour que tu comprennes que je ne suis pas l'homme qu'il te faut Constance.
— Je t'ai présenté à mes parents, Grégoire!
Elle lâche ça comme si je n'avais déjà pas le sentiment de l'avoir abandonnée après des années de vie commune et je ne sais pas quoi lui répondre. Alors je reste planté là, debout devant elle, fuyant son regard accusateur. Mais comment lui expliquer ce qu'elle ne peut comprendre? Comment lui en vouloir de ne pas avoir vu lors du dîner au sein du gigantesque manoir familial, que ses parents, qui ont très vite montré plus d'intérêt pour la propriété que je possédais depuis peu que pour moi-même, projetaient déjà leur brillante notaire de fille en maître d'hôte du château ? Comment lui reprocher de m'avoir présenté à ses parents comme un riche propriétaire pour que je leur convienne ? Comment éviter à mon cerveau de faire immédiatement le parallèle avec ma propre histoire familiale ? Je ne sais pas mais j'ai pourtant réalisé entre le fromage et le dessert qu'il fallait que cette histoire s'arrête. Aussitôt. D'autant plus que je sentais Constance déjà amoureuse de moi. Et, alors que je refusais jusque là d'accepter le bien dont je venais d'hériter, j'ai compris qu'il était temps pour moi de rentrer en Normandie et d'affronter mon passé.
— Bon, étant donné que je viens de faire près de mille bornes pour tes jolis yeux, je pense avoir au moins mérité le droit de me la jouer un peu touriste ! Tu me fais visiter ? me demande-t-elle en essayant de masquer sa déception face à mon manque de réponse. Et de courage.
C'est officiel, je suis un crétin. Au moins aussi crétin que cette fille est chouette. Elle est capable de dédramatiser la situation en un rien de temps alors qu'elle n'a aucune raison de le faire. Je n'ai pas le droit de lui faire du mal ainsi et de lui faire espérer quoi que ce soit.
— Si tu veux. Je m'apprêtais à aller déjeuner avant de recevoir ton message. Tu peux te joindre à moi si tu le souhaites.
— Une visite guidée et un déjeuner, le châtelain sait recevoir dis-donc !
Je lui souris et nous débutons la visite du Domaine.
*
* *
Une heure plus tard, nous avons fait le tour de la propriété et j'ai encore les yeux qui brillent d'avoir partagé pour la première fois mon projet avec quelqu'un. J'ai du mal à contenir mon émotion et Constance doit le sentir car elle me demande :
— Tu es bien ici alors ?
Je la regarde tout en réfléchissant sincèrement à sa question. Est-ce que je me sens bien ici, dans ce rôle de rentier que je découvre et qui est à l'opposé de ce que j'ai toujours connu? Des tas de raisons me pousseraient à lui répondre que non. Pourtant, de façon toute naturelle, les mots sortent de ma bouche en même temps qu'ils me surprennent.
— Oui. Je crois que je suis enfin à ma place.
Mon retour en Normandie n'a pas été simple mais c'est ma région natale. J'y suis né, y ai grandi et vécu jusqu'à mes dix-sept ans. J'y ai pleins de souvenirs, bons comme mauvais. Alors, même si j'ai le sentiment de devoir faire une nouvelle fois le deuil de la perte de ma mère et que je suis en permanence préoccupé et tendu par cet héritage et la succession de mon père, je me sens quelque part enfin de retour à la maison, comme après un trop long voyage.
Constance n'ajoute rien. Une nouvelle fois, j'ai le sentiment de ne pas l'épargner en lui annonçant indirectement que je ne reviendrai pas. Pas pour notre histoire en tout cas. Et, pour vite échapper à la tension de la situation que j'ai du mal à affronter, je quitte la bâtisse et l'emmène déjeuner.
C'est elle qui relance le sujet alors que nous terminons tout juste nos assiettes.
— Ton projet est merveilleux Grégoire.
— Tu crois? je lui retourne en guise de timide remerciement.
— J'en suis persuadée. Tu as longuement réfléchi à ce que tu pouvais faire de cette propriété et ce simple constat prouve que tu commences à accepter la situation. Je suis fière de toi.
— Tu veux me faire rougir, c'est ça? je réplique en tentant un brin d'humour destiné à la faire sourire un peu.
Et ça marche. Même si elle me prend vite au piège de mon propre jeu.
— Ce serait bien la première fois, et ce malgré toutes les expériences que nous avons partagées.
Il faut savoir que Constance n'est pas vraiment farouche. Elle serait même plutôt du genre exhibitionniste et il est vrai que ces fantasmes m'ont quelques fois surpris, même si j'ai toujours trouvé cela très .... rafraîchissant? Et mon sourire à la pensée de ses souvenirs doit l'inciter à continuer puisqu'elle ajoute :
— D'ailleurs, je retournerais bien au Domaine pour prendre un bain très chaud dans une des salles de bain encore en état. Avec toi bien-sûr...
Elle s'humidifie les lèvres à l'aide de sa langue et fait glisser ses escarpins le long de ma cuisse, remontant ainsi jusqu'à mon entrejambe. Mon instinct me pousse aussitôt à resserrer mes genoux l'un contre l'autre pour l'empêcher de poursuivre son numéro de séduction que je me refuse d'apprécier.
Cette fois-ci, je n'ai plus le choix. Fini de jouer au lâche qui se cache derrière sa peur, je dois amorcer le délicat sujet de notre nécessaire séparation avant qu'elle n'aille plus loin et ne se sente que plus ridicule.
— Arrête Constance. Nous devons discuter.
Mon avertissement n'a pas l'air de la freiner puisqu'elle enroule une mèche de cheveux autour de son index droit, me regarde lubriquement avant de s'approcher de mon visage et de me murmurer à l'oreille :
— Laisse-moi te détendre un peu dans ce bain bouillant et nous serons plus aptes à discuter après, tu verras.
Elle ne compte pas me faciliter la tâche. La garce.
— Si tentante la proposition soit-elle, je me dois de refuser Constance. Je veux être franc avec toi et je pense que nous devons nous séparer.
Ça y est, les mots sont enfin sortis mais je ne me sens pas soulagé pour autant.
Constante se détache pourtant aussitôt de moi, évitant de croiser mon regard.
Je la laisse digérer quelques instants ce que je viens de lui annoncer et à voir l'expression qu'affiche son visage, l'annonce officielle de ce qui était pourtant déjà une réalité, semble douloureuse à encaisser.
— Tu es parfaite Constance. Tu es drôle, belle et sexy, attentionnée, et je crois que sans toi, je n'aurais jamais pu surmonter les épreuves que j'ai eu à traverser ces derniers mois...
— Mais ? me coupe-t-elle, toujours sans oser croiser mes yeux.
— Mais nous ne sommes pas du même monde.
Ça y est, cette simple phrase à réussi à attirer son attention mais pas vraiment comme je l'espérais au vu de la noirceur du regard qu'elle me renvoie. Pourtant, maintenant que je suis lancé, je dois continuer.
— Je suis menuisier Constance. Et même si j'ai hérité de ce magnifique domaine qui va incontestablement changer le cours de ma vie, je veux rester celui que je suis, quelqu'un de simple. Mes parents se sont battus pendant des années pour échapper aux aspirations bourgeoises de mes grands-parents. Leur amour leur a permis de faire face à toutes les épreuves qu'ils ont eu à subir mais ma mère en a payé le prix fort et elle n'a jamais pu être pleinement épanouie tellement elle s'est sentie rejetée par ses propres parents. Mon père s'est toujours cru responsable de cette situation et il a renoncé à son métier pour endosser pendant des années un rôle qu'il n'aimait pas. Ce n'est qu'au décès de ma mère qu'il a pu devenir ce à quoi il aspirait tant, un artisan réalisant son travail par passion et librement. L'amour qu'il portait à ma mère était tel qu'il n'a jamais rechigné et a travaillé sans relâche pour lui offrir un train de vie décent, alors que ma mère l'aimait tellement elle aussi qu'elle aurait supporté de vivre dans un bidonville pour lui, du moment qu'ils étaient ensemble.
Je marque une brève pause, durant laquelle je joue avec les miettes du pain, vestige de notre repas gisant sur la nappe. Constance qui a pris le parti d'en faire autant, n'a visiblement rien à me retourner. Alors, résigné, je poursuis mon histoire, essayant d'être le plus adroit possible.
— Si je te raconte tout cela aujourd'hui, c'est que je ne veux pas faire semblant d'être celui que je ne suis pas. Mon père m'a transmis son savoir faire et la passion qui l'animait à exercer son métier. Mon « père génétique » m'a légué un patrimoine que je n'aurais jamais osé rêver posséder. Mais je ne compte pas me laisser happer par cette richesse soudaine. Je veux en tirer profit c'est sûr, mais en me contentant d'une vie simple. Et si cela me rend heureux de rester menuisier toute la vie, je ne vois pas pourquoi j'en changerais. Tu comprends ?
Cette fois-ci mes mots la font réagir. Elle jette les miettes qui occupaient ses mains, relève son visage vers le mien et me répond avec colère.
— Oui, bien-sûr. Mais je t'avoue que je suis autant surprise que déçue que tu me vois comme une femme vénale. T'ais-je montré une seule fois que je m'intéressais à toi uniquement pour ton argent ?
— Non, jamais. Je pense que tes sentiments envers moi ont toujours été sincères mais la rencontre avec tes parents m'a fait comprendre que nous ne cherchions pas la même chose dans la vie.
— Parce que tu ne cherches pas la personne avec qui la partager ? me retourne-t-elle sur un ton plein de reproches.
— Constance, tu es notaire! Tu es issue d'une famille aisée. Ton rapport à l'argent n'est pas le même que la plupart des gens.
— Je n'ai jamais eu le sentiment que cela te gênait quand je me donnais à toi.
Waouh, elle réplique fort! Je me doutais qu'elle serait une adversaire redoutable mais je dois avouer que sa répartie me prend au dépourvu.
Je ne veux pas rentrer dans une de ces stupides disputes attenantes à la séparation alors je reprends en conservant un ton le plus apaisé possible.
— Stop Constance! Ne t'engage pas sur ce terrain là. Je comprends que mes paroles puissent te blesser. Je t'assure que mes sentiments pour toi ont toujours été sincères également mais je dois être honnête avec toi. Quand tes parents se sont intéressés à moi, ou plutôt au Domaine, voyant là l'excellent parti que leur fille avait déniché, j'ai été dégouté, profondément.
— Mais tu ne vas pas en tenir rigueur à des parents d'être contents que leur enfant n'ait pas à se soucier de son avenir.
— Je te rappelle une nouvelle fois que tu es notaire Constance et que peu importe l'homme que tu épouseras, tu n'auras probablement jamais à te soucier de ton avenir financier.
— Toi non plus à ce que je sache. Tu as dit toi-même tout à l'heure que ton niveau de vie allait considérablement changer. Je ne vois pas où est le problème ?
Elle commence à hausser le ton, si bien que les clients du restaurant assis autour de nous nous lancent de furtifs regards inquisiteurs. Je décide de ne rien ajouter pendant quelques minutes afin de lui permettre de retrouver son calme. Et lorsqu'elle reprend la parole, la colère est effectivement passée mais elle a malheureusement cédé la place à la tristesse. La voix pleine de sanglots, elle reprend alors :
— Je ne peux pas changer mes origines Grégoire. J'ai grandi dans ce milieu et oui, il est normal pour moi de vivre avec certains moyens. Mais je ne pense pas une seule fois t'avoir demandé de m'entretenir. Je suis une femme autonome et tu le sais. Mes
seuls défauts ont été d'avoir toujours été sincère avec toi et d'être tombée amoureuse de toi Grégoire.
Il aurait tellement été plus simple de pouvoir lui répondre la même chose en retour.
— Je sais Constance. Et crois-moi, je pensais partager ces sentiments jusqu'à il y a peu. Mais je ne supporterais pas que tu souffres du rejet de tes parents.
— Mais pourquoi serais-je rejetée par mes parents bon sang ? Toutes les histoires ne sont pas une pâle copie de celle des tiens !
Elle s'énerve de nouveau. Et j'ai de plus en plus de mal à me maîtriser aussi.
— Alors pourquoi m'as-tu présenté à tes parents comme un riche propriétaire ? Savent-ils au moins que c'est un héritage et que je ne tire aucune fierté de celui-ci ? Que je n'ai rien fait pour le mériter ?
— Non. Je ne pensais pas avoir besoin d'aborder cet aspect assez privé de ta vie.
— Tu dois alors aussi considérer mon métier comme une information confidentielle parce qu'ils n'étaient pas au courant que le petit-ami de leur fille n'est qu'un menuisier figure-toi. Et ton père, qui n'a voulu entendre que ce qu'il souhaitait de mon parcours professionnel, crois encore que je suis le gérant d'une menuiserie.
— Tu l'es.
— Malgré moi !
— Ah, tu vois que tu peux hausser le ton aussi !
Argh!! Elle a réussi à me faire sortir de mes gonds! Et ça m'énerve davantage encore.
— Oui, je peux. Je suis en colère Constance. Tu as enjolivé la réalité en dissimulant certains aspects de ma vie pour que tes parents m'acceptent.
Elle ne répond rien.
— Et je ne veux pas vivre une relation de la sorte.
C'est le moment que choisit le serveur pour venir ramasser nos assiettes. Je ne sais pas si je dois l'en remercier ou le fustiger quand je vois Constance tourner son visage vers la fenêtre, les yeux perdus dans le vide. Et bientôt les larmes commencent à couler sur sa joue.
— On va prendre l'air ?
Elle acquiesce en silence par un léger mouvement de tête. Je me lève pour aller régler l'addition puis nous sortons de l'établissement.
Sur la route qui nous amène à mon appartement, je ne peux m'empêcher de constater que le crétin fini que je suis à réussi à blesser deux femmes extraordinaires en moins deux heures. Éloïse, en la plantant misérablement aussitôt après l'avoir invitée et Constance en la quittant péniblement après l'avoir fait aussi espérer. Je suis un idiot et je commence à me demander si je ne suis pas fait pour demeurer solitaire.
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