-13 - Tadhg

Le 05 mai 2024, Montpellier

     Aujourd'hui est le dernier jour.
     Le dernier jour de tout.
     Le dernier jour du cerisier.

     Les médecins nous ont prévenu. Ce n'est plus qu'une question d'heures avant que la dernière fleur ne s'envole.
     Plus qu'une question d'heures, avant que tout s'effondre.
     Une putain de bactérie. Et des poumons bien trop endommagés pour garder encore un espoir qu'ils tiennent jusqu'à une greffe.
     Son état s'est dégradée en un clin d'œil. Une semaine. Une semaine, pour que son rire ne résonne plus contre les murs de notre appartement. Une semaine, pour que son sourire s'affaiblisse, que sa respiration devienne laborieuse, que le jeune cerisier se fasse hospitaliser en pédiatrie, avec une chance plus que faible de voir encore le soleil se lever le mois prochain.

     Sakura est endormie depuis hier matin. Sous respirateur. Reliée à des tas de machines qui permettent de la maintenir encore un peu en vie.
     À quoi bon ?
     Lucile sait que sa fille va s'envoler. Je le sais, moi aussi.
     Mais les médecins sont formels : c'est à cette petite fée de décider du moment où elle voudra rejoindre le pays imaginaire. C'est à elle de décider du moment où ses ailes se coloreront pour la porter loin d'ici.

     La chambre est plongée dans le silence, seulement perturbé par le bruit des machines.
     À l'extérieur, la pluie tombe depuis des heures. Le vent souffle de plus en plus fort.
     À l'intérieur, les sanglots de Lucile me broient le cœur. Mon impuissance face à sa douleur me tue.

     Une heure. Deux supplémentaires. Quatre.
     Une respiration qui s'affaiblit de plus en plus à chaque minute. Puis à chaque seconde.
     La nuit qui tombe. Le mistral qui souffle toujours.

     Et, dans le calme de la chambre de Sakura, Lucile se met à chanter. Doucement, dans un murmure à peine audible, elle conte une histoire qu'elles connaissent toutes les deux par cœur. Les paroles de Mistral Gagnant viennent se coupler à la respiration hachée de Sakura.
     Et puis, au milieu du dernier refrain, un dernier soupir.
     Un hurlement déchirant, celui d'une mère qui perd son enfant.
     Elle s'écroule, littéralement. Elle serre encore plus la petite main de son joli cerisier, son poing dans la bouche pour retenir ses cris.

     La mucoviscidose a gagné. Elle a emporté une autre victime dans la tempête.

     Je peine à retenir mes larmes, moi aussi. Impuissant face à la douleur de Lucile, elle se dégage lorsque j'essaie de la prendre dans mes bras, se relève légèrement et serre le corps inerte de sa petite fille contre son cœur, la berçant encore et encore, comme pour la ramener à la vie.
     Elle lui murmure des mots qui n'appartiennent qu'à elles, jusqu'à ce qu'une infirmière arrive et tente de faire lâcher prise à Lucile.
     — Laissez-lui encore quelques minutes, s'il vous plaît, demandé-je doucement, de peur de briser la bulle formée autour des deux femmes les plus fortes que je connaisse.

     Les quelques minutes se transforment en demi-heure. Puis en heure.
     Lucile finit par reposer sa fille dans son petit lit, ne détachant pas une seule seconde son regard d'elle.
     Ses larmes coulent à nouveau lorsqu'on amène le corps de Sakura. Je n'ai jamais vu autant de douleur dans ses yeux, autant de fatigue sur son visage. Elle s'est battue pendant six ans pour donner la vie la plus longue possible à sa fille, et je sais qu'elle a l'impression d'avoir échoué.
     Elle vient se blottir dans mes bras, sa tête reposant contre mon cœur tandis que je la serre aussi fort que possible contre moi.
     Ce soir, la souffrance de Sakura s'est envolée, et est venue se poser sur Lucile.
     — Je suis là, mo ghrá. Je serai toujours là.
     Je dépose mes lèvres sur son cuir chevelu, la laissant déverser toute sa peine sur moi. Pourtant, je sais qu'elle n'a aucune raison de s'en vouloir : Sakura, du haut de ses six ans, a réussi l'exploit de nous faire tomber amoureux, de nous faire former une famille, tous les trois, pour quelques mois.
     Les moments les plus précieux de ma vie ont été avec elles.
     Elle a vu les cerisier fleurir au Japon, comme sa mère le lui avait promis.
     Et désormais, elle est devenue l'une de ces fleurs.

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