Pas à pas

Je n'ai plus envie de rien, en ce moment. Cela ne fait que quelques heures que nous nous sommes éloignés, mais j'ai l'impression que je suis encore au sein de notre groupe, en train de sourire, en train de redouter le moment fatidique. Parce qu'hier soir, ma plus grande crainte s'est réalisée.

Je reste seule à la maison, en pyjama, devant ma tasse de chocolat chaud et mes photos. Aujourd'hui, pas d'obligations, je peux faire ce que je veux. Alors j'ai mis un gros pull, mes pantoufles, et je m'enfonce dans le fauteuil en observant ces visages immortalisés qui reflètent ces nombreux moments passés ensemble. On ressemblait à ça, il y a 7 ans ? C'est fou comme le temps passe vite. Tous ces trésors font remonter des souvenirs à la surface. Le jour où nous nous sommes rencontrés pour la toute première fois, notre première sortie tous ensemble, le jour où nous avons construit une cabane et que nous en avions fait notre repère, les jour où nous avons fait cette merveilleuse bataille d'eau, où d'autres enfants sont venus nous rejoindre. Ces longues après-midi, où nous ignorions la vie et le temps pour se consacrer entièrement à nos sourires. Ces moments insignifiants, qui deviennent maintenant si précieux : quand on rentrait des cours à vélo, tous ensemble, et qu'on hurlait l'arrivée des vacances. Ces promenades en forêt, devenues une habitude, où on courrait partout comme des fous. Ces jours de pluie, où on restait devant la fenêtre, à regarder la pluie qui tombe, avec un jeu de carte dans une main et des gâteaux dans l'autre. Toutes ces journées qui figurent maintenant dans notre dos.

Je dois poser ma tasse, ma main tremble trop. J'ai la vue brouillée par les larmes et les lèvres collées l'une à l'autre dans une étreinte retenant mes pleurs. Mon coeur se serre et je suis obligée de me lever pour aller chercher des mouchoirs : c'est à ce moment que je suis heureuse que mes parents ne soient pas là pour me voir me morfondre sur le bon vieux temps. Ils jugent que je suis trop sensible et trop tournée vers le passé, que c'est un poids pour moi et que je ne peux pas avancer en le traînant derrière moi. C'est vrai. Chers parents, vous avez complètement raison. Je serai ainsi toute ma vie et plus tard, je serai une vieille dame entourée de chats, de chocolats chauds, de gros pulls et de pantoufles, et je regarderai ces photos, ces preuves des étapes de ma vie, avec des visages que je ne reconnaitrai même plus, des histoires dont il me manquera la fin. Parce que les souvenirs sont éphémères, ils deviennent précieux. C'est pareil pour les vies humaines. Ces personnes qui sont autour de moi, elles me sont si précieuses, je ne veux pas m'en séparer, je ne veux pas les oublier. C'est pourquoi il m'est vital de les revoir, de savoir que je n'ai pas rêvé, durant tout ce temps, qu'elles étaient bien à mes côtés, réelles, et que ces moments passés ensemble se sont réellement produit, qu'ils ne sont pas pure invention d'un esprit solitaire. Et ces photos en attestent. Je veux me souvenir, je ne peux pas les oublier, toutes ces choses qui me sont importantes. Sinon, à la fin, que me restera-t-il, à part des pulls et des pantoufles ? Sinon, à quoi m'accrocher, quand je me sens seule ?

A quoi ça sert d'avoir des souvenirs, si on ne se plonge jamais dedans ?

Si on ne se souvient pas, si on ne se remémore pas tous ces instants, ils disparaissent et cela laisse un gouffre non seulement en nous, mais aussi au sein des personnes concernées. Si ces souvenirs ne nous reviennent pas en mémoire, à quoi cela a-t-il servit de vivre cet instant ? Ces moments immortalisés au fond de notre être sont la raison même pourquoi la vie est précieuse, pourquoi le monde autour de nous possède cet éclat de beauté qui ne s'ouvre qu'à ceux qui veulent le voir : tout cela nous remémore que le temps passe, et qu'il faut profiter de ce qu'on a maintenant, et qu'on ne retrouvera pas plus tard.

Notre vie est une fleur qui s'éclôt à chaque saison, mais qui finit par faner. Seul nous reste le souvenir de cet éclat incroyable, qui nous fait attendre la prochaine floraison.

Et on avance, à notre rythme.

Pas à pas.

Souffle après souffle.

Souvenir après souvenir.

On continue notre vie avec nos fantômes à nos côtés.

Et on avance.

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