Cauchemar

Une mer de questions déferlait dans ma tête, certaines sans réponses, d'autres accompagnées de doutes.

Que se passait-il autour de moi ? Je m'étais subitement retrouvée seule, traversée par des gens, tel un fantôme dans un film d'horreur. Ma première hypothèse avait été l'hallucination : quelle autre explication, à moins d'un monde inventé par mon esprit, loin de la réalité ? Mais la réponse de mon compagnon à ma question muette avait relégué cette possibilité en arrière-plan : je n'étais pas la seule à avoir vécu cette expérience. Quelle autre explication alors ? Ce garçon faisait-il aussi partie d'une hallucination ? Ce n'était pas la réalité ou, tout du moins, pas la mienne. Et puis, lui avait finalement fini par me voir, par me toucher : peut-être étais-je enfin sortie de cette mésaventure. Oui, que faisais-je à le suivre comme ça, parce qu'il m'avait adressé la parole ? Peut-être que tout le monde me voyait à présent, qu'il n'était seulement que la première personne à me l'avoir fait remarquer.

Je regardais son dos, méfiante. M'étais-je fait avoir ? Mais comment aurait-il pu savoir ce que j'avais alors vécu ? Ça n'avait aucun sens.

Tout cela n'avait absolument aucun sens.

Autour de nous, la rue ensoleillée par le soleil de midi. Des voitures circulaient sur la route, des personnes marchaient sur le trottoir, les yeux rivés au loin, ou bien sur leur portable. C'était une matinée aussi ordinaire qu'elle aurait pu l'être.

M'éloignant du chemin que le garçon me traçait, je regardais une vieille dame qui tirait son chariot de course. Au milieu du passage piéton, elle semblait peiner à tirer son cadis trop lourd pour ses maigres bras. Je m'avançai vers elle : ce geste était autant un test qu'une action simplement bénévole.

-Excusez-moi, puis-je vous aider ?

Je l'observais, attendant une réponse alors que les chauffeurs s'impatientaient, mais elle était trop occupée à ramasser un sac qui s'était échappé du reste de ses courses. Sentant le temps s'égrener et les moteurs surchauffer, je me portai à son secours, posant ma main sur les siennes, tirant le chariot vers le trottoir. Mais ma main ne se referma que sur la barre de métal qui ne s'avança même pas d'un millimètre malgré toutes les forces que j'y mettais. Sa peau ridée n'avait aucune consistance sous mes doigts, son alliance en or ne provoqua pas la moindre sensation de froid dans ma main. Rien. Juste des picotements légers et un frisson de peur qui parcourait mon corps. Je m'éloignai d'elle, horrifiée par ma nouvelle découverte : je n'étais pas du tout sortie d'affaire.

Alors je la regardai, moi sur le trottoir, elle sur la route, peinant avec le poids derrière elle et personne pour l'aider, mais pourtant, je pense que c'est moi qui me sentait la plus seule.

Plus rien n'importait à mes yeux : la vieille dame qui avait besoin d'aide, le feu qui passait à nouveau au rouge, les chauffeurs qui criaient, l'homme qui descendit finalement de la voiture pour porter secours à cette personne innocente victime de son seul âge, les passants qui ne jetaient pas un regard autour d'eux, le vent qui soufflait dans les arbres. Plus rien. C'était là, au milieu de cette scène du quotidien, avec un tas de spectateurs, que je mesurais le poids de ma solitude. Personne ne m'avait vue, ce n'était même pas la peine de vérifier. Dépitée, je portai alors mon regard vers ma droite, où s'étendait l'avenue principale de la ville. Si je suivais cette rue et que je tournais à droite, je pourrais alors rejoindre ma maison en moins de vingt minutes. Cela me servirait-il ? Rejoindre mon chez-moi, ma famille. Cela m'aiderait-il à sortir de mon cauchemar ?

Deux questions se présentaient alors à moi, ne prenant même pas la peine de m'épargner dans ce moment de trouble. Pouvais-je vraiment me débarrasser de ces évènements dépassant la réalité ? Et alors, quelque soit la réponse, que devais-je faire ?

Je ne pris même pas le temps de réfléchir et titubai, mettant malgré tout un pied devant. Cela servait-il vraiment à quelque chose ? Mettre un pied devant m'aiderait-il à m'éloigner de cette horrible solitude ?

Mon pied gauche suivit le mouvement, contre son gré. Lui comme moi savions que ça ne servait à rien. Aller chez moi ne m'apporterait rien, sinon m'anéantir en voyant que même mes parents ne reconnaissaient pas leur fille. Voir le décor si familier de ma chambre en sentant que ma place n'y était pas ne m'aurait pas été bénéfique.

Mon pied droit s'avança. Que pouvais-je faire d'autre ? Je n'avais nul part où aller, rien à faire, personne à qui m'adresser. Personne ?

Un élan d'espoir me traversa la poitrine. N'avais-je pas quelqu'un qui avait pu me voir et me parler ? Quelqu'un à qui j'avais pu adresser la parole en sachant être entendue ? Je me retournais, mon regard porté sur l'autre côté de la rue, devant le lampadaire où j'avais laissé mon compagnon. Mais il n'y avait personne. Ou du moins, personne qui pouvait s'apercevoir de ma présence. Je regardais ce vide, cette place où normalement il aurait dû se tenir, où j'aurais dû le rejoindre pour continuer ma route, accompagnée. Mais cette place n'existait pas.

Un chuchotement me fit tourner la tête. Je me retrouvais nez à nez avec une main, paume tendue vers mon visage. Je reculai, regardant non pas ces longs doigts, mais leur propriétaire : le seul en qui je pouvais plonger mon regard tout en sachant qu'il me le rendrait. Toujours prise par le doute, je tenais ma main contre moi-même, trop effrayée par une ultime déception. Il m'incita du regard, m'encourageant à toucher sa main. Je hochai négativement la tête, et il dû lire dans mes yeux que j'avais trop peur. Beaucoup trop peur de ressentir ces picotements et ce frisson de solitude qui parcourait alors mon corps, me figeant dans un état où ce qui m'entourait devenait flou, me laissant me noyer dans un désespoir sans jamais toucher le fond, perdant mes dernières bouffées d'air dans des questions silencieuses qui martyrisaient alors mon coeur meurtri. Non, je ne pouvais m'y résoudre. 

Il m'adressa un sourire, un doux sourire qui s'alliait à des yeux pétillants. Voulait-il vraiment que je touche sa main ? Il avait l'air si sûr de lui... Peut-être... Peut-être qu'il était vraiment le seul en qui je pouvais abandonner mes doutes... Peut-être n'avais-je pas eu tort de le suivre ?

Se dépliant lentement, mes doigts se tendirent vers sa paume ouverte de laquelle semblait émaner des ondes positives, si belles dans mon univers si sombre. Mes doigts frêles, si fragiles, tremblant à peine, s'avançant lentement dans l'espace qui nous séparait. Plus mon bras se tendait, plus sa paume semblait s'éloigner. "C'est impossible de la toucher" me dis-je.

Mais mes doigts finirent par atteindre leur cible, se posant délicatement sur cette peau étrangère, si douce. Hésitante, j'y collai alors ma main entière, prise d'un élan soudain. Ce n'était pas un rêve. Je n'étais pas seule, j'en avais maintenant la certitude. Le suivre n'était pas un erreur. Un soulagement apaisant m'envahit et je me redressai lentement sur mes pieds. Il me prit délicatement la main et m'entraîna derrière lui.

-Tu sais, je ne suis pas le seul, me dit-il, me regardant d'un air confiant.

Son dernier clin d'oeil avant notre élan s'accompagna d'une soudaine excitation, et je me retrouvai alors impatiente de savoir où il m'emmenait, quelles aventures nous allions découvrir.

Et coûte que coûte, je trouverai un échappatoire à ce doux cauchemar.

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