XI. Aegir
Mythologie nordique
Géant marin, père de neuf filles représentant les vagues
samedi 24 mai
— Une dernière en dessert ?
Gabriel releva des yeux brillants de gourmandise.
— Beurre sucre !
Leur mère se leva en riant et attrapa la louche.
— Théo ?
— Pas pour moi, je suis plein.
Christelle hocha la tête tout en remuant la pâte à crêpes. Ils avaient l'habitude de se retrouver autour de la crêpière une fois par mois, après avoir préparé la pâte ensemble dans l'après-midi. C'était presque devenu un rituel familial.
La pâte crépita au contact de la chaleur de la crêpière. À l'aide du râteau en bois, leur mère l'étala dans un cercle presque parfait, grâce à un mouvement du poignet qu'elle perfectionnait depuis des années. Sous le regard des deux garçons, la pâte se mit à cuire doucement. Christelle finit par retourner la crêpe avant de la badigeonner de beurre. Le sucre fut ajouté quelques secondes plus tard et la crêpe atterrit dans l'assiette de Gabriel.
— On se met un film ensuite ? proposa la mère.
Les lèvres couvertes de sucre, Gabriel hocha vivement la tête.
— C'est à Théo de choisir, précisa-t-il.
— Je sais jamais quoi regarder...
— Alors réfléchis pendant qu'on fait la vaisselle ! s'amusa Christelle.
Alors que son frère finissait en vitesse son dessert, Théo commença à débarrasser. Il avait envie d'un film plutôt drôle, qui lui laisserait une bonne impression après son visionnage. Quelque chose qui lui permettrait de s'endormir le sourire aux lèvres.
Gabriel lui tendit son assiette et ses couverts, l'aidant à rapatrier la vaisselle sale dans l'évier. Ils utilisaient rarement leur lave-vaisselle, préférant nettoyer à la main. C'était surtout pour la famille l'occasion de discuter tranquillement. Chacun était concentré sur sa tâche, et c'était parfois l'occasion de discuter de sujets délicats. Personne ne vous fixait, vous pouviez prendre votre temps pour parler.
— Tu as vu avec tes propriétaires pour le déménagement ? lança la mère, tout en nettoyant la table.
Théo observait l'évier se remplir d'eau chaude. Il avait eu la chance de trouver un studio pour pas trop cher, à quelques minutes de tram de la fac.
— Ils me donnent les clés mi-août, on aura un peu de temps avant la rentrée pour m'installer.
— Je pourrais venir te voir les week-ends ? demanda son cadet.
— Si t'as pas trop de devoirs, petite tête. Et si maman est d'accord.
Tout en essuyant les assiettes propres, le plus jeune leva le nez vers sa mère. Elle hocha la tête avec un sourire. Gabriel serra le poing en guise de victoire.
— Tu vas voir, on se fera des super soirées rien que tous les deux, le teasa Théo. Je t'emmènerai visiter la ville, tu vas adorer.
Théo y avait déjà été pendant les vacances de printemps, pour visiter quelques appartements. Il était tombé sous le charme des grands bâtiments de pierre, entre lesquels serpentaient des centaines de petites rues. Même s'il appréhendait d'habiter seul, il avait envie de faire partie de cette ville.
— Bon, alors, ce film ?
Christelle sortait les couverts pour le petit déjeuner. Deux bols, trois tasses, trois cuillères. Chaque soir, elle préparait la table pour le lendemain.
— Un truc léger. Mais je sais pas quoi exactement.
— On va regarder ensemble, tu nous diras si tu vois un truc qui te plaît.
Théo rinça l'évier alors que son cadet essuyait les verres. Un dernier coup d'éponge et la cuisine était nickel.
En attendant que Gabriel range les derniers couverts, Théo s'approcha de sa mère, qui observait le jardin par la fenêtre. La tempête avait bousculé quelques arbres sur l'île, mais ils n'avaient pas eu trop de dégâts, à part quelques débris qui avaient volés jusqu'ici. Ils avaient nettoyé le terrain dans l'après-midi.
Repensant à l'intuition que sa mère avait eue, Théo appuya sa tête sur son épaule.
— Tu vois, la tempête est passée et tout va bien.
Christelle ébouriffa doucement les cheveux de son fils.
— Oui, tu as raison. Tout va bien.
Elle laissa tout de même un soupir lui échapper.
— Tu as toujours ce mauvais pressentiment ?
— Il est presque parti. Mais j'ai l'impression qu'il plane toujours.
Sa mâchoire se crispa.
— Comme une ombre, murmura-t-elle.
— J'ai envie d'un chocolat chaud, les coupa Gabriel. Tu m'en fais un ?
Théo attrapa son cadet par les épaules et le poussa vers la cuisine.
— Tu pourrais le faire toi-même, râla-t-il gentiment.
— Les tiens sont meilleurs !
Les deux frères échangèrent un rire.
— Alors je te montre et tu le feras toi-même la prochaine fois.
Gabriel haussa les épaules, ce qui fit sourire son aîné. Théo attrapa tout ce dont il avait besoin et s'installa sur la table.
— Regarde. Tu commences par mettre le chocolat, deux cuillères, pas plus. Et tu rajoutes un peu de lait. Juste ce qu'il faut pour bien mélanger.
À ses côtés, Gabriel observait ses gestes, attentif.
— Ensuite, tu peux ajouter le reste du lait. Ne remplis pas jusqu'au bord, sinon ça va déborder.
Il prit la tasse et la plaça dans le micro-ondes.
— Deux minutes, ça suffit pour que ce soit chaud pile comme il faut.
— C'est tout ?
Un sourire énigmatique se forma sur ses lèvres.
— Attends de voir mon ingrédient secret.
Lorsque la sonnerie du micro-ondes se déclencha, Théo récupéra la tasse et attrapa un paquet dans le placard.
— Deux cuillères de sucre glace. Et tu mélanges bien !
Les yeux brillants, le cadet observa le sucre fondre dans le lait chaud.
— Et c'est fini, conclua Théo.
— Cool ! Merci !
Gabriel attrapa la tasse avec précaution et se dirigea vers le salon. Les deux frères se laissèrent tomber sur le canapé, où les attendait leur mère, installée sous un gros plaid. Elle l'étala sur ses enfants, créant une bulle de chaleur et de douceur autour d'eux.
Lorsqu'ils regardaient un film tous les trois, ils s'installaient toujours de cette manière. Gabriel au centre, entouré des deux membres de sa famille, dans la même disposition depuis qu'ils étaient petits. Un cercle de protection autour du plus jeune, leur lien familial devenu physique. Un rituel mis en place depuis le départ du père, un moyen de ressouder les liens.
— Tu as dit un truc drôle, murmura Gabriel en lançant la télévision.
— Regarde dans les animations, suggéra Théo.
Son frère s'exécuta, passant les affiches de films.
— Oh, attends, cherche les Pixar.
— Ok... Voilà.
Une affiche bleutée s'afficha, sautant aux yeux de Théo.
— Ah, celui-là. Luca.
— Ça marche !
Gabriel lança le film avant de remuer pour s'installer correctement, sa tasse réchauffant ses mains. La famille fut transportée en Italie, enchaînant rires et moments d'émotions. La place centrale de l'océan ravit Théo, qui se retrouvait dans les héros, voulant parcourir le monde à leurs côtés.
Gabriel éclata de rire après une réplique.
— Santa Mozzarella ! répéta-t-il, jetant son bras en avant pour plus d'effet.
Le rire des trois blonds résonna dans la maison. Le film d'animation se termina sur une belle fin, qui toucha Théo, même s'il ne l'avouerait jamais. Les deux héros lui rappelaient terriblement ce qui l'attendait après le lycée : une séparation triste, mais nécessaire, avec les personnes qui faisaient son bonheur au quotidien.
— Allez, je file au lit, les informa Christelle. La journée a été longue.
Elle s'étira en se levant. Théo l'imita, comptant se pelotonner dans sa chambre. Passant près de la fenêtre, il jeta un œil vers l'extérieur. Un croissant de lune éclairait parfaitement les alentours, beaucoup plus calmes depuis le passage de la tempête. Sa mère se plaça à ses côtés et posa sa main sur son épaule.
— Ça va, mon chéri ?
L'adolescent hocha la tête, lui offrant un léger sourire. Finalement, sa couette ne lui faisait plus envie.
— Ça te dérange si je vais faire un tour ? Il fait encore bon...
Christelle ne put empêcher un soupir inquiet de sortir de ses lèvres.
— Tu fais comme tu veux, lui sourit-elle. Mais sois prudent, c'est tout ce que je te demande.
— Je sais, ne t'inquiète pas, la rassura-t-il en pressant sa main.
Voyant du coin de l'œil son frère, Théo lui fit un petit signe.
— Ça te dit de faire un tour avec moi ?
Gabriel tenta de réprimer un bâillement, sans succès.
— Pas cette fois, je suis crevé. Mais demain ?
— Je te réserve ma journée ! lui promit-il.
Théo embrassa sa mère et fila dans l'entrée pour récupérer sa veste et son casque. En sortant, il fit un petit signe à sa mère, qui l'avait suivi à l'extérieur. Elle le regarda partir vers le garage depuis le porche, tentant de contrôler cette ombre qui planait dans ses pensées. Mais en voyant son fils sur sa moto, lui adressant un grand signe enthousiaste, elle oublia son pressentiment et lui sourit en retour.
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