X. Borée
Mythologie grecque
Représentation du vent du noir, froid et annonciateur de l'hiver
samedi 24 mai
Théo inspira doucement. L'air salé emplit ses poumons tandis que le vent fouettait sa peau. Sous ses pieds nus, les grains de sable crissaient.
La plage était vide malgré le soleil matinal du week-end. Seul résonnait le ressac des vagues. La tempête qui avait frappé l'île avait lavé les routes et les habitations. À présent, l'océan était calme, vide de toute cette fureur qu'il avait éprouvé ces derniers jours.
Avançant un pied, puis l'autre, Théo atteignit l'écume, dont le contact lui arracha un frisson. L'eau salée finit par lui englober les chevilles, avant de les libérer pour mieux les entourer quelques secondes plus tard.
— Salut, toi, murmura-t-il face à l'océan.
Théo avait toujours apprécié ce lent va-et-vient que rien n'arrêtait. C'était d'une régularité rassurante. Ce rythme incalculable, cette entité qui ne partait jamais vraiment. L'océan était comme un vieil ami qui ne vous lâchait jamais. Une présence qui avait ses colères et sa bienveillance, qui serait toujours à vos côtés, à chaque instant de votre vie.
Théo ne se voyait pas vivre loin de l'océan. Il s'imaginait déjà dans une maison au bord de la mer, contemplant les vagues depuis le porche de la demeure.
Son pied écrasa un coquillage, qu'il sentit s'enfoncer dans le sable. Il ferma les yeux et se concentra sur ses autres sens. Le son du ressac. L'odeur de la mer. Les assauts du vent contre sa peau. Le sel de l'océan sur ses lèvres.
Toute la violence de cette matinée l'entourait. Mais cela ne parvenait pas à le couper de ses pensées.
En se levant ce matin, il avait éprouvé cette sensation étrange de voir le temps filer beaucoup trop vite. Dans quelques mois, il ne serait plus là. Il ne pourrait plus venir sur cette plage dès que l'envie l'en prendrait. Il passerait sa vie dans un petit appartement, au lieu de profiter de son île natale.
Il ne pourrait plus prendre son petit frère dans ses bras dès qu'il en ressentirait le besoin. Il ne pourrait plus voir le sourire de sa mère chaque matin.
Il serait seul.
Lorsqu'il ouvrit les paupières, une goutte salée s'échappa. Elle roula sur sa joue, avant de glisser sur sa mâchoire et tomber dans l'eau. Elle se mêla à l'océan et disparut aussi vite qu'elle était apparue.
— Bordel, souffla-t-il, d'une voix presque inaudible.
Parfois, il ressentait ce sentiment indescriptible. Comme si un pieu était planté dans son cœur, ou s'il était enserré par un étau. Et il ne pouvait rien faire pour qu'elle parte, à part attendre, attendre que cela passe. Cela pouvait prendre quelques minutes ou plusieurs heures. Cela pouvait partir sans qu'il ne fasse rien, ou parce qu'il pensait à autre chose. Il n'y avait pas de solution miracle. Il fallait juste supporter en serrant les dents.
Pourquoi ça fait si mal ?
Il appuya son poing contre sa poitrine, se focalisant sur sa respiration. Peut-être qu'en parler rendrait les choses moins difficiles. Mais comment expliquer que l'on va parfois mal lorsque l'on est toujours souriant habituellement ? Toujours à bouffer la vie à pleine dents ?
Chaque fois qu'il se sentait ainsi, il posait un masque sur son visage et forçait le coin de ses lèvres à remonter. Parce qu'il devait montrer qu'il était heureux. Il devait montrer qu'il était bien.
Il devait cacher cette fissure qui existait en lui.
Théo eut soudainement envie d'hurler. De gueuler à l'océan qu'il allait mal. Lui pourrait le comprendre. Lui ne le jugerait pas. Avec ses tempêtes inexplicables, ils étaient similaires. Comme deux êtres que personne d'autre ne pouvait comprendre.
Théo inspira lentement. L'air de la mer gonfla ses poumons, remplit ce vide qu'il éprouvait. L'océan l'avait toujours apaisé.
Il se força à bouger – il aurait pu rester des heures ainsi, immobile – et longea le rivage. Les vagues s'amusaient avec lui, le suivant dans son cheminement. L'adolescent n'avait pas de but. Il voulait simplement marcher, s'évader durant quelques minutes. Peu importe s'il allait loin ; après tout, il était sur une île. Il reviendrait toujours à la maison.
Au-dessus de lui, une mouette jouait avec les nuages. Dans ses rêves, il s'imaginait souvent à la place d'un oiseau, à virevolter dans les airs, à s'envoler pour découvrir le monde. Il volait sous le soleil couchant, traversait les orages d'un battement d'aile, se laisser soulever par les vents chauds du sud. En oiseau, Théo se rêvait libre. Libre d'aller où bon lui semblait. Libre d'explorer où il le désirait.
Libre de ne plus ressentir cette pression dans le cœur.
Un rire l'interrompit dans ses pensées. La plage, jusqu'alors vide, vit débarquer un petit bonhomme haut comme trois pommes, suivit par ses parents. L'enfant courut jusqu'à la mer, un sourire béat sur les lèvres.
— C'est froid ! cria-t-il lorsque les vagues touchèrent ses orteils.
Mais il ne s'arrêta pas de rire pour autant, et avança même encore un peu plus dans l'océan.
Le bambin rappela des souvenirs à Théo. La mer avait toujours été présente dans son enfance, présence rassurant et immuable. Sur la plage, il avait vécu ses premiers rires, ses premières larmes, ses premières colères. Il avait follement aimé ses parents, il avait détesté son père d'être parti, il avait hurlé de rire avec ses amis.
Et puis il l'avait fait découvrir à Gabriel. Son frère n'était pas aussi passionné que lui par l'océan, mais il avait été fasciné la première fois qu'il l'avait vu. Théo se rappelait encore ses yeux brillants d'excitation devant l'étendue bleutée. Elle faisait toujours le même effet la première fois qu'on la voyait.
Ils y avaient passée tous leurs étés. Dès que le soleil estival revenait, ils n'en décrochaient plus.
Avec un sourire nostalgique, Théo remonta sur la plage, quittant l'océan. Il s'allongea dans le sable, les bras croisés sous sa nuque. Tout en inspirant, il ferma les yeux. Sa respiration se rythma sur le bruit des vagues.
— Hey.
Il rouvrit les paupières et aperçut une tête blonde au-dessus de lui.
— Je peux m'incruster ? demanda Gabriel.
Théo hocha la tête. Installés côte à côte, les deux frères observèrent le ciel en silence. Quelques nuages y défilaient lentement. La mouette passa au-dessus d'eux, faisant résonner son cri. Au loin, le rire du petit garçon s'envolait.
— Tout va bien ? finit par demander le cadet.
Un sourire se forma sur les lèvres de Théo, alors qu'il fermait les yeux de nouveau.
— Oui, t'inquiète, petite tête...
Il avait envie de dormir. Juste pour faire taire ses pensées pendant un instant.
— Tu sais, tu peux me dire quand ça va pas. Moi aussi, je suis là pour toi.
Cela réveilla Théo, qui observa son frère, joue contre le sable.
— Et bah, t'as grandi, toi, murmura-t-il. Il est passé où, mon petit frère qui s'enthousiasme toujours de tout ?
Gabriel laissa un petit rire amère lui échapper.
— Il est pas loin, il a juste compris que son grand frère allait mal parfois, et qu'il devait le soutenir dans ces moments. Comme toi quand tu es là pour moi.
Il tourna la tête à son tour, fixant Théo.
— Je vois bien quand ça va pas. C'est juste que... Je voulais pas te déranger, et ça avait l'air de passer au bout d'un moment. Mais là, tu pars bientôt, et j'ai pas envie de te laisser tout seul.
Théo reprit son souffle, avant d'appuyer son index sur le front de Gabriel.
— Tu réfléchis beaucoup, dis donc.
— Toujours trop, plaisanta-t-il à moitié.
Ils se tournèrent face au ciel une seconde fois. La mouette solitaire avait retrouvé ses semblables. Elles volèrent au-dessus d'eux, se dirigeant vers l'océan. C'était l'heure de la pêche.
— C'est malin, maugréa le plus jeune, j'ai du sable plein la joue...
Le rire moqueur de l'aîné lui valut un coup dans le bras. Un nouveau silence s'installa, cette fois plus apaisé. Théo remua pour appuyer sa tête sur l'épaule de Gabriel. Son mal-être n'était pas totalement parti, mais le poids sur son cœur semblait plus léger.
— Merci, petit frère, chuchota-t-il.
— De rien.
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