VII. Abzu
Mythologie mésopotamienne
Personnification de l'eau douce souterraine,
considéré comme le lieu où naissent les dieux et les hommes
lundi 19 mai
Avec un soupir, Théo lâcha la malle sur son lit. Des moutons de poussières s'envolèrent avant de retomber sur sa couette. L'adolescent s'étira, peu habitué à transporter des affaires aussi lourdes.
Il s'affala sur le matelas et tira la malle pour placer la serrure face à lui. En un tour de main, il ouvrit les deux verrous, de vieux clapets qui tenaient encore miraculeusement malgré les années. La malle s'ouvrit en expulsant un air renfermé, ce qui fit tousser Théo.
— Punaise...
Une fois son souffle reprit, il attrapa la couverture qui servait à recouvrir le trésor de la malle pour le révéler à ses yeux. Des albums de famille, quelques bidouilles, des dessins des garçons, plusieurs petits jouets... Sa mère y avait accumulé une grande partie de son enfance et celle de Gabriel.
— Hey, Mr Plouf... Qu'est-ce que tu fais là ?
Il attrapa le pingouin qui lui avait servi de doudou pendant des années. Avec un sourire nostalgique, il le dépoussiéra et le posa à côté de lui. Mr Plouf allait être réintégré à son poste : il était officiellement à nouveau son doudou. Pas question de l'enfermer dans cette malle pour l'éternité.
Les premiers chaussons de Gabriel étaient coincés à côté de son bonnet de bébé. Théo tira quelques dessins, en reconnut un ou deux, n'avait aucun souvenir des autres. La mémoire des enfants était si floue. C'était peut-être pour cela que les parents gardaient autant de souvenirs.
Il finit par attraper ce qui l'intéressait : le grand album photo. Pour la remise des diplômes, il devait fournir une photo de lui enfant. Il y en avait plusieurs dans la maison, mais Théo voulait retrouver celle qui capturait sa première balançoire. C'était la première fois qu'il avait ressenti une telle liberté, et ce moment l'avait marqué au fer rouge. Il tenait absolument à retrouver cette photo, qui retranscrivait parfaitement ce qu'il était.
Il commença à tourner les pages qui démarraient à sa naissance. Sa mère avait commencé cet album à cet instant précis – un nouveau livre pour une nouvelle vie. Elle avait voulu faire de même avec Gabriel, mais s'était ravisée : les deux garçons avaient été inséparables dès la naissance du cadet. Faire deux albums photos, c'était séparer ces deux vies intrinsèquement liées.
— Et bah, j'étais vraiment moche.
Des joues fripées, un nez froncé sur toutes les photos, avec un supplément bave au menton. Un vrai petit ange.
— Maman se voile la face quand elle dit que j'étais mignon...
Théo laissa un rire lui échapper.
— Heureusement que j'ai grandi !
En tournant les pages, il retrouva ses grands-parents, un oncle et une tante, quelques cousins... La famille s'était déplacée en grandes pompes pour voir l'affreux gnome qu'il était.
— Ils ont dû être déçus ! s'amusa-t-il.
Et puis, sur la page suivante, un homme aux cheveux bruns. Les mêmes yeux verts que les siens. Et un sourire qu'il n'avait pas vu depuis longtemps. Théo déglutit. Au fil de l'album, il le retrouva souvent. Un anniversaire, une sortie dans le parc, une balade sous la pluie.
La fameuse photo sur la balançoire. Le sourire que Théo y abordait traduisait tout l'émerveillement qui l'avait pris à cet instant.
En arrivant à la naissance de Gabriel, Théo inspira doucement. Leur père se faisait moins présent sur les photos. Plus distant lorsqu'il y était. Et puis, plus du tout. Leur mère avait continué de prendre des photos, car la vie ne s'arrêtait pas après un divorce. Loin de là, lui avait-elle répété si souvent.
— Maman...
— Oui mon chéri ?
— Pourquoi papa est plus là ?
— Il est parti, mon cœur. Tu sais, on ne s'aimait plus vraiment, alors c'était mieux comme ça.
— Il ne nous aime plus ?
— Bien sûr que non, mon amour ! Il vous aime tout autant que moi. Mais des fois, les adultes choisissent de se séparer.
— C'est pas ma faute alors ?
— Oh non, non mon cœur. Pas du tout. Ni celle de Gabriel. Ce sont des histoires d'adultes...
Théo laissa un petit rire lui échapper en voyant une photo où il tenait bien gré mal gré son petit frère. Il se rappelait le sentir si fragile entre ses bras. Comme si un simple courant d'air pouvait réussir à le briser.
— Punaise, toi, la nature t'a gâté, remarqua-t-il en observant le visage poupon de Gabriel. Un vrai beau gosse.
S'enchainèrent d'autres anniversaires, des courses dans le sable, des acrobaties dans les aires de jeux. Les deux têtes blondes ne se lâchaient plus d'une semelle. Si Gabriel suivait toujours son frère de quelques pas, Théo l'attendait avec plaisir. Quelques chamailleries, bien sûr, mais qui se réglaient rapidement avec un câlin. Leur mère leur avait appris que l'écoute et l'acceptation étaient les meilleures armes dans une dispute.
— Qu'est-ce que tu fabriques ?
Gabriel s'appuyait sur l'encadrement de la porte, un regard intrigué sur la malle.
— Je fouille dans nos souvenirs.
Le cadet s'approcha, curieux. En apercevant la peluche sur le lit, un sourire en coin étira ses lèvres.
— Mr Plouf.
Théo fit une gratouille sur la tête du pingouin.
— Ouais. Je sais pas pourquoi il était là. Mais je le trouve mieux ici.
Gabriel se laissa tomber sur la couette, farfouillant la malle du regard. Il en extirpa une paire de chaussons beige.
— Nos pieds étaient si minuscules ? C'est plus petit que ma main !
Cette paire, ils l'avaient tous les deux enfilée. Théo les avait même lacés pour la première fois sur Gabriel. Il s'était entraîné plusieurs jours avant, tirant la langue sous la concentration.
Son frère continua l'exploration de la malle, farfouillant entre les anciens jouets et les feuilles de dessin.
— Wow, j'étais un vrai artiste, s'amusa-t-il en extirpant une espèce de baleine à la queue plus grande que sa tête.
— Tu l'avais fait après avoir vu un docu sur la mer à la télé, se rappela Théo. Y'avait que ça pour te calmer quand tu pleurais.
— Sérieux ?
Gabriel observa le dessin avec un sourire en coin. Théo en profita pour attrapa une feuille sur laquelle était gribouillé une masse bleue et grise assez difforme.
— Et ça, c'est censé être Mr Plouf.
— Aïe, le pauvre.
— Hey, ça va, y'a pire !
— Je le reconnais même pas !
Théo fixa la feuille un instant.
— Si, y'a son bec, et là ses ailes...
Gabriel le regarda, septique.
— Même toi, t'y crois pas.
— Pas faux !
Un rire éclata entre les deux frères. Gabriel finit par s'intéresser à l'album et tendit le cou pour apercevoir quelques photos. Théo lui fit signe de s'installer à côté de lui pour mieux voir. Les photos défilèrent à nouveau, plus lentement.
— Tu te souviens de la nounou ? demanda-t-il en voyant la photo d'une jeune fille brune.
— On était horrible avec elle. Mais elle nous pardonnait tout.
— Maman lui donnait un bonus à chaque fois.
— Sérieux ?
— Je l'ai entendu lui dire une fois. En guise de compensation pour « ses petits monstres ».
Gabriel explosa de rire.
— Et bah merci !
— Arrête, la pauvre, elle n'arrivait pas à te gronder. À chaque fois qu'elle voyait ta bouille, elle te pardonnait tout !
Les deux frères partagèrent un nouveau rire, affalés sur le lit. Lorsque Théo reprit sa respiration, il essuya une larme qui perlait.
— Pourquoi tu as descendu la malle ? parvint à demander Gabriel après avoir repris son souffle.
— Ils vont faire un tableau avec nos photos pour la remise des diplômes. Du style « au revoir la promo 2014 ». Je voulais récupérer...
Théo retourna quelques pages en arrière.
— Celle-là, dit-il en attrapant la photo sur la balançoire.
Il la tendit à son frère, qui l'observa en souriant.
— Je l'avais jamais vu.
Il lui rendit la photo, que Théo posa sur sa table de chevet avant de refermer l'album dans un bruit sourd.
— T'avais l'air heureux.
— Je l'étais, plaisanta Théo. J'avais l'impression de toucher le ciel !
Il remit l'album dans la malle et la referma, avant d'enclencher les verrous.
— Tuu m'aides à la remonter ? Elle pèse le poids d'un âne mort !
D'un côté et de l'autre de la malle, les deux frères la transportèrent jusqu'au débarras, où s'accumulaient toutes sortes de bricoles. Théo s'épousseta les mains en sortant de la pièce, avant de rejoindre Gabriel qui s'était posté à la fenêtre.
Dehors, le vent faisait danser les arbres dans un rythme chaotique. L'orage s'annonçait déjà.
— Ça commence déjà à souffler. Ça ne devait arriver que dans trois jours, normalement.
— Faut croire que le vent était impatient. Au moins, çapassera avant le week-end.
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