VI. Ryūjin

Mythologie japonaise
Dieu dragon de la mer, maître des marées et des courants


samedi 17 mai

— Théo !

Un rouquin fit un signe de la main pour lui dire d'approcher. Devant lui, une grande table, plusieurs lycéens autour et une bouteille de rhum au centre.

— Ça te dit un palmier ? lui proposa-t-il.

La partie avait déjà commencé : chacun leur tour, les participants posaient une carte sur le bouchon de la bouteille. Chaque carte tombée valait une gorgée, la personne faisant tomber toute la structure finissait son verre. Théo secoua la tête avec un sourire.

— Pas cette fois ! Vous savez que je suis super nul, vous voulez juste me voir bourré.

Un rire franc éclata autour de la table.

— Pas faux !

— Une prochaine fois, proposa une voix.

— Même pas en rêve ! affirma Théo en riant.

Il leur adressa un signe de la main et s'éloigna, à la recherche d'un endroit plus calme. Il était un participant régulier des soirées organisées par ses amis, ou des amis d'amis – on pouvait même dire qu'il n'en ratait aucune. Ce qu'il y préférait, c'était discuter avec de nouvelles personnes, apprendre à les connaitre, les entendre parler de leurs passions, leurs hobbies, leurs rêves.

Théo voyait ce genre de fêtes comme une usine à penser. On pouvait y apprendre des millions de choses, sur les autres et soi-même. C'était l'occasion de mêler les opinions, d'entendre des points de vue différents.

Portant sa bière à ses lèvres, il aperçut un petit groupe de personnes installé sur la terrasse, en train de fumer à la lueur de quelques bougies. Curieux, il passa la baie vitrée et se dirigea vers eux.

— Je peux m'incruster ?

Les adolescents hochèrent la tête. Il reconnut Abigaïl, une étudiante qu'il avait rencontrée au nouvel an. Elle étudiait l'histoire, s'il se souvenait bien. Elle sembla le reconnaître également, lui adressant un petit clin d'œil.

Il avisa une chaise libre et la tira à lui pour s'y installer.

— De quoi vous parlez ? demanda-t-il.

— Des pires façons de mourir.

— Putain, c'est joyeux !

Un rire perça dans la nuit.

— En parler, c'est l'apprivoiser, expliqua un brun à lunettes. Et si tu l'apprivoises, t'en a moins peur.

Il hocha la tête ; l'argument était acceptable. Pour une usine à penser originale, il en avait trouvé une. Une jeune fille à la tête rasée pointa sa bouteille de bière vers lui.

— On m'a parlé d'un petit blond sympathique qui se retrouvait à toutes les soirées du coin, j'imagine que c'est toi ?

— Théo, pour vous servir.

— Moi c'est Louisa, agrémenta-t-elle d'un petit salut militaire. Et le pessimiste qui a lancé cette conversation, c'est Noah.

— Je suis pas si pessimiste que ça, contra l'intéressé, le brun à lunettes.

— Tu parles ! Et tu connais déjà Abi, de ce que je sais. C'est la cousine de Noah.

Tout en tirant une nouvelle bouffée de sa cigarette, elle lui adressa un signe de tête. Ses créoles dorées remuèrent.

— J'imagine que c'est toi qui m'as décrit comme le petit blond sympathique.

— Grillée, acquiesça-t-elle en expirant.

La fumée s'envola dans la nuit.

— Je tiens juste à dire que je ne suis pas si petit que ça, précisa-t-il, amusé. Mon mètre soixante-quinze est dans la moyenne.

Abi leva les deux mains en gage de paix, sous le rire des adolescents attablés. Louisa, qui semblait la plus bavarde des trois, reprit la parole.

— Pour en revenir à notre sujet, je disais que mourir ébouillanté dans l'huile, c'est pire que l'empalement.

— Tu meurs plus vite ébouillanté, renchérit Noah. Empalé, tu peux survivre plusieurs heures.

— T'as oublié se faire enterrer vivant, ajouta Abi.

— Tu ne souffres pas...

— Oh mais oui, tu deviens juste fou !

Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire. Noah secoua la tête avec un léger sourire avant d'avaler une gorgée de sa vodka orange.

— Assez avec les conversations morbides, trancha Abi, avant de se tourner vers Théo. Tu racontes de neuf, depuis décembre ?

L'adolescent haussa les épaules.

— Rien de spécial. J'ai trouvé un appart sur Bordeaux pour la rentrée, donc je suis tranquille à ce niveau.

— Quelle fac ? demanda Louisa.

— Montaigne. Je rentre en psycho.

La jeune femme laissa échapper un sifflement admiratif en attrapant sa bière.

— Et bah, bon courage ! J'y étais et j'ai lâché au bout d'un mois.

— Tu passais ton temps en soirée, précisa Abi.

— T'avais plus d'alcool dans le sang que d'oxygène, appuya Noah.

— Je décompressais ! protesta-t-elle.

Un rire nerveux lui échappa.

— Mais j'avoue que je m'investissais plus au BDE que dans mes cours...

Un sourire sur les lèvres, elle prit une gorgée d'alcool.

— Et puis, ça ne m'intéressait plus vraiment, reprit-elle. Je crois que j'avais pris cette filière pour faire plaisir à mes parents, pour faire un truc sérieux. Du coup, je change, je commence un nouveau diplôme cette année, en événementiel.

— C'est vrai que tes soirées sont pas mal, accepta Abi.

Louisa mima une révérence, auquel un rire répondit.

— Pourquoi tu as choisi psycho, toi ? demanda-t-elle à Théo.

Un sourire se forma sur ses lèvres. Il avait mis un peu de temps à trouver un domaine qui l'intéressait. On demandait de plus en plus tôt aux élèves de faire des choix, de se faufiler pour entrer dans une filière étroite avec quelques débouchés seulement. Rien qu'au collège, il avait déjà dû choisir entre un lycée pro ou général. À même pas 15 ans, il ne connaissait encore rien à la vie. Comment aurait-il pu décider de son avenir ?

— La psycho ? répéta Christelle.

— Ouais. J'aime bien.

— Tu vas devenir psy ? questionna Gabriel, intrigué.

— Peut-être bien, petite tête.

Appuyé sur le comptoir de la cuisine, il tendit le verre qu'il était en train d'essuyer à sa mère, qui se chargea dans le ranger dans le placard.

— Bah, tu fais comme tu veux, dit-elle en haussant les épaules. Si ça te plaît, vas-y. Et si tu changes d'avis, ne te retiens pas. Tu as encore plein de temps devant toi. Explore autant que tu veux.

Il hocha la tête, se promettant de garder ceci dans un coin de son esprit.

— Ça me plaît bien, de décortiquer ce qui se passe dans la tête des gens, expliqua-t-il.

— Tu vas apprendre à manipuler les autres, c'est ça ? plaisanta Gabriel.

— MOUHAHA, tu as deviné mon plan machiavélique !

Il poursuivit son cadet autour de la table avec un rire grave, son frère se prenant au jeu en simulant son effroi.

— Hey, on se calme ! les prévint leur mère, une menace diminuée par son sourire en coin.

Théo finit par attraper son frère et lui ébouriffa les cheveux.

— Tu as déjà regardé les facs qui ont cette filière ? demanda Christelle.

Il hocha la tête, reprenant son sérieux.

— Celle de Bordeaux. C'est la plus proche.

— Tu vas partir à Bordeaux ?

Un voile inquiet passe sur les yeux de Gabriel. Théo lui offrit un sourire rassurant.

— Va bien falloir que je parte. Mais c'est pas si loin, tu sais. Je reviendrai souvent.

Gabriel ne put empêcher un soupir de traverser ses lèvres. Son frère le prit dans ses bras.

— T'inquiète, il reste beaucoup de temps avant que je parte. Je vais pas t'abandonner comme ça !

— J'ai toujours aimé écouter les gens. Et puis les aider quand ils font face à un problème. Trouver les bons mots pour les aider à avancer, ce genre de choses.

Un hochement de tête accueillit sa réponse.

— Joli projet, dit simplement Abi.

Il accepta le compliment en lui levant sa bière et avala une gorgée.

— Et côté soirées, alors ? rebondit Louisa. On m'a dit que t'en ratais pas une, ça te dirait pas, le BDE ?

Abi secoua la tête en riant.

— Arrête de vouloir recruter tout le monde, plaisanta-t-elle.

— Hey, on sait jamais !

Théo prit une seconde pour répondre, imaginant ce que cela pourrait donner.

— J'y ai jamais vraiment réfléchi, mais pourquoi pas. Ça pourrait être cool.

— Tant que tu sais gérer fêtes et études, souligna Abi. Pas comme d'autres...

— Hey, c'est bon, on a compris ! protesta Louisa.

Elle agrémenta sa phrase d'un petit coup sur le bras de son amie, qui le prit en riant.

— Ça te fait pas bizarre, de partir ? demanda Noah. Quitter cette île pour aller en ville.

Théo ne le connaissait que depuis quelques minutes, mais il l'appréciait déjà. Ce gars savait poser les bonnes questions.

— J'essaye de profiter au max de mes derniers mois, lui répondit-il. Je mentirais en disant que ça me fait rien. Mais j'essaye de pas trop y penser. Pour ne pas passer mes dernières semaines à regretter.

Il termina sa bière et fit claquer la bouteille sur la table.

— Je vais passer le plus de temps possible avec ma famille et mes potes, ajouta-t-il. Et je vais explorer les quatre coins de cette île jusqu'à me la graver dans l'esprit. Quand je serais plus là, j'aurais juste à fermer les yeux pour la retrouver. Ce sera comme si j'étais jamais parti.

Noah hocha la tête, prenant une gorgée de son poison. Théo fit claquer ses paumes sur ses cuisses avant de se lever.

— Je vais me chercher une bière, je vous rapporte un truc ?

— Une seconde pour moi ! demanda Abi.

— Et ramène des chips, ajouta Louisa. J'ai ladalle !

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