IX. Ixchel

Mythologie maya
Déesse de l'eau, déclenche les inondations
et les orages

jeudi 22 mai

Théo se retourna dans son lit. Le vent sifflait à travers les volets, l'empêchant de trouver le sommeil. La tempête s'était levée dans la journée et frappait l'île de rafales incessantes. Nul besoin de grimper en haut du phare pour savoir que les vagues se déchaînaient sur les falaises. L'océan exprimait toute sa fureur.

L'adolescent tendit le bras pour attraper son portable. La lumière qui en émana le fit plisser les yeux. 1h32. La nuit allait être longue.

Il se tourna de nouveau, rabattant la couette encore un peu plus sur lui. Au moins, il était au chaud. Il avait toujours dormi emmitouflé comme un enfant, peu importe la saison. Même lorsqu'il faisait trop chaud, il ne pouvait pas dormir sans le poids de la couette, sans ce simulacre de protection contre les monstres du placard.

Un bruit le fit froncer les sourcils. Attentif, il attendit qu'il se répète pour pouvoir l'identifier. Lorsqu'il se réitéra, il le reconnut, se leva et ouvrit sa porte.

— Qu'est-ce qui se passe, petite tête ? chuchota-t-il.

— J'arrive pas à dormir, lui répondit Gabriel au même volume.

Le grand frère lui ébouriffa doucement les cheveux et se décala pour le laisser passer. Gabriel fonça vers le lit et s'y blottit, rejoint rapidement par son aîné.

— Ça te dérange pas ? s'inquiéta-t-il.

— Jamais. Tu viens quand tu veux, tu sais bien.

Théo remua pour se caler confortablement et ferma les yeux.

— Et puis j'arrivais pas à dormir non, t'inquiète pas pour ça.

Sur le toit, la pluie tambourinait dans un rythme chaotique. Une mélodie tempétueuse, furieuse et incontrôlable. Même s'il l'empêchait de dormir, Théo appréciait ce son. C'était similaire au ressac des vagues.

— Ça me rappelle quand on était petits, s'amusa Gabriel.

— Tu squattais toujours mon lit, maman te grondait à chaque fois.

— Elle disait que j'étais assez grand pour dormir tout seul.

Théo laissa un petit rire lui échapper. Il se souvenait encore des pas de son frère sur le parquet, lorsqu'il se faufilait sous sa couette en pleine nuit.

— Théo, murmura une petite voix.

Le cerveau engourdi par le sommeil, le garçon ouvrit un œil. Au pied de son lit, une tête blonde lui adressait une moue triste.

— Je peux dormir avec toi ?

Théo remua et souleva un peu sa couette. Gabriel grimpa sur le lit avec quelques difficultés, dues à sa petite taille. Il se colla à son frère, qui l'entoura d'un bras, l'autre étant accroché à Mr Plouf.

— Maman va râler, chuchota Théo, la voix endormie.

Elle rouspétait toujours lorsqu'elle retrouvait les deux garçons dans le même lit le matin. Mais Théo savait qu'elle ne leur en voulait pas. Elle les grondait un peu, mais elle leur préparait quand même ses super gaufres pour le petit déjeuner.

— Pas grave. Je veux être avec toi.

Un petit sourire se forma sur les lèvres de l'aîné. Il frotta le dos de Gabriel, qui suçait son pouce. Ses paupières se fermaient de fatigue.

— Moi aussi, j'aime être avec toi.

— C'est vrai ? bailla le cadet.

— Oui. Dors, maintenant, murmura Théo.

Ses mots ne trouvèrent pas de réponse, Gabriel étant déjà parti dans le monde des rêves. Théo appuya sur sa joue avec prudence, pour ne pas le réveiller. Il avait le plus merveilleux des petits frères.

— J'aimais bien quand on dormait ensemble, murmura Théo. Je te regardais t'endormir, t'étais un bébé plutôt mignon.

— Roh, arrête !

Il remua sous la couette, ce qui amusa son aîné.

— Ça t'a jamais embêté ? demanda Gabriel.

— Que t'ai toujours été beau gosse alors que j'ai dû attendre ma puberté ?

Un petit rire résonna dans le noir.

T'es con ! Que je vienne dormir avec toi.

— Jamais.

Un soupir se fit entendre dans la nuit.

— J'étais tout le temps collé à toi, tu devais en avoir marre.

— N'importe quoi.

Il donna un petit coup dans le bras de Gabriel.

— T'es mon petit frère. Je me lasserais jamais de toi.

Théo l'entendit sourire dans le noir. Il remua la tête pour se caler plus confortablement dans l'oreiller. Peut-être était-ce le sommeil qui commençaient à le gagner, mais la pluie lui parut moins forte, le vent moins violent. Ou alors la présence de son petit frère l'apaisait.

— Tu crois qu'il est où, papa ? lança le cadet après un silence.

— Tu penses à lui à cause des photos ?

— Oui, soupira Gabriel.

Théo se tourna pour s'allonger sur le dos, glissant son bras sous sa nuque.

— Sûrement en ville. Maman m'a dit qu'il avait toujours rêvé d'y habiter, mais il était resté sur l'île avec elle à ma naissance.

Leur mère était une vraie native d'Oléron. Elle y était née, à l'époque où l'hôpital était encore trop loin pour y accoucher. Ses parents avaient vécu dans le village d'à-côté toute leur vie, et y étaient décédés paisiblement, après une longue vie heureuse. Théo ne les avait presque pas connus ; il n'avait que quelques années lors de leur décès. Mais les souvenirs de sa mère étaient si pleins de vie que c'était tout comme.

— Tu crois qu'on lui manque ?

Théo tendit son bras libre pour le glisser sous la tête de son frère, qui en profita pour se rapprocher de lui.

— Bien sûr que oui. Il nous aime beaucoup.

— Tu parles, on n'a jamais eu de nouvelles...

Gabriel n'avait pas tort. Depuis que leur père était parti, il n'avait plus donné signe de vie. Peut-être avait-il tenté de les contacter et leur mère ne leur en avait pas parlé, pour les préserver. Mais Théo ne voulait pas envisager cette possibilité ; c'était plus simple pour tout le monde de couper les ponts définitivement.

— C'est compliqué, les histoires d'adultes. Ça fait longtemps qu'il est parti. C'est pas simple de revenir après tout ce temps.

Un silence s'installa. Théo ferma les yeux, le sommeil commençait à le gagner. Mais un reniflement l'alerta. Il se redressa brusquement sur son coude et observa la silhouette de son frère.

— Hey, petite tête.

Gabriel l'enserra et plongea son nez contre son torse. Théo passa sa main dans ses cheveux, tentant de l'apaiser.

— Il est parti à cause de moi, murmura le plus jeune.

— Non, non, pas du tout. Ce n'est pas ta faute...

Ils restèrent dans les bras l'un de l'autre, jusqu'à ce que le tremblement de Gabriel ralentisse.

— Cela faisait longtemps que ça n'allait plus entre maman et lui, le rassura Théo. Il serait parti au bout d'un moment.

— Mais si... Si j'étais pas né, peut-être.... Peut-être qu'il serait resté...

— Hey, non, trancha Théo. Ne dis plus jamais ça.

Il serra un peu plus fort son frère contre lui.

— T'es merveilleux et ma vie serait bien plus fade sans toi. Ne crois jamais que tu ne mérites pas d'être ici.

Il lui frotta le dos, comme il le faisait lorsqu'il n'était qu'un nourrisson.

— Toi, moi et maman, c'est pour toute la vie. Et s'il ne manquait qu'une seule personne à ce trio, c'est comme si l'océan n'était plus salé. Il manquerait une saveur irremplaçable.

Gabriel remua.

— Toi et tes métaphores à l'eau salée...

Ils échangèrent un petit rire. Gabriel relâcha son étreinte, mais s'allongea en se glissant dans le creux de l'épaule de son frère.

— Ça va mieux ? vérifia ce dernier.

— Oui. Merci.

Théo lui ébouriffa les cheveux.

— Promets-moi un truc. Si jamais tu repenses ça un jour, viens me voir directement. OK ?

— OK, promit Gabriel.

Théo posa un baiser protecteur sur le haut de son crâne, comme une bénédiction. Il espérait que ces pensées disparaissent de l'esprit de son cadet, et que cette promesse tombe dans l'oubli. Il espérait que Gabriel efface ce père qui était parti, qui avait refait sa vie loin d'eux et qui ne faisait plus partie de la leur. Théo ne lui en avait jamais voulu, mais il préférait ne plus avoir de contact avec lui, pour que ni lui, ni Gabriel ne souffrent de cette absence qui durait depuis des années. Le passé devait rester dans le passé.

Dans ses bras, la respiration de Gabriel s'apaisa.Théo se détendit. À son tour de rejoindre le monde des rêves. Il avait grandbesoin de repos.

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