IV. Enkil
Mythologie mésopotamienne
Dieu de l'eau douce, de la sagesse et de la création
samedi 17 mai
À quelques mètres de sa destination, Théo fit vrombir le moteur de sa bécane. Le son grave résonna dans le hameau, constitué de trois petites maisons posées au bord de l'océan.
Lorsqu'elle l'aperçut, Elsa resta muette. Il s'arrêta juste devant elle et coupa le moteur. Béate, elle prit quelques secondes pour observer la mécanique, rendue visible par l'absence de carrossage.
— Tu l'as finie...
— Elle est pas magnifique ?
Elsa fit un pas sur sa droite, puis passa de l'autre côté de l'engin pour en observer tous les angles.
— Putain, oui !
Il était rare de couper le souffle à Elsa, et encore plus de voir un sourire se former sur ses lèvres. Mais c'était pourtant ce qu'elle offrait à Théo en cet instant.
— On fait un tour ? lui proposa-t-il en lui tendant un casque.
— Pourquoi tu demandes !
Elle lui arracha presque des mains et s'empressa de le mettre. Il abaissa les repose-pieds arrières et elle se glissa derrière lui. Lorsqu'il démarra le moteur, elle donna des petits coups dans son dos.
— Allez, allez, on y va !
Dans un rire, il accéléra pour lancer la bécane. Il opta pour la route qui se faufilait le long de l'océan, afin de profiter au maximum de cette balade.
Le nombre de leurs sorties à moto ne se comptaient plus. Depuis que Théo l'avait initiée, Elsa en redemandait encore et encore. Mais c'était la première fois qu'il sortait avec sa moto. Celle qu'il avait retapée pendant des mois.
Il l'avait trouvé au fin fond d'un vieux garage de l'île, propriété d'un motard qui ne l'avait pas sortie depuis des années. Elsa avait suivi le projet depuis le début. Elle n'y croyait pas vraiment, la première fois qu'elle l'avait aperçue, contemplant l'immensité de la tâche lorsque Théo l'avait ramené chez lui.
— Mais tu vas jamais y arriver...
Elsa fixait la moto d'un regard circonspect. Elle n'était pas très incroyable au premier coup d'œil, Théo ne pouvait le nier. Mais il voyait le potentiel de cette bécane. Elle allait être super.
Bon, après quelques mois de réparation. Il était un minimum réaliste.
— Mais si, tu vas voir. Ça va être génial !
Elsa haussa les épaules, peu convaincue. Elle dit le tour de l'engin, le nez froncé.
— On dirait qu'il manque des pièces.
Théo passa sa main dans sa nuque.
— Euh, oui, quelques-unes...
Il se prit soudainement de passion pour les arbres qui bordaient le garage, sentant le regard d'Elsa sur lui. Elle n'avait pas besoin de savoir qu'il manquait certains aspects essentiels d'une moto. Et qu'il avait eu du mal à la ramener jusqu'ici.
— Tu vas y passer des journées entières, le prévint-elle. Et pour rien.
— Mais non, tu verras...
Théo s'approcha de la moto et passa la main sur le réservoir, enlevant une couche de poussière qui avait plusieurs années.
— Beurk, murmura Elsa.
— Quand j'aurais terminé, je t'emmènerai avec elle, promit Théo. Et tu oublieras tes paroles.
Elsa secoua la tête, septique.
— J'espère juste que tu vas pas trop déchanter.
— Roh, mais non ! Un peu de positivité !
Il lui offrit un grand sourire, auquel elle répondit en haussant à nouveau les épaules.
Oh, elle en avait eu besoin, de travail. Théo s'était échiné sur elle. Elle l'avait gardé alerte pendant l'hiver, lorsqu'il ne pouvait pas sortir les soirs de tempête. Il pensait pouvoir la tester dès le printemps, mais la demoiselle était capricieuse, et lui avait demandé quelques semaines d'entretien supplémentaires.
Mais maintenant qu'Elsa était dessus, entendant le rugissement du moteur se battre avec celui de l'océan, elle ne pouvait plus le nier. Cette moto était de l'or en barre.
Ils longèrent les falaises, le vent planquant leurs vêtements contre leur peau. Théo essayait au maximum d'éviter les aspérités de la route, pour ne pas trop secouer Elsa. Les motos n'étaient pas toujours très adaptées pour le passager, et il savait que si l'adolescente décollait de la selle à cause d'un dos d'âne trop violent, il allait se prendre une avalanche d'insultes.
Le phare de la pointe nord se dévoila, tour rayée imperturbable de l'île. Théo ralentit légèrement et tendit le bras pour le désigner. Comprenant sa question silencieuse, Elsa leva le pouce. Il se gara un peu plus loin.
Elsa retira son casque et lui offrit un immense sourire.
— Incroyable, dit-elle simplement.
— Heureusement, je l'ai quand même chouchoutée pendant des mois !
Ils avancèrent dans le jardin qui entourait le phare, disposé en rose de vents. Les buis étaient toujours impeccablement taillés, peu importe la période de l'année. En ce milieu de printemps, des fleurs de multiples espèces coloraient le sol de leurs robes éclatantes. Loin d'être désorganisées, elles créaient une magnifique palette.
Théo avait toujours été impressionné par l'entretien de ce jardin, mais n'en avait jamais croisé l'auteur, peu importe le nombre de fois où il était venu. Elsa lui avait raconté la légende d'une jardinière tombée folle amoureuse, mais éconduite par l'objet de son admiration. Dévastée, elle se serait jetée du haut du phare. Depuis, son fantôme s'occupait de ce jardin avec le plus d'attention possible, dans l'espoir d'attirer le regard de cet amour impossible. Théo ne savait pas s'il devait croire à cette légende, mais c'était un mystère qu'il appréciait.
Perdu dans ses pensées, les premiers pas d'Elsa sur les marches de pierre le firent revenir à l'instant présent. Juste derrière elle, il entama l'ascension de ces deux cents vingt-quatre marches qui montaient en colimaçon jusqu'à la coursive extérieure.
— J'aimerais bien habiter dans un phare, laissa échapper Elsa. Tu dois être tranquille.
— Surtout si tu es sur une île perdue dans l'océan, plaisanta Théo.
— Le rêve !
Ils atteignirent le milieu de l'escalier, qui tournait autour de la pièce à vivre du gardien.
— J'ai lu un roman sur un phare totalement isolé. C'était en Australie.
— Le gardien est devenu fou à cause de la solitude ?
— Non, mais sa femme presque. À cause de ses fausses couches. Elle n'arrivait pas à avoir d'enfant.
Elsa garda le silence quelques secondes.
— Je veux pas devenir mère, mais ça doit être la pire sensation qui soit...
Elle poussa la porte qui donnait sur la coursive, révélant l'océan. Ils s'installèrent sur le sol en béton pour réduire leur prise au vent.
— Elle s'en est sortie ? La femme du gardien ?
— Un matin, ils ont découvert un bébé dans un canot. Son père était mort lors de la traversée, alors ils ont recueilli l'enfant comme s'il était le leur. Mais sa mère biologique était toujours en vie et a fini par comprendre ce qu'ils ont fait, alors ça ne s'est pas très bien terminé.
— Mouais, ça frôle le kidnapping, ton histoire...
Théo eut un petit rire.
— Quand tu refermes ce livre, tu as de l'empathie pour les deux mères. Les deux ont donné tout leur amour à cette gamine, et lorsqu'on le leur a arraché, c'était comme de couper un bout d'elles. Peu importe si elles avaient donné naissance à l'enfant ou non.
Un silence pensif s'installa.
— Ça me donne encore moins envie d'avoir des enfants, finit par plaisanter Elsa.
Ils échangèrent un rire. Le silence s'installa, confortable. Cet instant était comme une bulle de douceur.
— Tu peux me rendre un service ? demanda Théo.
Cette question lui trottait dans la tête depuis plusieurs semaines, mais il n'avait pas réussi à trouver le courage de la poser.
— Dis-moi.
— J'aimerais que tu veilles un peu sur Gabriel quand je serais parti.
Elsa resta silencieuse quelques secondes avant de lui répondre.
— Moh, le grand frère s'inquiète...
— Te moques pas...
Il lui donna un petit coup d'épaule avec un rire, avant de passer sa main dans sa nuque, un peu embarrassé. Il avait toujours eu du mal à demander de l'aide aux autres. Depuis son enfance, il ne savait plus depuis quand exactement, il se débrouillait tout seul, ne voulant pas déranger. Il essayait de s'en sortir par lui-même dans toutes les situations.
Enfin si, il savait depuis quand il était comme ça. Depuis que sa mère s'était retrouvée à s'occuper de deux enfants dans la grande maison familiale. Il avait probablement pris le rôle du grand frère trop à cœur.
— Mais c'est vrai que je m'inquiète un peu. Je serais plus là quand il entrera au lycée...
— T'inquiètes, ce sera avec plaisir.
— Je te demande pas de le coller H24, hein, juste de checker de temps en temps que tout va bien.
— Ah mais t'inquiète pas, c'est ce que je comptais faire. C'est pas comme si tu me connaissais pas.
Un sourire se forma sur les lèvres de Théo. Il ferma les yeux et laissa sa tête se poser contre le mur, inspirant doucement l'air marin.
Ce n'était pas tant le lycée qui l'inquiétait, mais le quotidien en général. Les deux frères avaient rarement passé du temps loin l'un de l'autre, et Gabriel lui avait fait part de ses inquiétudes sur son départ. Ça aurait été mentir d'affirmer que Théo n'en avaient pas de son côté. Il avait toujours veillé sur son cadet depuis leur enfance, et le lâcher d'un coup lui faisait ressentir une étrange sensation.
Un cri de mouette lui fit ouvrir les paupières. L'oiseau passa à quelques mètres d'eux, planant dans les airs.
— J'accepte ta demande, reprit Elsa, mais en échange, tu viens avec moi mercredi prochain. J'ai une surprise.
Elle lui tendit la main, qu'il attrapa et serra.
— Deal. On va où ?
— Tu verras, éluda-t-elle en fermant les yeux à son tour.
Il laissa un sourire se former sur ses lèvres etl'imita.
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