III. Nérée
Mythologie grecque
Surnommé le "vieux de la mer",
dieu doux et bienveillant qui symbolise la mer calme
mercredi 14 mai
Théo passa la tête à travers l'encadrement de la porte.
— Qu'est-ce que tu fais, petite tête ?
Allongé à plat ventre sur son lit, Gabriel coupa le son qui s'échappait de son portable et leva les yeux de son écran.
— AM a sorti une nouvelle cover, j'étais en train de l'écouter.
— Fais voir.
Théo se laissa tomber sur la couette. Il comprenait à présent pourquoi son frère avait filé directement dans sa chambre en rentrant du collège, un sourire sur les lèvres.
La mélodie reprit et la voix de la chanteuse préférée de son frère s'éleva dans la pièce. Accompagnée à la guitare, la jeune fille reprenait une chanson rock sortie plusieurs années auparavant.
— Elle est douée, laissa échapper Théo.
— T'as vu ? Et encore, elle a repris tellement de styles différents ! La dernière fois, c'était du blues, et c'était incroyable ! Et puis...
Théo couva du regard son frère, qui continuait à vanter les mérites d'AM. Depuis qu'il avait découvert la chanteuse l'an dernier, il ne ratait aucune de ses nouvelles vidéos. Il écoutait ses reprises en boucle, sur le chemin du collège ou les soirs de week-end.
Une notification vint s'afficher sur l'écran, interrompant la mélodie une seconde.
Adrien : On se voit toujours demain ?
Un sourire se forma sur les lèvres de Théo.
— Ça se passe bien avec lui ?
Gabriel baissa le son et se redressa pour s'installer en tailleur. Sa main se glissa dans sa nuque, un geste qui amusa son aîné ; ils avaient les mêmes tics lorsqu'ils étaient embarrassés.
— Ouais, c'est... C'est plutôt cool.
Ses joues prirent une légère teinte rosée. Théo poussa sa tête avec son doigt pour l'embêter.
— Vous êtes beaucoup trop mignons, je serais presque jaloux.
— Arrête, t'es con !
Il n'avait pas encore eu la chance de rencontrer l'heureux élu, mais il voyait que Gabriel était heureux de cette relation. Et c'était tout ce qui comptait pour lui.
Alors qu'il plaisantait avec son frère, des souvenirs vinrent effleurer son esprit. Il se souvenait encore parfaitement du soir où Gabriel était venu le trouver, se triturant les mains.
– Qu'est-ce que t'as, petite tête ?
Le regard de Gabriel passa du sol au jardin, du jardin à la balancelle, de la balancelle à la lampe qui éclairait le porche. Il se posait sur tout ce qu'il trouvait. Sauf sur Théo.
— Hey. Regarde-moi.
Lorsque son cadet s'exécuta, il lui offrit le sourire le plus rassurant qu'il ait pu lui offrir.
— Tu sais que tu peux tout me dire ?
Gabriel hocha la tête doucement. Il finit par prendre une grande inspiration et s'assit à côté de lui, accueilli par les coussins moelleux de la balancelle.
Elle avait toujours été là, cette vieille balancelle. Les deux frères avaient toujours connu son bois couleur miel, ses coussins colorés que l'on rentrait quand il pleuvait, ses chaines toujours bien entretenues pour résister au temps.
Elle les avait vus grandir, rire, pleurer, s'énerver. Elle avait accueilli de longs silences apaisants, des câlins réconfortants de leur mère, des nuits blanches dans la chaleur de l'été.
— Faut que je te dise un truc...
Penché en avant, ses coudes sur les genoux, Gabriel fixait le sol comme si ce dernier allait l'engloutir. Théo posa sa main sur la tête de son cadet et lui massa doucement le cuir chevelu pour l'apaiser.
— Je...
L'aîné resta silencieux, laissant à son frère tout le temps qu'il lui fallait.
— J'ai un petit copain.
Dans la maison, leur mère alluma le tourne-disque. Un air enthousiaste s'éleva dans l'atmosphère.
— Comment il s'appelle ? demanda Théo d'une voix douce.
— Adrien.
Gabriel releva la tête mais garda son regard fixé sur l'horizon.
— Je crois que je l'aime bien, chuchota-t-il.
Théo retira sa main pour attraper son frère par l'épaule et le tirer vers lui.
— C'est cool, ça.
Il sentit son frère se détendre. Son corps se décrispa, la tension qui l'habitait jusqu'alors disparue.
— Ouais...
Ils restèrent ainsi, appuyés l'un contre l'autre, entendant leur mère chantonner en arrière-plan. Sans un mot de plus, Théo vit un sourire soulagé se former sur les lèvres de son frère. Il lui frotta vigoureusement le bras avant de lui faire un bisou sur le front, en signe de protection.
— Tu m'écoutes ?
Théo cligna des yeux avant de porter attention à son frère.
— Oui, pardon, j'étais dans mes pensées.
— J'avais remarqué, se moqua-t-il.
Il subit un nouveau petit coup dans le bras, qu'il prit avec amusement.
— Tu me parles jamais de ça, dit Gabriel.
— De quoi ?
— De couples. Enfin, de toi en couple. Je te parle souvent de ça, mais toi non.
Théo haussa les épaules et s'allongea, ses mains liées sous sa nuque.
— Ça m'a jamais intéressé, avoua-t-il.
En tournant la tête, il aperçut un bibelot sur la table de nuit. Une figurine LEGO qui représentait un ninja vert. Il l'attrapa et la fit tourner entre ses doigts. Il l'avait trouvée à la fête foraine, où il travaillait l'été dernier. Un gamin avait dû l'oublier. Le ninja avait ensuite atterri dans la chambre de son cadet.
— Jamais ?
— Non. C'est pas mon truc.
L'amour, l'affection des couples, les dates... Théo ne s'y était jamais intéressé. Passer du temps avec sa famille et ses amis lui suffisait amplement. Ce n'était pas qu'il n'avait pas le temps, mais il n'en avait simplement pas l'envie. C'était comme ça, c'est tout. Avoir un copain ou une copine n'avait jamais été un objectif.
Son frère l'observa, pensif.
— OK, répondit-il en haussant les épaules à son tour.
Il s'allongea aux côtés de son aîné. Un silence apaisé s'installa, mais Théo finit par remarquer que son cadet se triturait les doigts.
Mauvais signe.
— À quoi tu penses, petite tête ? s'inquiéta-t-il
Il lui répondit par un faible sourire. Théo reposa la figurine et garda le silence, attendant que son frère s'ouvre à lui.
— On en a jamais parlé, mais...
Gabriel inspira doucement.
— Ça te dérange pas que j'aime les garçons ?
— Tu fais ce que tu veux, petite tête. Tu aimes qui tu veux, et personne ne pourra jamais dire le contraire.
S'entendant parler, il réalisa ses paroles et fronça les sourcils.
— Quelqu'un t'a dit le contraire ?
Sa mâchoire se contracta. Théo n'était pas impulsif. Ni violent. Il avait pour habitude de répondre aux insultes avec ironie ; les mots étaient la meilleure arme que les hommes possédaient. Mais si on touchait à son frère, il ne répondait plus de rien.
Gabriel secoua vivement la tête.
— Non, non, tout va bien.
— T'es sûr ?
Il lui répondit simplement avec un sourire.
— Parce que si c'est le cas, cette personne va m'entendre...
— Tout va bien, je te dis, s'amusa Gabriel. Tu t'inquiètes trop.
Il ferma les yeux et inspira.
— C'est juste que je t'avais jamais demandé. Et ça me trottait dans la tête.
Au loin, une porte claqua.
— Ah, maman est rentrée.
Ils entendirent des pas s'approcher et une tête aussi blonde que les leurs apparut dans l'encadrement de la porte.
— Mes deux gamins préférés, lança Christelle.
— Salut m'man, dirent les garçons à l'unisson.
— Qu'est-ce que vous fabriquez ?
— On discutait, c'est tout, répondit Théo.
Leur mère s'approcha du lit et les regarda en penchant la tête.
— Je peux me joindre à vous ?
L'aîné se poussa avec un sourire et Christelle se glissa à côté de lui.
— De quoi vous parliez ?
Théo tourna la tête vers son frère, ne sachant pas s'il voulait aborder à nouveau le sujet. Mais Gabriel le devança en prenant la parole.
— On parlait d'Adrien.
— Tu disais à ton frère que t'allais bientôt nous le présenter ?
— Maman !
— Faudra bien qu'on le rencontre, un jour ! appuya Théo.
Dépité, Gabriel secoua la tête, alors que sa mère et son frère échangèrent un rire. Cela faisait des semaines qu'ils le talonnaient pour rencontrer Adrien, curieux d'en savoir un peu plus sur lui. Et il avait beau trouver toutes les excuses du monde, voulant préserver encore un peu son intimité, les deux blonds revenaient à la charge sans cesse.
— Vous allez lui faire peur, affirma Gabriel.
— Mais non, on est adorables, protesta Théo.
— Tu parles, nia le cadet. Il va s'enfuir en hurlant.
— Et bah merci, rouspéta sa mère. Dis qu'on est trop bizarre pour toi, tant que t'y es !
— Vous l'êtes.
Christelle lui mit une petite tape sur la tête, qu'il prit en riant.
— Sale gosse !
Les trois blonds éclatèrent de rire.
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